lundi 14 décembre 2009

L'école - La 7eme (1966-1967)

Photo Gérard Mery

Mon passage au lycée Jean Giraudoux fut de courte durée. En effet, je n'avais pas encore visité tous les établissements scolaires indriens. Après les Capucins, le lycée de jeunes filles et le lycée de garçons, il était temps, du haut de mes 10 ans, de découvrir l'annexe internationale de Saint-maur.

Cette année-là, menée sous la baguette de l'autoritaire Me Hagege, fut un peu morose, malgré un grand succès scolaire. J'étais première dans toutes les matières. Je ne possède pratiquement rien des objets de la maison à Châteauroux, mais j'ai récupéré deux livres reçus lors de la distribution des prix de cette année de 7e. L'un est le livre des « Mille et une nuits » l'autre le récit de la guerre de Troie.

L'annexe internationale de St Maur était située à la campagne dans un château entouré d'un grand parc. Pendant les recréations c'était la liberté totale, nous étions très peu surveillés et courions bien loin pour nous réfugier dans les buissons ou sur les arbres.

J'allais à la cantine pour la première fois de ma vie et ne comprenais pas pourquoi mes petites amies faisaient la fine bouche devant les menus proposés. Moi, tant que cela se mangeait, je trouvais cela excellent. La nourriture était pour moi « bonne » par définition et il aurait été sacrilège de la critiquer.

Je courais vite et jouais plus souvent avec les garçons qu'avec les filles. L'un d'eux qui avait redoublé et dépassait tout le monde d'une bonne tête , s'était pris d'intérêt pour ma garde-robe, en particulier celle qui comprenait des fermetures éclair. Je m'aperçus bien vite que je ne courais pas aussi vite que cela ... Je rentrais chez moi écorchée des genoux et des poings après de méchantes bagarres avec cette petite brute de 12 ans. Comme il était grand physiquement les autres enfants le laissaient faire mais applaudissaient à tout rompre quand mon adversaire se prenait une baffe, une volée de gravier dans l'œil ou un coup sur la tête.

A la cantine cette énergumène feignait quotidiennement de vomir dans mon assiette, catapultait des petits poix dans ma figure et tentait plus tard de récupérer la nourriture que j'abandonnerais derrière moi. Malheureusement pour lui, j'étais capable de manger mon steak même s'il avait craché dessus. Je laissais tous les jours une assiette vide et propre, comme si personne n'avait jamais mangé dedans.

Dans le car qui nous emmenait de Châteauroux à St Maur, il tirait sur le col de ma veste, me faisait des croches-pied. Bref, nous faisions un beau couple, moi la surdouée de la classe, lui le cancre. Je n'avais pas d'amis, ayant une nouvelle fois déménagé de mon école précédente sans mes petits camarades. Lui non plus. Il ne me parla jamais, se contentant d'exprimer son intérêt en me harcelant quotidiennement.

A cette époque, je pensais qu'être une fille ou un garçon n'avait aucune importance, que cela ne voulait rien dire. J'avais les cheveux courts, j'étais timide et les petites filles de la classe ricanaient derrière mon dos. J'avais quelque chose de diffèrent, mais je ne savais pas quoi. Je voyais bien que je n'avais pas leur jargon et qu'elles parlaient de choses qui ne m'intéressaient pas.

Rentrée à la maison je contemplais avec exaltation mes égratignures. Je racontais des bobards à la bonne, lui disant que je tombais souvent dans le parc du château, ce qui somme toute n'était pas faux. J'aimais me battre avec mon ennemi et rien ne me faisait plus plaisir que de sentir son sang couler entre mes doigts. J'ai oublié son nom. Peut-être s'appelait-il Gilles et dans ce cas j'étais sa Jeanne.

Ce fut une année toute bête et sans intérêt. Mon désir de brutalité envers ce garçon me semblait naturel. Je terminai l'année galvanisée, non pas par ma réussite scolaire et les premiers prix que j'accumulais dans toutes les matières, mais par le sentiment d'être forte physiquement alors que ma mère m'avait toujours considérée comme une maigrichonne en mauvaise santé (il est vrai que l'année d'avant j'avais fait une terrible coqueluche). L'année scolaire se termina ainsi en juin 1967 et une nouvelle époque commençait.


Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2009

L'école - La 8eme (1965-1966)

J'ai déjà parlé de ma classe de huitième dans ce billet.

lundi 23 novembre 2009

L'école - la 9e(1964-1965)

En septembre 1964, suite à une décision maternelle on ne peut plus catégorique, je quittai l'école des Capucins pour me retrouver, assez bizarrement, au lycée de jeunes filles. Tout était différent, le lieu gigantesque, les élèves inconnues et puis il fallait que je m'adapte à une nouvelle routine; trois fois par semaine toute la classe montait dans un autocar et nous roulions vers la base de l'OTAN à Touvent. Là bas, des petits américains de notre âge nous attendaient souriant et épanouis.

A partir de 1951 un immense dépôt logistique américain avait été installé à Châteauroux. Il employait des milliers de travailleurs français et était responsable de l’entretien de tous les avions américains de tous types basés en Europe à cette époque. J'avais ainsi été transportée dans la plus grosse base logistique européenne de l'OTAN.

Mes amis et moi étions loin de comprendre que nous participions à un programme bilingue original qui permettait aux français de souche ( moi par exemple qui à l'époque ne possédait même pas la nationalité française ...) et aux américains en transit, de s'imbiber les uns les autres de leur langue et culture respectives.

Dans le cadre de ces échanges scolaires et culturels, on m'assigna une partenaire du nom de Vicky. Je m'entendais très bien avec elle et m'adaptai de façon remarquable à la structure scolaire américaine. La maitresse d'école, une ravissante jeune femme aux yeux bleus, ne cessait de sourire et s'adressait à ses élèves de façon douce et affable comme si elle était à leur service et non le contraire.

Il me fallut seulement quelques jours pour comprendre que les américains vivaient dans un autre monde où la spontanéité, la bonne humeur et le bonheur en général, avaient leur place. Nous préparions ensemble des petites scènettes où nous nous moquions de la publicité, de la mode et même, cela m'avait marquée, de l'usage abusif de médicaments. A l'école française, du moins à mon époque, on ne traitait pas de tels sujets et avec cet humour à l'âge de huit ans!

Il y a quelques années j'ai retrouvé Vicky sur l'Internet. Elle habite en Californie. Elle se souvenait bien de moi et elle me dit qu'à sa grande surprise, le jour où elle me rencontra je parlais déjà l'anglais. Je sais qu'elle se trompe, car c'est impossible, mais cette affirmation me trouble car effectivement je n'ai pas d'accent quand je parle l'anglais et c'est vrai que je n'ai pas non plus le souvenir d'en avoir fait l'acquisition. Bizarre.

Ce fut une belle année où je trouvai enfin une place, un lieu de vie, le rire. Face à la compétition américaine mes camarades de classe à l'école française n'offraient aucun intérêt sauf le fils du concierge du lycée. Il se sentait isolé, seul parmi toutes ces filles, alors je jouais avec lui à grimper aux arbres ou à construire des trucs avec du bois et autres matériaux . C'était des jeux dont j'avais l'habitude, passant beaucoup de temps à la campagne à gambader toute seule dans les champs ou à roder pendant des heures près de la rivière.

Dès le plus jeune âge, j'avais joui chez moi d'une liberté sans bornes, pratiquement sans supervision et c'est sans doute pour cela que l'école fut toujours pour moi un carcan. Mais la classe de l'OTAN ouvrit d'un seul coup de vent toutes les fenêtres et me montra que l'on pouvait apprendre et s'amuser tout à la fois.


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mercredi 28 octobre 2009

L'école - la 10e (1963-1964)

Au début de l'année suivante, ma classe fut déménagée des Capucins à l'ancienne école des garçons, rue Paul Louis Courier. Ce déplacement géographique, bien que mineur, allait établir le style de ma scolarité : la mobilité.

En effet, voici ce qui m'attendait: en 9e, de l'école rue Paul Louis Courier , je fus transférée au lycée de jeunes filles, puis l'année suivante au lycée de garçons, pour me retrouver en 7e à l'annexe internationale de St Maur. J'y restai miraculeusement deux ans consécutifs pour réintégrer ensuite le lycée de garcons AKA Jean Giraudoux où je demeurai, O doux plaisir, O charmante époque, jusqu'à la terminale.

Je me souviens peu de l'école cette année-là ni de mes petites amies, mais plutôt de mon trajet de la maison à l'école et de mes rencontres avec les petits commerçants, la proximité (quelques mètres !!) de la prison municipale et la présence d'un forgeron sur le chemin qui laissa dans ma mémoire une marque indélébile, sans doute parce qu'il était l'un des derniers forgerons de ville.

La charcuterie, placée au coin de la rue Nationale et de la rue Paul Louis Courier, ne manquait pas de susciter en moi des émotions qui variaient d'un jour à l'autre. L'odeur des jambons, telle une fumée toxique, dévalait le long de mon nez, ma gorge, puis bifurquait directement vers mon œsophage et mon estomac. C'était là, dans cette organe pas encore initié à la pratique du petit-déjeuner que je commençais ma journée avec un véritable dilemme : comment un si bon parfum pouvait-il être interdit?

Il y avait aussi les lapins qui pendaient sanguinolents devant la vitrine. Leur corps était écartelé, vidé, leur tête se ballotait. Souvent je me suis demandée cette année-là si les parents de papa et maman et aussi leurs frères et sœurs avaient été pendus par les pieds et exposés en vitrine après avoir été gazés. Je savais très bien ce que "gazés" voulait dire. C'était une odeur qui descendait par le nez, la gorge, puis au lieu d'aller dans l'estomac elle allait dans les poumons. Moi, je faisais toujours bien attention en passant à côté de la charcuterie: jamais dans les poumons, l'odeur du cochon, jamais. C'était interdit de mourir, çà aussi je l'avais bien compris.

A l'école, débarrassée de mon ancienne maitresse qui était apparemment tout droit sortie des couloirs de l'Inquisition, je reprenais vie. Vers le début de la 10e l'institutrice demanda aux écoliers de trouver un mot avec le plus de syllabes possible, après nous avoir enseignés, bien entendu, ce qu'était une syllabe. Au bout d'un moment je levai la main et m'exclamai "Multicolore!" Abreuvée de compliments, je fus envahie par un bonheur puissant et durable. Les mots, me disais-je, n'étaient pas interdits.


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dimanche 18 octobre 2009

L'école - la 11e (1962-1963)

Trois mois avant mon 6e anniversaire, je rentrais en 11e à l'école des Capucins à Chateauroux. Je pesais 19 kilos et l'on se moquait de ma maigreur, de mes cheveux trop frisés et mon regard trop noir. A l'époque, peu de "métèques" habitaient la province et je faisais dissonance sur les photos de classe, entre autre.

J'avais des connaissances en hébreu. Apprendre à lire le français me sembla facile. Mon institutrice était sévère, méchante et sans pitié. Elle me frappa sur le visage un jour, quand j'utilisai mal le trait qui sépare les 2 parties d'un mot lorsque le mot se heurte à la fin de la ligne. Aujourd'hui je repense à la gifle énorme que cette erreur me coûta alors que je n'avais pas six ans et je reste incrédule devant autant de cruauté et imbécillité.

C'est grâce à cette institutrice dont j'ai bien heureusement oublié le nom et aussi le visage, que j'ai haï l'école tout le long de ma vie. Cet exemple n'en était qu'un choisi parmi d'autres. Un autre me revient à l'esprit mais je n'en parlerai pas, pour ne pas ressentir une nouvelle fois l'humiliation que j'avais ressentie alors.

Il ne me vint pas à l'esprit un instant de parler de ces violences à mes parents. Je me demande pourquoi aujourd'hui. Je me présentais à l'école tous les matins, comme les autres. J'arrivais le ventre vide, au grand désespoir de ma mère qui ne comprenais pas pourquoi je vomissais tous les matins. Il me fallu encore trois ans pour découvrir toute seule, comme une grande, que j'étais allergique au lait et donc à la chicorée au lait que ma mère me tendait tous les jours.

Outre mes déboires nutritionnels et scolaires, tout allait bien. J'avais une meilleure amie, Francoise Devillieres que j'adorais, ma soeur s'occupait de moi comme d'habitude avec beaucoup de soin et viligeance, je jouais du piano avec enthousiasme chez Me Hadt. Et pendant ce temps-là les bonnes qu'engageait ma mère se succédaient à la rapidité des bolides sur le circuit du Mans.

Le premier mot français que je sus lire, car j'appris à lire d'après la méthode globale, était "écureuil", ce qui fit beaucoup rire ma famille et présageait de mon intérêt futur pour les choses compliquées en général.

Ce fut une noire année ou j'avais mal au ventre, mal au coeur aussi ... Mais je ne me sentais ni seule, ni mal aimée. Je crois que déjà, j'étais une personne optimiste.




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dimanche 27 septembre 2009

Shana Tova


Pour la nouvelle année: bonheur, santé et prosperité.
Voici mes souhaits sous forme de diaporama.


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mercredi 5 août 2009

Respiration : mode d'emploi

Quand j'étais petite, je fus très tôt initiée à la science des bronches. J'eus sans doute ma première bronchite avant de pouvoir m'exprimer et la personne intelligente aura compris qu'avoir une bronchite, c'était ma façon de m'exprimer.

Voilà , voilà .... Les années passèrent. J'étais en 8eme dans la classe de Madame Fournier, au lycée Jean-Giraudoux. De Madame Fournier je n'ai que de bons souvenirs, ce qui en soi constitue une anomalie puisque j'ai toujours détesté mes institutrices. Je fus finalement libérée de ce fléau (les institutrices) quand je commençai à avoir des professeurs du sexe masculin et pus miraculeusement mieux respirer.

Où en étais-je? Donc en 8eme, étant très bonne élève, je fus désignée par Madame Fournier et ses supérieurs pour sauter la 7eme et atterrir directement en 6eme à la rentrée prochaine. Maman était bien contente que sa petite fille soit reconnue pour ce qu'elle était : un génie. Moi je m'en fichais. Très peu de choses m'intéressaient à cette époque. Je n'avais pas beaucoup d'amies. J'avais été transférée de la 9eme bilingue du lycée de jeunes filles à la 8eme bilingue au lycée de garçons. Mais j'étais la seule. Tous les autres enfants avaient été repartis dans d'autres écoles. Je m'ennuyais terriblement. Nous étions en 1963. J'avais les cheveux super-frisés et les gens dans la rue pensaient que j'étais arabe. Cela me plaisait assez.

En fin de compte, était-ce pour conjurer mon ennui épouvantable? J'attrapai une coqueluche et fus éloignée des bancs de l'école pour un bon moment. Cette coqueluche fut une des plus belles choses qui me soit jamais arrivée. Maman prit des congés de son travail à la fabrique et s'occupa de moi. Je regrettai plus tard de ne pas avoir réussi à faire durer la coqueluche plus de 2-3 mois. Je passai des moments sublimes, plongée dans l'extase, auprès d'une mère patiente, attentive et aimante.

Cet évènement respiratoire dernière moi, il me fallut faire face à l'évidence que je ne sautais plus la 7eme , ayant pratiquement sauté la 8eme. J'étais une nouvelle fois transférée, cette fois-ci à l'annexe internationale de Saint-Maur. Suivirent deux ans à l'annexe où je continuais à m'ennuyer et à récolter tous les premiers prix. J'ai le très net souvenir du jour de la distribution des prix, du visage de ma mère rayonnant de fierté et d'un sentiment profond chez moi de vide, d'absurdité.

Envahie par un manque de vivre et une tristesse permanente, je me plongeais dans la lecture de Jules Verne. Michel Strogoff fut une révélation dans la mesure où j'en tombais amoureuse de façon irréversible. Quand Strogoff n'était pas là et que j'en avais vraiment marre, je faisais une bronchite, la seule façon d'attirer l'attention de ma mère et la monopoliser pour quelques heures.

En 1978, l'année de mon mariage, j'ai laissé les bronchites chroniques dernière moi. Elles ne sont plus revenues - on tentera d'oublier une pneumonie en fin de grossesse qui ne m'a pas fait que du bien.

Tout cela pour vous dire que j'ai une bronchite; je pense à ma mère qui savait servir le thé au citron, mettre des cataplasmes à la moutarde, prendre la température, me donner le bouillon à la cuillère. Ah c'était le bon temps tout cà où nous jouions nos roles à la perfection.

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dimanche 26 juillet 2009

Le gardien, la secrétaire et le ventilateur

Souvent je travaille assise sur mon lit, le dos calé contre un oreiller judicieusement placé à la verticale. J'étends mes jambes vers l'avant comme si j'étais sur la plage et je me plonge dans mes papiers.

L'avantage de rester au lit c'est que l'on garde l'apparence d'une journée pas encore commencée. Cela revient en quelque sorte à mystifier la fatigue. Ne se croyant pas encore levé, mon corps reste calme et reposé.

Le laptop sur mes jambes, donc, je poursuis mes travaux de traduction ou de corrections. Le ventilateur bien en face diffuse l'air nécessaire pour respirer convenablement en cette fin de juillet. A ma droite, une tasse de café et un petit-déjeuner qui de page en page se laisse manger.

Mon petit-dejéuner consiste en un yaourt avec de la farine d'avoine. Des vitamines aussi, des D et des B et l'oméga 3 sans compter un comprimé contre les maux d'estomac et les antibiotiques contre une saleté que je me suis chopée on ne sait où le jour de mon départ de la France vers Israel.

Tout cela pour vous dire que je ne suis jamais seule, assise parmi mes feuilles et cahiers. Mon gardien et ma secrétaire ne sont jamais bien loin. Mon gardien a 15 ans passés. Il s'étale sur le côté gauche du lit. Je l'entends ronronner. Ma secrétaire n'a que 4 ans, cette jeunette. Elle se place toujours à l'opposé du gardien. Vivace, agile, un mot la fait sursauter.

Ainsi, à toute heure du jour ou de la nuit, dès qu'ils me voient assise sur le lit, mes deux chats se bousculent pour me tenir compagnie. Toute imprégnée de leurs ondes alpha, cela me rassure de les savoir là, fidèles, attentifs à ma respiration, à mes moindres mouvements, à ma présence.



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vendredi 3 juillet 2009

Mon père 24 + 28

Ce soir :cela fera 28 ans que mon père est décédé.

Conclusion: je l'aurai connu 24 ans en vie et 28 ans en mort. Si l'on soustrait les quatre premières années de ma vie ou je ne me souviens pas de lui ni de personne d'autre d'ailleurs à part ma nourrice, je l'aurai connu à peu près 20 ans.

Si quelqu'un m'avait avertie, je pense que j'aurais fait un effort pour le connaitre un peu mieux durant mon enfance et mon adolescence. Si quelqu'un l'avait averti, peut-être aurait-il fait un effort pour me connaitre un peu mieux durant mon enfance et mon adolescence. Ou peut-être pas.

Je crois qu'aujourd'hui, si un homme ne sait pas l'age de son enfant ni dans quelle classe il étudie, il est mal parti, en cas de divorce, pour que le tribunal lui octroie la garde de son enfant. Pourtant mon père qui était incapable de donner mon age ni évidemment ma classe et peut-être même pas le nom de mon école était un bon père. Le fait qu'il ne savait rien sur moi ne voulait pas dire qu'il ne m'aimait pas.

Mon père qui me définissait si peu, a su définir pour moi la planète en son entier. Même aujourd'hui, ma vision du monde se fait à travers le prisme que mon père a dressé pour moi.

Longtemps j'ai eu peur de l'oublier mais j'ai compris récemment que ce dont j'avais peur c'était d'oublier ce qu'il voyait quand il me regardait. Il y avait dans ce regard, pas seulement un amour inconditionnel mais aussi quelque chose de tranquille qui me rassurait, me donnait confiance et confirmait la légitimité de mon existence. J'avais peur de devenir absente.

Encore maintenant, j'ai besoin de ce regard. Mais il n'est pas là. Il n'a pas de remplaçant et je me résigne à l'évidence qu' il n'en aura pas.



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jeudi 25 juin 2009

Retour

Je suis de retour chez moi depuis lundi. Durant mon séjour en France les expériences se sont succédées, certaines douces et familières, d'autres plus intenses et parfois déroutantes.

J'ai retrouvé des membres de ma famille ainsi que des amis que je n'avais pas vu depuis presque 3 ans. Ces retrouvailles, bien que tout à fait réjouissantes, m'ont fait comprendre que mon éloignement avait créé des fossés. Un de mes proches m'a dit à ce sujet que nous évoluons et nous construisons au fur et à mesure du temps, comme les couches successives d'un oignon, ce qui fait que si l'on s'éloigne de quelqu'un, il risque de devenir un étranger, car il a changé dans le milieu qui l'entourait pendant que nous étions ailleurs à bâtir notre propre vie. Il semblerait donc que le temps sépare ceux qui s'aiment (tout doucement sans faire de bruit).

Je me demande à cet égard si mes contacts avec certains sur les réseaux sociaux, Facebook en particulier, atténuent la distance. Je pense que oui. Ces quelques mots jetés ici et là le long de la vie quotidienne, parlant du temps, d'un mal à la tête, d'une bonne ou mauvaise surprise, d'un quizz légèrement débile, d'une nouvelle idée, et surtout les photos qui échelonnent les récits de vacances, de fêtes, de sorties, tout cela aide à maintenir le contact. C'est un peu comme saisir la main d'une amie de temps en temps quand elle est triste et quand elle est gaie. On peut trouver dans Facebook des usages plus pratiques, promouvoir ses idées, une association ou même une entreprise.

A Paris j'ai été mise face à face physiquement avec l'absence de ma sœur. Alors que les autres sur place ressentaient ce vide depuis presque 3 ans, moi je l'apprivoisais pour la première fois. Quand j'avais 13 ans Polnareff avait écrit une chanson sur la maison vide.

Moi dans la maison vide, dans la chambre vide, je passe ma vie à écouter
Cette symphonie qui était si belle et qui me rappelle un amour fini.
Dans la maison vide


Les adolescents, ou à défaut Lamartine, savent saisir le vide de l'espace et cette chanson déjà me questionnait en 1969. Et pourquoi à cet âge me semblait-il déjà comprendre ce qu'était un amour fini? Ma mère avait perdu 10 frères et sœurs. Elle avait quitté sa famille à l'age de 19 ans en partance vers Varsovie, puis Paris. C'était en 1933 au milieu de l'hiver polonais.

A Issoudun, j'ai touché du plat de la main des inscriptions hébraïques datant du 13e siècle. La paroi de la Tour Blanche était douce et humide. Les prisonniers juifs autrefois capturés pour obtenir de grasses rançons laissaient ainsi leur trace. La tête toute chavirée dans les entrelacements du passé, je montais les escaliers - en haut s'étalait devant moi cette petite ville du Berry, si anodine, qui avait pourtant été une ville royale. En 1941 ma mère et son frère Aron y avait été arrêtés. Il fut envoyé au Vernet, transita par Drancy puis déporté à Auschwitz.

Après la guerre, personne ne fit de place pour l'absence des dix frères et sœurs de ma mère. Il fallut qu'elle fasse avec. Un cœur peut-il être dix fois plus lourd? Une maison peut-elle être dix fois plus vide? Paris dix fois plus dépeuplée?

Mon enfance était une citadelle vide où tous les absents avaient leur place. Avec des lames, des couteaux, des ciseaux, ils traçaient leur nom sur l'intérieur de mon âme, jour après jour, pour perpétuer la mémoire de leur existence et de leur nom.



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dimanche 7 juin 2009

Le retour

C'est bien étonnant. Comment ai-je pu négliger si ostensiblement mon blog? Est-ce que tout peut s'expliquer?

J'accuse: les social networks et comment dit-on cela en Français nom d'une bique? Les réseaux sociaux? Hum ...

Dans quelques jours je serai dans mon pays natal. Cela fera 2 ans et demi presque jour pour jour où je n'y aurai pas mis les pieds.

J'exagère quand même. Moi qui aime si bien la France, malgré ses trahisons, ses grimaces, je la délaisse, l'oublie presque.

Je l'aime encore et toujours, pleine d'allure, énergique, sublime. Ah ... là je crois que je parle de ma mère, mais justement ...

J'irai aussi dans cette ville maussade et exilée qui brûle pourtant dans mes entrailles comme une lanterne éternelle. Châteauroux. La ville s'efface, il ne reste que les gens aimés et les souvenirs.

Les souvenirs : de Chateauroux je n'ai pas que des bons souvenirs, mais je fais comme ma mère qui parlait de son petit village de Pologne, comme d'un royaume dont elle demeurait la princesse immortelle.

Voilà, c'est ca : à Châteauroux je suis immortelle. J'ai 3 ans dans les bras de ma nourrice et de ma mère. Je reste ainsi bercée alternativement, de l'une à l'autre je passe, confiante. Je suis aimée. Je ferme les yeux.


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vendredi 20 mars 2009

La musique

Mes premiers mots ne furent pas des mots mais des notes. A vrai dire je n'étais pas consciente de la signification de ce que j'écrivais. Me Hadt, la professeur de piano de ma sœur, me faisait tracer des lignes sur le tableau noir, avec tout d'abord sur la gauche, un grand signe qui s'appelait une clé. Il y avait , aux dires de Me Hadt, deux clés : celle de do et celle de fa. J'avais quatre ans. je barbouillais sur le tableau des clés de fa. La clé de do, je n'y arrivais pas, Me Hadt la traça pour moi. Alors, je pouvais dessiner des petits ronds entre les lignes. En plein sur la ligne du bas, c'était le mi. Juste au dessous de la ligne c'était le ré. Et puis le fa, confortablement calé entre la première et la deuxième ligne. Ma soeur jouait du Chopin. Me Hadt très diligente la surveillait de près.

Pendant ce temps-là , je jouais avec les ronds. Ce qui m'amusait c'était que chaque rond s'était pris d'amitié avec un son. C'était comme à la maternelle; avant d'entrer en classe nous nous mettions en rang, deux par deux. Moi je tenais toujours la main de Françoise et elle, elle tenait ma main. Moi j'étais le mi et elle elle était le son du mi et ensemble nous étions en harmonie, nous avions confiance en la vie. Ré, mi, fa, chantai-je alors que Me Hadt tapotait le devant du piano avec sa baguette et que ma soeur se redressait d'un seul coup. Ré, mi, fa chantai-je. Je pris la craie blanche et dessinai à coté du fa, un quatrième petit rond de nouveau au milieu de la ligne, puis un autre allongé sous la ligne. J'allai tirer la jupe de Me Hadt et elle lut ce que j'avais dessiné : fa, mi, ré lui dis-je. Ré, mi, fa, mi, ré.

Me Hadt est morte
il y a si longtemps. Elle ne sut jamais quelle influence elle eut sur ma vie. Elle ne sut jamais à quel point je l'adorais, la vénérais. Quand j'eus cinq ans à peu près, elle commença à me donner des leçons de piano. Elle était exigeante, sans pitié même. Tous les mercredis, comme une automate, je descendais la rue Nationale et faisait le chemin pratiquement les yeux fermés. J'étais toujours à l'heure. Après dix ans de travail acharné, elle me permit de jouer du clavecin dans son salon. Me Hadt demanda à M.Hadt de venir et cette imposante et ténébreuse personne m'écouta jouer en silence. Plus tard il ne dit rien et me regarda monter au premier étage avec Me Hadt là ou se trouvait sa salle de travail.

La tortue centenaire: j'étais déçue. M. Hadt n'avait rien dit. Je ne savais pas comment interpréter son silence. Me Hadt regardait par la fenêtre alors j'allai parler à la tortue. Elle était centenaire et vivait près du poêle dans la pièce du premier étage. Je caressai la carapace de l'animal, gravement. Il fallait des années de travail avant que Me Hadt emmène ses élèves au rez-de chaussé jouer du clavecin. M.Hadt devait être présent. Était-ce un rituel de passage? Le signe d'une promotion quelconque dans l'estime des deux pianistes? Pourquoi attendre si longtemps? J'étais déçue. M.Hadt n'avait rien dit.

Plus tard je cessai mes cours de piano. Je continuai à jouer et à écrire des chansons. Plus tard encore quand j'avais presque 20 ans, ma mère fit une grave hemiplégie et mes mains se figèrent sur le clavier - si je dis à jamais, me croira-t'on? A jamais ...

Souvent j'ai pensé au visage hermétique de M.Hadt le jour du clavecin. Il me fallut des décennies pour comprendre que les mots que j'attendais n'avaient pas été dits après ma séance de clavecin mais avant.

- La petite aux cheveux frisés, avait dit M. Hadt à Me.Hadt quelques jours auparavant, je l'écoute depuis un moment tu sais, on l'a met au clavecin mercredi?
- Déjà? Tu crois qu'elle est prête?
- Tu as fait du bon travail ma chérie. Félicitations.

Les deux professeurs de piano qui n'avaient jamais eu d'enfants continuaient de prendre leur diner ensemble dans le clair-obscur du rez de chaussé et pendant que Me Hadt, les joues humides, se mouchait dans sa serviette, M. Hadt enfournait des bouts de salade dans le bec affamé de la tortue centenaire en fredonnant : "ré, mi, fa, mi, ré".


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samedi 24 janvier 2009

Les collections

Quand j'étais petite: je collectionnais les timbres. Certains me ravissaient par leur couleurs tranchantes, leurs pastels mystérieux. Quelqu'un, me disais-je, avait pris la décision de publier ce timbre. Quels étaient ses motifs? Qui etait-il?

Plus tard: sans raison précise, je me mis à collectionner les pièces de monnaie. Je pouvais passer des heures à faire rouler entre mes doigts les pièces usées et douces sous la peau. Je les connaissais toutes comme mes propres enfants. Je les surveillais quotidiennement. Ma favorite était une grande pièce datant du 19e siècle avec un portrait de la reine Victoria. Je me demandais combien de personnes avaient tenu dans leur main cette même pièce que j'affectionnais tant. Des centaines, des milliers peut-etre?

Et aussi je mettais mise à collectionner les porte-clés. Je me souviens d'un ballon de foot, d'une tète de bon banania, d'un transistor. Mon préféré? Une casserole en cuivre toute rutilante. Certains choix ne s'expliquent pas.

Durant mon adolescence je collectionnais les livres. Tout Camus, tout Beauvoir, tout Sartre, tout Mauriac etc ... En fin de compte je m'entichais de l'oeuvre de Michel Tournier en 1974 pour ne jamais vraiment m'en remettre.

A l'âge de vingt ans, je commençais ma collection la plus importante: les théières. Je reçu ma première théière en cadeau le jour de mon anniversaire, dans une chambre de la clinique de Juvisy. Je n'ai jamais oublié que ma grande soeur avait voulu me rendre heureuse ce jour-là. Aujourd'hui j'ai environ quarante théières qui ornent mon salon et ma cuisine. ma théière favorite: c'est toujours la première, cela l'a toujours été.

Durant le début de mon âge adulte je collectionnais les biberons, les langes, les sucettes, les thermomètres, les antibiotiques liquides et les nuits blanches. A l'âge de trente et un an je rendais mon tablier - l'entreprise de repopulation de la planète se poursuivit dès lors sans moi.

Pour la suite, je collectionnais encore mais les objets de mon désir semblaient plus flous. D'autres que moi se sont essayés à définir la poursuite du bonheur. Les lire ne sert à rien. Il n'y a pas de travaux pratiques non plus. Il faut se démerder tout seul pour obtenir et vivre son propre bonheur.

Aujourd'hui je crois que je commence à collectionner les souvenirs, à les trier, les contempler, les engranger. Beaucoup de lettres ont été écrites et postées, beaucoup d'argent a passé de mains, beaucoup de portes ont été ouvertes puis fermées à clé, les livres ont été lus, les tasses de thé bues, les enfants bercés, les rêves poursuivis, le bonheur vécu, parfois perdu. Tout est imprimé.


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