dimanche 28 mars 2010

L'école - La seconde (1971-1972)

L'été 1971 j'étais en fait très adulte, habituée à prendre des décisions primordiales, donc très indépendante pour mon âge. Mais j'étais aussi toujours un peu à côté de la plaque et mes camarades de classe n'arrivaient pas vraiment à saisir mon personnage me considérant parfois comme une surdouée et parfois comme une attardée. J'étais bel et bien les deux à la fois.


Niveau littérature j'avais déjà lu la plupart des grands classiques français et les avais plus ou moins mémorisés par coeur. J'en étais à dévorer Garcia Lorca et Dos Passos quand mes parents eurent l'idée de m'envoyer passer un été en Israel avec le DEJJ.

Sur cet été que dire sinon qu'il fut terrible. Je n'avais jamais mis les pieds dans une boite de nuit et j'appris rapidement que ces petits jeunes du DEJJ adoraient les sorties. Cela faisait même partie du programme officiel. Les lumières disco clignotantes me donnaient la nausée et je n'étais pas branchée sur le flirt. Désemparée et morte d'ennui je me retrouvais au bar à boire des vodkas orange et réalisais que je tenais extraordinairement bien l'alcool.

Je m'étale sur cet été 1971 car j'ai du mal à embrayer sur l'automne qui suivit. Ma soeur s'était fiancée avec un jeune homme sympathique et toujours de bonne humeur. J'étais bien heureuse pour elle mais incapable d'assumer l'imminente séparation. Elle allait faire sa vie, et moi, j'allai me retrouver comme un vulgaire détritus, jetée dans un coin, seule. Mon indépendance, les grands classiques, la vodka orange, tout cela c'était du bidon: je n'étais ni adulte ni construite et sans ma soeur je devenais un bateau fantôme.

Le 28 novembre 1971 ma soeur se maria et je tachai de faire bonne figure pour ne contrarier personne. J'étais en seconde C. Sans qu'on y prêtât attention, que ce soit au lycée ou à la maison, je finis l'année à la dernière place de la classe en math et en physique-chimie. Le prof de maths me dit un jour dans un éclair de lucidité:
- Mais je ne comprends pas mademoiselle Wajzer, quand je vous demande de m'expliquer un problème, vous comprenez tout, vous comprenez mieux que les autres, mais comment vous faites pour avoir de si mauvaises notes?

C'était encore le temps où il n'y avait pas de conseillères d'orientation ou de psychologues dans les lycées et si vous aviez un souci votre seul remède était le cannabis ou le haschich. Mais cela non plus, ça n'était pas mon truc. Je noyais mon chagrin entre les oeuvres complètes de Camus et les vers d'Aragon. "Ma vie est à partir de toi" pensais-je. Ni les bras de mon ami, ni le sourire de mon amie ne pouvaient compenser le vide qui s'etait installé.

Si seulement j'en étais arrivée à Sartre dans mes études autodidactes j'aurais su que j'avais atteint très prématurément l'angoisse existentielle. Seules mes notes en math reflétaient fidèlement mon état d'esprit.

Résultat de l'affaire, déboutée de la filière scientifique je passais en première A. Je me consolais à l'approche de l'été en me préparant pour mon voyage vers le nouveau monde, là où mes cousins américains m'attendaient, plus précisement à Canarsie, Brooklyn.


Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2010