mercredi 20 octobre 2010

L'université - Vincennes Paris VIII (1975-1976)


J'avais passé l'été en Israel
comme volontaire au kibboutz Kfar Etzion. Prise en charge par un escadron de familles bien pensantes je me laissais ballotter entre les travaux de la cuisine, les parties de basket dans la salle de sport, les projections de films et les leçons d'hébreu sporadiques promulguées par les soldats du Nahal. Bien qu'ils aient plus ou moins mon âge ceux-ci me semblaient bien jeunes et naïfs. Un court passage par le kibboutz Shaalvim ou ma soeur s'était installée avec son mari et ses deux enfants m'emplit d'un espèce de bonheur qui était surprenant. Sans que je ne sus vraiment pourquoi, les vers de Baudelaire me revinrent à l'esprit.
Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble!
.
Était-ce l'endroit ou les retrouvailles avec ma soeur dont la présence avait toujours infusé en moi cette sorte de paix et bien-être?
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble!


A la rentrée, je fus tout de suite prise et envahie par une période morose. Et pourtant je vivais là, sans le savoir, ma dernière année avec une mère. Ignorante de ces derniers mois qui me restaient avant son hémiplégie je me glissais, sans raison palpable, dans un sentiment de vide et lassitude. J'avais quitté L'appartement de ma tante rue St Maur pour louer une chambre de bonne au 6 étage d'un immeuble à St Mandé à quelques mètres seulement de l'appartement de ma grande soeur. De la fenêtre de ma chambre qui donnait sur l'avenue Daumesnil je faisais face au zoo de Vincennes. La nuit, en m'endormant, j'entendais les animaux, surtout les éléphants dont le grabuge me donnait souvent des insomnies. Dans cette petite chambre je me recroquevillais sur moi-même. Je dessinais, j'écoutais de la musique, écrivais. J'oubliais d'aller à mes cours.

J'étudiais la linguistique et la littérature anglaise et continuais mes cours de théâtre à l'atelier de Serge Ouaknine, entourée par quelques amis fidèles avec qui, la nuit venue, je faisais la tournée des late shows. J'ai en mémoire une malencontreuse et pitoyable prestation théâtrale ou les acteurs vomissaient sur scène. Que ne fallait-il pas endurer pour se faire une éducation ...

Mes cours de littérature anglaise étaient pleins à craquer. Il fallait arriver en avance pour se trouver une place assise dans la salle de cours. Les retardataires restaient debout, certains dans le couloir. En 1975 Helene Cixous était déjà connue mais pas encore une véritable célébrité. Ses cours sur le déchiffrement sémantique des messages publicitaires sont restés dans ma mémoire de façon indélébile. Elle nous dessillait les yeux et ouvrait notre intellect comme on ouvre un fruit, pour nous engager vers une écriture féminine qui s'échapperait des structures prépondérantes acceptées.

C'est durant cette année-là que Catherine et moi fiment une virée en Normandie. C'est au café du Perroquet Vert à Honfleur que nous avons rencontré un drôle d'individu. Pupille de la nation, il vivait avec sa grand-mère dans une vieille maison près du port et travaillait dans les chantiers de la région. Catherine dont le père était chef d'industrie et moi dont les parents possédaient une fabrique, firent le soir-même connaissance de la grand-mère qui vivait sans électricité et dormait dans la cuisine sur une planche placée sur deux chaises. Le jeune homme nous donna le seul lit de la maison (le sien) et dormit dans la baignoire. Le lendemain il nous montra son chantier en pleine campagne et nous présenta ses amis rafistoleurs de résidences secondaires: chacun avait son histoire.

Vers le début du mois de mai je commençai un travail de surveillante à l'école Lucien de Hirsh, y retrouvant des enfants dont j'avais été la monitrice l'été précèdent. Madame Picard, la directrice, qui avait eu vent que ces enfants me tutoyaient - comme ils l'avaient fait en colonie de vacances - me fit venir dans son bureau et me colla un bon sermon. Je ne savais pas être autoritaire et je gallerais. J'avais envie de jouer avec les enfants, pas de les surveiller et de les gronder.

Je me préparais à refaire une colo de l'OSE a Raon l'Etape pendant le mois de juillet, puis, en septembre, rejoindre Tel-Aviv et le kibboutz de ma soeur. Mais l'été 1976 se termina tragiquement. Le 31 août, alors que j'étais déjà en route pour l'aéroport de Paris, je dus revenir la nuit-même sur Chateauroux. Ma mère avait fait une hémiplégie et sa vie était en danger. Le jour-même elle m'avait emmenée faire les magasins rue Victor Hugo. Elle m'avait acheté des sandales et une jupe en jean avec une longue fermeture éclair sur le devant. Mais tout de ce que j'avais connu avec ma mère, tout se terminait.



Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2010