samedi 30 janvier 2010

L'école - La cinquième (1968-1969)

Au retour de mes vacances d'été je ne retournai pas à l'annexe internationale mais réintégrai bien malgré moi le lycée Jean Giraudoux où j'avais complété ma 8e dans le passé. Ce retour à la ville, dans un établissement assez imposant de par sa taille et ses effectifs, tout cela contribuait à me rendre anxieuse. Somme toute mes deux années à l'annexe ne s'étaient pas trop mal passées même si je m'étais ennuyée et m'étais fait très peu d'amies. Les cours m'avaient intéressée et grâce aux poursuites sadiques de Gilles, je démarrais la cinquième une véritable athlète, un fait que le prof de gym sut tout de suite repérer.

Ainsi,au lycée, je me retrouvai immédiatement dans l'équipe de basket et en compétition au niveau départemental en saut en longueur. Dès mon premier saut je me qualifiai pour les compétitions régionales. Ce succès rapide ne me procura aucune satisfaction. Preuve en est que je n'en parlais à personne, peut-être pour ne pas faire ombre à ma sœur qui tenait le rôle de la sportive dans la famille et y était très attachée.

Dès le début de la rentrée scolaire, en septembre 1968, je fis deux rencontres qui allaient façonner ma vie et la changer à jamais. Je rencontrai celle qui serait pour toujours ma meilleure amie et celui qui resterait à jamais mon premier amour. Ces deux rencontres furent éblouissantes, des coups de foudre parallèles, absolus. Au contact de cette double amitié je ne me reconnaissais plus, j'évoluais d'un jour à l'autre transportée par la puissance de ces deux aimants qui se partageaient mon cœur, ma tête, mon existence.

Le jour où il entra dans ma vie ce jeune garçon de 15 ans l'illumina comme un roi soleil. Cette brutale plongée à un bien jeune âge dans le domaine romantique ne m'empêcha pas d'être fascinée en même temps par cette autre enfant, parisienne égarée en province, dont la douceur et l'intelligence ravissaient mon âme.

Ainsi je grandis cette année-là à la vitesse d'une comète.
Je ne prêtais guère attention à mes devoirs, les cours, la classe. J'avais découvert que j'avais un cœur et qu'il savait vibrer. Je jouais mieux au basket, je courais plus vite, je sautais plus loin, je jouais mieux mes partitions de piano. Je ne m'ennuyais plus.

J'avais tant souffert
de l'éloignement de ma sœur qui était étudiante à Paris et sans qui, tout simplement, je ne savais pas fonctionner... Finalement, je m'étais découvert une raison de vivre. Que dis-je, j'avais deux raisons de vivre et elles allaient rester à mes côtés, fidèles, immuables dans leur affection, jusqu'à ce que moi-même, de la façon la plus abrupte possible, je décide de m'en éloigner. Mais cela est une autre histoire qui aura lieu près d'une décennie plus tard.


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samedi 2 janvier 2010

L'école - La sixième (1967-1968)

L'été 1967 avait été marquant. Au lendemain de la guerre des six jours en juin 1967, mes parents se découvrirent une veine sioniste et estimèrent indispensable de faire le voyage vers cette contrée lointaine. C'est ainsi que ipso facto je me retrouvai devant le mur des lamentations fraichement libéré des mains jordaniennes puis fièrement debout près de mes parents, devant des fils barbelés démarquant la frontière syrienne. Curieuse, je ramassai un caillou et constatant qu'il était noir et d'une nature poreuse, je le tendis à mon père.

- C'est quoi? Demandai-je.
- C'est une roche volcanique, dit-il.
- Un volcan? Mais papa ... Et s'il explosait de nouveau le volcan?
- Il a déjà explosé. C'est fini, tu comprends, les guerres sont terminées.
- Il est si beau notre pays, dit ma mère.

Sur un rocher des amoureux avaient gravé leurs noms, Deborah et Moshé. Moshé lui-même fera encore trois guerres, la guerre d'attrition, la guerre de Kippour et la guerre du Liban. Ses fils se battront aussi au Liban et ses petits-enfants encore bébés, porteront des masques à gaz pour se protéger des bombes irakiennes. Puis, à l'âge d'être mobilisés, ils retourneront sur les pas de leur père et de leur grand-père, au Liban, mais aussi à Gaza.

Je commençai donc la nouvelle année scolaire le cœur gonflé de soleil, la tête toute emplie de nouvelles idées de patrie et attachement national. Il ne faisait pas de doute que j'étais dans le camp des vainqueurs. Cependant pour compenser cette belle humeur, je devais affronter une grande contrariété et c'était le départ de ma sœur Geneviève vers la capitale. Sans sa présence je n'avais plus de mère, ni de père et je devenais littéralement une enfant laissée à elle-même.

A l'annexe internationale de St Maur, je n'étais pas plus vainqueur ou intéressante qu'une mouche sur un mur. Je retrouvais la monotonie des salles de classe et l'ennui m'envahissait jour après jour, tel une maladie incurable. Gilles avait disparu et je réalisais que ses méchancetés ne m'avaient pas fait que du mal. Je me résignais à la morosité et même à la mélancolie quand le regard d'un petit bonhomme de mon âge, que j'appellerai A., changea mon état d'esprit. Totalement lumineux, ses yeux bleus semblaient vouloir dire: « ne t'en fais pas, tout va bien, je m'occupe de tout ». J'avais en fait découvert là mon premier regard d'homme enfin ce que j'allai toujours chercher dans le regard d'un homme, un message simple qui dirait avec des mots différents: « les guerres sont terminées ».

Toujours aussi peu féminine, je ne parlais pas aux filles, jouais avec A. dans l'énorme parc du château et connaissais des moments de bonheur éblouissants quand je courais plus vite que lui. Sans qu'il le sut jamais, la gentillesse et la beauté de ce gamin de 12 ans furent pour moi un tranquillisant naturel et me redonnèrent confiance.

Mon année de sixième s'acheva sur les évènements de mai 68 auxquelles je portai peu d'intérêt bien que ma sœur Geneviève y soit justement mêlée, étant étudiante à Paris. J'observais pourtant le visage pâli de mon père devant la télévision.

Moi et mes camarades de classe avions 11-12 ans en mai 1968. Nous ne savions pas encore que d'autres pour nous se battaient, pour que nous abordions l'adolescence sans les contraintes de l'ordre ancien, pour avoir plus de droits, plus de libertés, plus de choix.



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