jeudi 18 août 2011

Melodie en sous-sol: rien, c'est bien

Au 5e jour je commence à m’habituer. Je suis une personne, en fait, qui aime les habitudes. Par exemple marcher exactement sur le même chemin 2 fois par jour. J’aime beaucoup marcher. Le chemin que je fais à pied entre la station de train centrale à Tel-Aviv et l’hôpital me plait. Mais c’était du tout vu ; je savais d’avance qu’il allait me plaire.

J’aime tout d’abord le passage entre le carrefour vaste et bruyant près de la gare, où l’attente du feu vert sous un soleil blanc et décomposant se compte en secondes brulantes, et le trottoir ombragé de la rue Arlozorov. Marcher une dizaine de minutes à 2h30 de l’après-midi sans un rayon de soleil, calmement, juste éviter les vélos, les chiens, les poussettes. Mais il y en a bien peu. C’est l’heure de la sieste, l’heure trop chaude. Et pourtant, entre la gare et la rue Weitzman, sur Arlozorov, une brise légère se faufile dans l’air, il fait doux. Et dans mon cœur aussi, 10 minutes de bonheur se faufilent et s’’entrelacent avec tous les bonheurs que j’ai connus.

Le service de radiothérapie se trouve en sous-sol, 2 étages en dessous pour être précis. L’attente se fait dans une salle sobre et agréablement aménagée. Les patients ont à leur service un espace Wifi, un distributeur d’eau froide et chaude, une photocopieuse, une grande télé à écran plat. Chaque patient à son arrivée doit faire passer sa carte codée sous un lecteur de carte. Ainsi ces messieurs dames des accélérateurs de particules, sont informés de sa présence.

Au 5e jour je reconnais quelques visages. Le quadragénaire un peu hirsute qui finit son traitement à la fin de la semaine. Le monsieur perse âgé, qui vient tous les jours avec son fils. La dame de mon âge qui a perdu des cheveux et qui m’a montré la première fois comment ne pas se louper en faisant passer la carte sous le lecteur. Et puis il y a cette femme toute svelte, jolie et délicate qui une fois est venue avec ses enfants, mais vient non-accompagnée, autant que j’ai pu le constater. C’est curieux parce que j’ai de la peine pour elle, elle est si jeune encore, elle devrait être à cette heure en train de faire du shopping, à la plage avec ses mômes ou en croisière avec son mari quelque part.

Comme c’est facile d’avoir de la peine pour les autres. Comme c’est simple. Hier cette jeune femme m’a souri largement à l’entrée de la salle de traitement. Ainsi nous nous croisons depuis le début de la semaine. C’est une véritable industrie: 4 accélérateurs au rythme de 5 minutes par patient. Cela en fait du monde ma petite dame.

Moi , je suis bien contente de n’avoir jamais accompagné ma mère à la rencontre de particules. Moi, j’avais une bonne mère qui a eu la sagesse et l’intelligence ainsi que l’honnêteté de ne pas me trainer jamais deux étages en sous-sol. Ah ce que cela fait du bien de dire des bêtises. Je me sens mieux déjà, rien qu’à m’entendre dire n’importe quoi, plaisanter sur rien, rire pour rien. « Rien », après tout, ce n’est pas une si mauvaise chose.



Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2007-2011

mercredi 17 août 2011

Melodie en sous-sol: souvenirs d'ivresse

Premier jour de radiothérapie à l’hôpital. Quand ma petite affaire fut finie David et moi sommes allés au centre commercial adjacent et avons mangé, surtout moi, qui n'avait pas mangé à midi, sans doute un peu nerveuse à l’idée de commencer ma thérapie.

C'est en mangeant mon shwarma, les dents dans ma pita, le palais englué par le houmous, que tout a coup j'ai été attaquée par une flopée de souvenirs datant de l’année 1973. A cette époque également je fréquentais les hôpitaux. En décembre 1972 papa avait été hospitalisé à la clinique Saint-Francois à Châteauroux, puis quelques mois mois plus tard il se trouvait à Cochin, puis à Tenon. Cette période dura 10 mois en tout et pour tout.

Ce dont je me souvenais ce n’était pas l’hôpital où mon père gisait plus ou moins mourant le long des saisons de cette année très lugubre. Non, je me souvenais des cafés et des restaurants à proximité de l’hôpital. Il y en avait une quantité absolument interminable et ma mère et moi y passions nos week-ends face à face entre deux visites dans la chambre de papa.

A cette époque, ma mère et moi vivions ensemble pendant la semaine dans la maison à Châteauroux mais parlions peu. Terrorisée à l’idée que papa puisse mourir, maman se sentait très seule. Moi, c’était pareil. La grande différence entre nous était que maman pleurait énormément et moi pas du tout. C’était comme si tacitement les rôles avaient été partagés entre nous: maman souffrait, moi non.

Dans les cafés des environs de l’hôpital, ma mère et moi finiment par trouver un langage commun. Nous nous regardions souvent les yeux dans les yeux entre deux bouchées et nous nous parlions aussi. Je ne me souviens pas de quoi nous parlions. De papa peut-être qui un jour allait pire, un jour allait mieux. Ces états fluctuants nous plongeaient dans l'angoisse de le perdre, de nous perdre nous-mêmes, puis successivement dans une sorte de délire que rien au monde ne pouvait freiner, tout aussi brutal qu'il était éphémère.

Alors dans notre exaltation nous mangions sans restreinte et longuement. Lorsque le serveur enquêtait de notre si bonne humeur, ma mère et moi rions aux éclats comme de véritables gamines, ivres sans avoir bu, affamées de bonheur, juste un peu de bonheur.


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mardi 2 août 2011

Melodie en sous-sol: rien ne va plus

J’ai besoin de me retrouver un peu. Rien de tel qu’une petite virée au département de radio-oncologie de votre hôpital préféré pour se remettre les idées en place. A priori, il se passe peu de choses. C’est d’ailleurs un peu déroutant, le fait que chaque étape du traitement soit si peu de chose.

Même quand je me suis faite opérée, on m’a dit « quelle chance tu as, cela a été pris à temps, tout va bien se passer ». Mais moi dans mon for extérieur je le sais bien; chez ma sœur aussi cela avait été pris à temps – dommage hein qu’elle ne soit pas là pour nous donner plus de détails.

Donc, l’opération, rien je vous le dis. Tout le monde le dit d’ailleurs, surtout le chirurgien qui lui, ma pauvre dame, lui il sait ce que c’est les cas graves, alors moi, c’était rien. Ce qui est le plus triste, c’est que je joue le jeu. Je le dis à tout le monde comme un perroquet: c’est rien j’vous dis.

Pourtant quand je suis face au miroir, lui il ne s’amuse pas à répéter des fadaises. Il me reflète et il dit : et merde alors, ca fait tout de même 7 centimètres de long ce bazar. Oui, lui dis-je mais c’est 7 centimètres de rien, alors tout va bien.

En radiologie la salle était éblouissante, fluorescente. Il faisait très froid. Vraiment glacé. Je n’étais pas là encore pour les rayons. Juste quelques petites préparations. Par exemple les petits tatouages. Juste un petit point, comme un grain de beauté, me dit-on. Un petit point multiplié par 6 tout de même et ces 6 tatouages sont indélébiles. Heureusement que maman n’est pas en vie pour entendre cà.

Mais j’oubliais, ce n’est rien. Rien n’est rien. A force d’entendre tout le monde me casser les oreilles avec ces « rien », je deviens bébête, je deviens une poupée de bois, une poupée de paille qui dirait « rien rien » automatiquement juste pour qu’on continue à l’aimer.

En conclusion, il faut savoir que les riens des autres n’ont pas pour objectif de me déshumaniser. Le but est au contraire de me rassurer. Et moi je leur dis à tous ceux qui veulent me tranquilliser: laissez-moi décider ce qui est rien et ce qui n’est pas rien. C’est ma maladie, c’est ma chair et c’est ma vie. Quand j’aurai besoin qu’on me rassure je vous ferai signe.



Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2011