mardi 20 avril 2010

L'école - La première (1972 -1973)

J'avais des cousins en Amérique et ma mère avait décidé de m'y envoyer passer l'été. Peut-être avait-elle compris que mon expérience de l'année précédente avec le DEJJ n'avait pas comblé mes attentes. A Brooklyn, je m'adaptais comme un poisson dans l'eau une fois dépassées quelques barrières culturelles de moindre importance. J'étais par exemple très peu habituée à manger des steaks à 5h de l'apres-midi, je ne comprenais pas pourquoi ma jeune cousine de 14 ans et ses petites amies hurlaient au lieu de parler et j'avais quelques difficultés à suivre ces jeunes hommes qui causaient en mâchant du chewing-gum.

Déjà, étant petite ,j'avais partagé les bancs de l'école avec les américains. Ce fut pour moi l'occasion de m'entendre enfin avec les filles en tant que groupe. Je les trouvais plus directes et plus conviviales que les petites françaises. Quant aux garçons américains, je ne m'étais pas formé d'opinion. Mais là, à Brooklyn, nous étions en 1972 et les petits garçons avaient grandi. Ah ... Les jeunes hommes américains ... Ce sujet devint actuel dès l'été 1972 et le demeura à jamais.

Je fis un rêve, allongée au bord d'un lac non loin de l'université de New Palz dans les Catskils. Je ressentis la présence d'un jeune homme qui voulait m'épouser. Je notai ce rêve dans mon carnet de voyage et n'y pensais plus. Cinq ans plus tard, mon interlocuteur, un jeune américain immigré en Israel, me dit qu'il avait fini ses études à New Palz en 1974 et je me souvins de mon rêve et le reconnus sans aucune hésitation. Je me fiançai avec lui trois semaines seulement après ce premier échange.

En septembre 1972 je rentrai en première A, laissant derrière moi un prof de math penaud et retrouvant ainsi ma Catherine. Ensemble nous ne pouvions qu'être heureuses et ma vie, en quelque sorte, reprenait. Entre temps ma soeur donna le jour à son premier enfant et cet évènement me fit définitivement comprendre qu'il fallait qu'elle fasse sa vie et moi la mienne. J'en étais là de mes projets quand mon père, le 18 décembre 1972, fit une crise cardiaque. Il fut d'abord hospitalisé à la clinique Saint François à Chateauroux, puis, suite à des complications allant en s'aggravant il se retrouva dans les hôpitaux de Paris, à St Antoine d'abord, puis à Tenon.

Mon père resta hospitalisé jusqu'en septembre 1973. Durant cette période, parfois il allait mieux, parfois il était mourant. Je le voyais peu, les week-ends seulement et passais le reste de la semaine dans une maison vide. J'avais 16 ans, ma mère 59 ans et malgré quelques efforts aussi bien de sa part que de la mienne, nous n'avions rien en commun, sauf une espèce de peur au ventre perpétuelle que nous n'arrivions pas à partager mais qui nous gardait ensemble tout de même. Ma mère, qui était une très belle femme, se battait comme une lionne - n'ayons pas peur du gros cliché - , surveillait les soins de mon père à distance tout en continuant à diriger la fabrique. Quant à moi mon rôle était simple: ne pas faire de vagues.

En juin 1973 ma mère prit le train pour Paris à 7h35. je l'accompagnai sur le quai. Cette fois-ci papa avait 41 de fièvre et le pronostic était mauvais. Je ne pris le train que dans l'après-midi. Ma mère pensait sans doute que j'étais allée à mes cours au lycée, mais en fait j'avais passé mon bac de français. J'avais trouvé inutile de le lui dire. Cela semblait absurde de passer son bac le jour ou mon père mourait. En fin de compte papa survécut encore huit ans. Moi j'obtins 15 à mon bac et jubilais.

Cette année-là m'était passée dessus comme un rouleau compresseur et pourtant je n'avais pas perdu pied entourée encore et toujours par les deux comparses (ennemis) de mon enfance, Catherine et Bernard. Avec Catherine, source constante de mes joies, j'oubliais les odeurs de l'hôpital et me souvenais de mon jeune âge et de la perspective de toute une vie devant moi. Bernard aimait profondément mon père et ne pouvait cacher son inquiétude. Déjà bien établi dans son rôle de grand frère, il se retrouva dans le rôle ambitieux de Grand Protecteur Général, jouant le rôle de père, mère et frère à la fois. Il me couvrait de tendresse avec autorité comme au premier jour, quand j'avais 12 ans seulement et que du haut de ses 15 ans il m'apprenait l'hébreu au Talmud Torah et parlait avec exaltation de l'état d'Israel.

Et justement, alors que mon père était enfin rentré à la maison, convalescent, et que la vie reprenait son cours, en Israel la guerre de Kippour éclata. En octobre 1973, Bernard avait presque 20 ans et il se porta volontaire.




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