lundi 14 mai 2012

Le Cher: la rive gauche vers l'amont


La rivière à Preuilly ne faisait pas partie de la géographie du département ou de la géologie du territoire. Le Cher était un de mes organes.

Pas un jour ne passait sans que je descende à la rivière. Je ne saurais dire quand mes escapades solitaires le long du Cher ont commencé. Quand j’étais vraiment petite à partir de l'âge de 6 ans à peu prés, nous, les enfants, nous partions en petit groupe de 3 ou 4. Nous partions à l'aventure. Nous commencions notre marche à la plage, dépassions la buvette, montions le chemin longé de quelques maisons, puis nous prenions le petit chemin qui, le long de l'eau, montait vers Saint Thorette.

C’était ce petit chemin qui menait au bateau de mon père, un bateau en aluminium peint en bleu, qui fut pour moi, toute ma vie,  l'objet d'un culte. Je crois que si mon frère ne l'avait pas donné à un quelconque pécheur après la mort de mon père, j’aurais acheté un étang pour lui donner un toit, à ce pauvre bateau perdu qui était devenu orphelin, bien trop tôt d'ailleurs, bien trop tôt.

Mais je m’égare. Nous dépassions le lieu d’amarrage du bateau. Bientôt fatigués nous nous allongions dans les champs de blé et mâchouillons des épis. Ils étaient totalement insipides, mais la tige n’était pas mauvaise. Certains parmi nous hésitaient à continuer vers Saint Thorette à 2 kilométrés de distance. Souvent, quand un troupeau de vaches se profilait à l'horizon, nous décampions à toute vitesse. Nous n’étions que des enfants, intrépides certes et très indépendants, mais des enfants tout de même. La seule qui n'avait pas peur des vaches, c’était bien entendu Mireille qui à ses heures perdues les gardait.

Avec le temps, nous avions apprivoisé la rive. Nous connaissions chaque recoin de la végétation dense et sauvage le long du cher. De plus en plus je faisais des expéditions en solo. Je m’étais désigné un but très simple: le bateau de mon père. Papa ne péchait pas toujours au même endroit selon la température. la direction du vent, ce qu'il avait observé la veille sur la rivière. Mon jeu consistait donc à retrouver le pécheur et son bateau. C’était un jeu de piste nautique sur 2 kms de rive, en général sur la rive gauche, dans la direction de Saint-Thorette.

Parfois il fallait peu d'effort pour le trouver. Il était bien en vue, sur une partie de la rive tout à fait accessible. Dans ce cas là, une fois que je l'avais repéré, debout au bord de l'eau je m'époumonais à l'appeler; quand il me voyait il me faisait des signes de la main. Et c’était fini; je pouvais revenir sur mes pas. Mon but était atteint, j'exultais de bonheur. Ces moments étaient les plus beaux de ma vie. Ils les ont toujours été.

Mais il arrivait aussi que papa place son bateau à un niveau de la rivière ou l’accès était impossible. Il fallait pour accéder au bord de la rive d’abord enjamber des fils barbelés, ce qui n’était pas toujours une mince affaire et ensuite, parcourir des terrains à végétation très dense  avec des orties, des ronces, tout cela pour se retrouver de nouveau devant des fils barbelés. Une fois, par un beau matin, ne voyant pas comment traverser de très hautes ronces,  je me dis qu'il fallait mieux, avant de m’aventurer plus avant, que j'essaie de repérer exactement le bateau.

Je grimpai donc sur un arbre mais alors que je chevauchais une branche dans le but de me mettre debout et accéder à une branche plus haute,  mes mains glissèrent soudain et je fis tout le tour de la branche pour me retrouver accrochée tel un singe la tête en bas à 5 mètres du sol. Imaginez mon embarras ... Je compris qu'il fallait surtout ne pas me fouler une cheville ou un truc de ce goût-là car on ne pourrait pas me trouver facilement. Mais j'avais des ressources et à 10 ans on est agile!! J'arrivai à reprendre appui sur cette fameuse branche qui m'avait trahie, escaladai encore une branche ou deux et là, entre deux haies,  je discernai le mouvement d'une canne à pèche que l'on venait de lancer à l'eau. Perchée dans les cimes, j'observai la scène, jusqu’à ce que le bout d'un chapeau et le reflet de ses lunettes me confirment qu'il s’agissait bien de mon père.  Je l’avais trouvé. C’était fini.

Je n'essayai pas de l'appeler car il était trop loin. En un temps trois mouvements je descendis de mon arbre, sautai sur le sol et  repris le chemin de ronces et orties mais cette fois-ci dans la volupté la plus totale et avec le sentiment d'avoir accompli ma mission. Encore un dernier fil barbelé et je rentrais à la maison ou ni les nombreuses écorchures et éraflures, ni les marques écarlates des orties, ni les petits hématomes ici et là ne soulèveraient la moindre question. Personne ne me demandait jamais rien. Tant que j'assistais aux repas, c’était tout bon. Il ne me restait plus qu'à concocter une autre balade pour l’après-midi, peut-être à l'aval du Cher, cette fois-ci.




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