mardi 3 avril 2012

Preuilly sur Cher - Mireille


Nous allions à Preuilly le week-end quand il faisait beau, même l'hiver, et aussi bien entendu pendant les vacances. Preuilly qui était certes la campagne, était devenu pour nous tous non pas une résidence secondaire mais plutôt une deuxième maison. Nous y vivions une véritable existence, pas une existence parallèle. Parfois en fait, Preuilly prenait le dessus et semblait jouer le rôle de la vraie vie.

Mireille Delaporte n’était donc pas
une copine de vacances, mais plutôt une amie pour de vrai avec qui je partageais des choses vraies. Elle avait un air espiègle et une voix qui claironnait à la fin des phrases. Nous nous connaissions depuis toujours.

Un de mes premiers souvenirs concernant cette petite paysanne dont la ferme nous côtoyait, se situe quand j'ai eu la rougeole. Je me revois encore gisante dans le lit de mes parents avec la voix de maman horrifiée en bruit de fond "40 et demi, elle a 40 et demi, il faut faire quelque chose". Je me souviens distinctement que je délirais. Alors, Mireille a apparu dans la pièce. "Maman m'a dit de venir pour l'attraper". Mais personne ne faisait attention à Mireille, qui grimpa sur le lit et tout naturellement s'allongea à côté de moi. Elle riait de bon cœur.

Mireille et moi passions
beaucoup de temps dans la nature. Nous avions en gros deux lieux de prédilection, le bord du Cher et les champs à la sortie du village. Sur le Cher, les expéditions furent multiples et très différentes les unes des autres. Souvent nous nous associons à d'autres d'enfants pour partir ensemble du côté de la carrière. Nous nous évadions des heures entières, parfois toute une journée. Sinon, nous longions la rivière à l'aval du pont dans la direction de Quincy. Quand il faisait chaud nous marchions dans l'eau jusqu’à de minuscules îles où grandissaient des fleurs de savon. Je ne sais pas quel était vraiment leur nom. Nous en prenions les pétales et les frottions dans nos mains. On obtenait un liquide mêlé de petites bulles.

Mireille avaient ses tâches
à accomplir à la ferme. Elle devait, entre autre, sortir les vaches. Souvent je la rejoignais dans les champs et nous passions de bons moments à nous raconter des histoires. Elle avait un sens pratique absolument extraordinaire et cela m’était bien utile. Moi, je ne savais pas grand chose. J’étais entourée d'adultes, de servantes. Je n’étais pas bien dégourdie.

Ce qui m’étonnait chez Mireille, c’était non seulement ses ressources mais surtout son optimisme et sa bonne humeur. Je dois dire que cela m’échappait un peu. Ce bonheur de tous les instants me semblait incongru. Bien sur, dans ma famille on savait s'amuser et partir en fou rire délirant. On savait bien manger, profiter, aimer. Mes parents savaient vivre. Et pourtant le bonheur insouciant sur le visage d'un autre, m'a toujours semblé suspect.

Et puisqu’il est question de bonheur
, une de nos plus belles expéditions se cantonna au périmètre du village. Nous sommes allées cueilleur des trèfles à 4 feuilles et sommes passées chez tous les voisins pour les vendre. Chacun nous donna en échange soit une boisson, soit un fruit, un petit gâteau, un bonbon. Toutes les deux nous nous sommes juchées sur le mur prés de la place de la mairie, là où poussait un poirier, et nous avons contemplé notre butin avec délectation.

Nous avons tout mangé.
Nous avons aussi cueilli des poires qui n’étaient pas encore mures en guise de dessert. Je suis allée chercher à la maison les fraises que maman avait achetées la veille. Nous étions repues, gonflées comme des baudruches. Nous ne savions plus comment descendre du mur. Enfin, nous ne voulions plus bouger. Alors nous sommes restées là jusqu’à ce que le soir tombe et nous avons écouté la chorale des criquets, puissante sur la nuit.

- Maman doit croire que je suis chez ma sœur, dit Mireille.
- Maman doit croire que je suis chez toi, dis-je.
- Demain on ira cueillir des mures, dit Mireille.
- Et des fraises des bois. T'as mal au ventre?
- Ben oui c'teu question.

Nous commencions à fermer les yeux
, épaulées l'une contre l'autre, ses cheveux blonds filasses sur les miens noirs frisés. Sur le mur prés du poirier, nous nous sommes endormies. Nous avions environ 6 ans.



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