mercredi 28 octobre 2009

L'école - la 10e (1963-1964)

Au début de l'année suivante, ma classe fut déménagée des Capucins à l'ancienne école des garçons, rue Paul Louis Courier. Ce déplacement géographique, bien que mineur, allait établir le style de ma scolarité : la mobilité.

En effet, voici ce qui m'attendait: en 9e, de l'école rue Paul Louis Courier , je fus transférée au lycée de jeunes filles, puis l'année suivante au lycée de garçons, pour me retrouver en 7e à l'annexe internationale de St Maur. J'y restai miraculeusement deux ans consécutifs pour réintégrer ensuite le lycée de garcons AKA Jean Giraudoux où je demeurai, O doux plaisir, O charmante époque, jusqu'à la terminale.

Je me souviens peu de l'école cette année-là ni de mes petites amies, mais plutôt de mon trajet de la maison à l'école et de mes rencontres avec les petits commerçants, la proximité (quelques mètres !!) de la prison municipale et la présence d'un forgeron sur le chemin qui laissa dans ma mémoire une marque indélébile, sans doute parce qu'il était l'un des derniers forgerons de ville.

La charcuterie, placée au coin de la rue Nationale et de la rue Paul Louis Courier, ne manquait pas de susciter en moi des émotions qui variaient d'un jour à l'autre. L'odeur des jambons, telle une fumée toxique, dévalait le long de mon nez, ma gorge, puis bifurquait directement vers mon œsophage et mon estomac. C'était là, dans cette organe pas encore initié à la pratique du petit-déjeuner que je commençais ma journée avec un véritable dilemme : comment un si bon parfum pouvait-il être interdit?

Il y avait aussi les lapins qui pendaient sanguinolents devant la vitrine. Leur corps était écartelé, vidé, leur tête se ballotait. Souvent je me suis demandée cette année-là si les parents de papa et maman et aussi leurs frères et sœurs avaient été pendus par les pieds et exposés en vitrine après avoir été gazés. Je savais très bien ce que "gazés" voulait dire. C'était une odeur qui descendait par le nez, la gorge, puis au lieu d'aller dans l'estomac elle allait dans les poumons. Moi, je faisais toujours bien attention en passant à côté de la charcuterie: jamais dans les poumons, l'odeur du cochon, jamais. C'était interdit de mourir, çà aussi je l'avais bien compris.

A l'école, débarrassée de mon ancienne maitresse qui était apparemment tout droit sortie des couloirs de l'Inquisition, je reprenais vie. Vers le début de la 10e l'institutrice demanda aux écoliers de trouver un mot avec le plus de syllabes possible, après nous avoir enseignés, bien entendu, ce qu'était une syllabe. Au bout d'un moment je levai la main et m'exclamai "Multicolore!" Abreuvée de compliments, je fus envahie par un bonheur puissant et durable. Les mots, me disais-je, n'étaient pas interdits.


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dimanche 18 octobre 2009

L'école - la 11e (1962-1963)

Trois mois avant mon 6e anniversaire, je rentrais en 11e à l'école des Capucins à Chateauroux. Je pesais 19 kilos et l'on se moquait de ma maigreur, de mes cheveux trop frisés et mon regard trop noir. A l'époque, peu de "métèques" habitaient la province et je faisais dissonance sur les photos de classe, entre autre.

J'avais des connaissances en hébreu. Apprendre à lire le français me sembla facile. Mon institutrice était sévère, méchante et sans pitié. Elle me frappa sur le visage un jour, quand j'utilisai mal le trait qui sépare les 2 parties d'un mot lorsque le mot se heurte à la fin de la ligne. Aujourd'hui je repense à la gifle énorme que cette erreur me coûta alors que je n'avais pas six ans et je reste incrédule devant autant de cruauté et imbécillité.

C'est grâce à cette institutrice dont j'ai bien heureusement oublié le nom et aussi le visage, que j'ai haï l'école tout le long de ma vie. Cet exemple n'en était qu'un choisi parmi d'autres. Un autre me revient à l'esprit mais je n'en parlerai pas, pour ne pas ressentir une nouvelle fois l'humiliation que j'avais ressentie alors.

Il ne me vint pas à l'esprit un instant de parler de ces violences à mes parents. Je me demande pourquoi aujourd'hui. Je me présentais à l'école tous les matins, comme les autres. J'arrivais le ventre vide, au grand désespoir de ma mère qui ne comprenais pas pourquoi je vomissais tous les matins. Il me fallu encore trois ans pour découvrir toute seule, comme une grande, que j'étais allergique au lait et donc à la chicorée au lait que ma mère me tendait tous les jours.

Outre mes déboires nutritionnels et scolaires, tout allait bien. J'avais une meilleure amie, Francoise Devillieres que j'adorais, ma soeur s'occupait de moi comme d'habitude avec beaucoup de soin et viligeance, je jouais du piano avec enthousiasme chez Me Hadt. Et pendant ce temps-là les bonnes qu'engageait ma mère se succédaient à la rapidité des bolides sur le circuit du Mans.

Le premier mot français que je sus lire, car j'appris à lire d'après la méthode globale, était "écureuil", ce qui fit beaucoup rire ma famille et présageait de mon intérêt futur pour les choses compliquées en général.

Ce fut une noire année ou j'avais mal au ventre, mal au coeur aussi ... Mais je ne me sentais ni seule, ni mal aimée. Je crois que déjà, j'étais une personne optimiste.




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