lundi 28 novembre 2011

Les bonnes

On ne peut pas vraiment dire que j'aie été élevée par les bonnes. Cela serait bien injuste envers mes parents. Et puis je ne suis pas l'enfant de riches héritiers ou celle d'une vedette de cinéma qui, sortie de 10 ans de psychanalyse s’écrierait: hélas, mes parents étaient absents et si je n'avais pas eu les bonnes pour m’élever ...

Ce disclaimer derrière moi, soyons clairs: mes parents partaient le matin pour revenir vers 20 heures et dans cet intervalle, dès mon plus jeune âge, du plus longtemps que je puisse m'en souvenir, ce sont les bonnes qui s'occupaient de moi. Les bonnes elles étaient omniprésentes, le weekend , pendant les vacances. Je me souviens d'elles comme si c’était hier. Elles avaient 16 ans quand maman les engageait. Elles s'occupaient de la maison et elles s'occupaient de moi et de ma soeur.

Elles dormaient dans la chambre de bonne, en haut, au troisième étage. C’était une grande chambre que j'aimais bien avec un grand lit. une table et une chaise, une armoire assez massive avec un miroir. Elles y créaient leur petit monde et j'en faisais partie. J'y restais pour jouer, lire, dormir. La chambre était contiguë du grenier où s'amassaient dans un désordre extrême toute sorte de choses: des jouets, des vieux vêtements, tissus, objets, journaux. Souvent je jouais dans le grenier et la bonne était occupée dans sa chambre à ranger, écrire une lettre. Nous étions bien toutes les deux.

Moi, de façon générale, je les aimais bien les bonnes. J'avais compris dès le début de mon existence que mon salut, mon bonheur et ma santé dépendaient d'elles, alors je me tenais à carreau et surtout je faisais ce que je fais encore aujourd'hui, j'essayais d’être aimable.

La première personne qui s'occupa de moi s'appelait Annick. Maman l'avait engagée dès ma naissance, ou même un peu avant je n'en suis pas sure. Annick et moi vivions en totale connivence et même osmose. Tout était merveilleux jusqu'au jour où un jeune homme qui travaillait en face de la maison, lui adressa la parole. Je fus aux premiers rangs de leur histoire d'amour puisque Annick m'emmenait partout. C'est seulement le jour du mariage que la vérité me frappa à la figure. Je ne sais pas comment cela arriva mais soudain je compris l'horrible situation: je ne quittais pas la maison avec Annick, nous allions être séparées.

En fait je n'avais pas très bien saisi le partage des rôles, et du haut de mes trois ans j'avais simplement jugé que Annick était ma mère et maman peut-être un genre de grand-mère, ce n'est pas clair, vu que le concept de grand-mère n'exista jamais pour moi. Je restais longtemps marquée par cette séparation et ce n'est que bien plus tard, en 1994 alors que j'avais 38 ans, que ma mère me raconta cette histoire:

Quelques mois après la séparation, le mari d'Annick avait demandé à rencontrer ma mère. Il lui dit qu’après leur mariage sa jeune épouse si gaie et énergétique, avait sombré dans la dépression. Elle pleurait sans cesse, ne faisait plus rien et répétait que sans moi, l'enfant qu'elle avait élevée, sans moi sa vie n'avait plus de sens. Lui-même était, aux dires de ma mère, désespéré. Que faire? Disait-il. Que faire? Madame Wajzer, implorait-il, dites-moi quoi faire.

Je me souviens de ce jour-là et d'autres après le premier jour où maman, dans sa grande compréhension et générosité, m'emmena chez Annick pour que la séparation soit moins douloureuse. Je sais qu'au moins une fois, je refusai d'entrer dans la maison d'Annick et criait de tout mon soul, comme je l'avais fait le jour du mariage (pendant la cérémonie papa avait du rester dehors avec moi, car je hurlais). Et puis un jour Annick donna le jour à une petite fille et la nomma "Nathalie". Alors, finalement, elle n'avait plus besoin de moi. Mais moi, personne ne m'avait demandé évidemment si j'avais encore besoin d'Annick ou pas.

La bonne qui lui succéda s'appelait Solange. C'est elle qui s'occupa de moi au mariage de ma grande soeur. Puis d'autres suivirent à un rythme trépidant. Certaines restaient 2 semaines, 2 mois, parfois 6. C'était impossible à prédire. Une nous avait volés et s’était sauvée, une autre m'avait laissé la clé derrière les volets et s’était barrée en laissant quand-même un mot "je vous quitte", une troisième se volatilisait après quelques semaines pénibles de vomissements matinaux et puis se mariait ou pas.

Je m'attachais toujours à elles, par réflexe et nécessité. Je savais que je ne pouvais pas compter sur elles, mais en même temps je faisais semblant de compter sur elles. Elles venaient, elles repartaient. Cela n'avait plus d'importance. Pas plus d'importance que la couleur du papier peint qui elle aussi variait de temps en temps.



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mardi 22 novembre 2011

Les mentors

Peu de gens m'ont formée. Je ne me souviens pas d'une voix, un ton de voix, une silhouette, des gestes qui se seraient articulés autour de moi jour après jour pour délivrer un message éducatif qui ferait écho dans le futur. Mes parents n’étaient pas des formateurs et il m'a fallut environ un demi-siècle pour le dire sans en avoir honte.

C'est méchamment simplifier que de dire: sans racines, ou plutôt sanguinolent encore de leur racines mutilées, mes parents n'avaient pas de futur non plus. Très sincèrement je ne me souviens pas qu'aucun d'eux n'ait fait des projets pour moi. Comme si tout simplement le futur n'existait pas plus que le passé.

Seule sur les jours de mon enfance, Madame Hadt semblait savoir que mon avenir était devant moi. Toutes les semaines un charme immense opérait entre le poêle, la tortue centenaire, la professeur de piano et l’élève. Madame Hadt me montrait la voie. Elle était un mentor. Sa force de caractère, sa grâce, m'inspiraient. Mes rendez-vous chez elle me ravissaient même s'ils me forçaient à travailler beaucoup au piano.

Ma sœur Mali, du haut de
ses 20 ans supplémentaires, fut une personne avec qui je pouvais parler de moi-même, de ce qui m’intéressait et de ce que voulais. Elle affichait un caractère curieux et tout le monde aiguisait son intérêt. je crois que tous les gens qui l'aimaient avaient été séduits par cette qualité en elle qui consistait en regarder l'autre et lui donner la parole. Avide d'intelligence, elle ne pouvait absolument pas s'en passer et choisit d'en faire son compagnon.

Je n'eus jamais de mentor après l’époque de Châteauroux. Quelques professeurs à l’université furent une inspiration certaine, comme Judith Stora, Hélène Cixoux, Serge Ouaknine, aussi le mime Isaac Alvarez. En Israël je fis ma vie à partir de l'âge de 21 ans sans avoir besoin de modèle. C’était déjà trop tard pour les modèles.

Il fallut que j'attende une journée d’automne
comme les autres, en octobre 2002, pour qu'un personnage entre discrètement dans ma vie. Il signait ses emails JC. et après 2 ou 3 mails, je lui écrivis, sachant qu'il avait plus de 70 ans, " j’espère que vous n’êtes pas Jacques Chirac car ce serait embêtant, je n'ai pas voté pour vous.""Je vous rassure tout de suite" dit-il, "Je ne suis ni Jacques Chirac, ni Jésus Christ", je m'appelle Jean-Claude et mes amis m'appellent JC.

Le début de notre conversation fut presque accidentel. En octobre 2002, j'avais vu sur l'Internet une pétition pour la paix au proche-d'orient et la trouvant complétement faussée, j'avais écrit aux personnes qui en étaient responsables. Un d'eux me répondit: "vous vous trompez, nous ne sommes pas des antisémites". Surprise, je rétorquai à cette personne que nulle part dans ma lettre il n'avait été question d’antisémitisme. Et c'est à partir de çà que nous avons commencé à échanger des lettres par email. L’époque était très difficile au niveau sécuritaire en Israël. Rapidement nos échanges devinrent violents et même sanguinaires.

C'est en partant du sentiment de rage
qui nous emplissait tous les deux mêlé au désir pourtant d’être en communication avec l'autre que soudain, nous nous découvrîmes une passion commune pour la poésie espagnole et en particulier Federico Garcia Lorca. Dès lors, entre deux carnages ou nous nous arrachions virtuellement les yeux, nous nous envoyons des poèmes. L’échange de poésies commença à prendre une grande place entre nous. J'avais écrit beaucoup de poèmes dans ma jeunesse et je les lui envoyais de temps en temps. Il répondait avec des œuvres de Lorca d'abord, puis Aragon, Rafael Alberti, Roque Dalton, Saul Contreras. Démontée au début, je finis par apprendre suffisamment l'espagnol pour lire dans le texte.

Un jour j’écrivis un premier poème inspiré de lui, et c'est là que pour moi tout a basculé. J'ai fini par composer un livre entier de poèmes en vers, intitulé "La hanche d'Antonio", publié dans un blog-poésie. Ma muse n’était autre que mon interlocuteur. Jean Claude devint au fil du temps un mentor dans bien des domaines: la littérature, la philosophie, les sciences politiques et surtout l'engagement social et politique.


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lundi 7 novembre 2011

Les voix de l'ombre

Je me souviens de la voix de mon père qui voyageait au travers de tout le diapason des tonalités. Parfois elle était si douce et si faible, qu'il me semblait avoir en face de moi en enfant perdu qui demanderait son chemin, timide, honteux, les yeux trempés d'un bleu si pâle, si délavé. Parfois l'enfant était un homme à la voix belle et grasse, produite par le larynx d'un fumeur de cinquante clopes par jour, des gauloises sans filtre faut-il le préciser.

La voix de ma sœur, décédée il y a 5 ans, apparait parfois sans invitation dans des circonstances souvent très anodines, quand je marche dans la rue ou regarde le paysage,assise dans un bus ou un train. Je ne sais même pas ce qu'elle dit mais le fait d'entendre, si ce n'est qu'une seconde, ses intonations changeantes, ses fractures de tonalité, rapides et graves, je la sais présente. A vrai dire ces incidents vocaux me dérangent beaucoup car ils sont très déstabilisants, mais je me suis habituée. C'est curieux comme seule la voix de ma sœur Mali me revient, pas celle de mes parents.

Je me souviens comment au début je n'avais pas aimé la voix de mon ami Jean-Claude. Elle avait quelque chose de sec et âpre. Elle n’était pas élégante, spirituelle ni même intéressante. Il m'a fallu des années pour voir au delà de cette voix presque sans tonalité, sans modalité, une voix bourrue de marin. Alors je n'ai pas eu le choix, il a bien fallu que je sorte au large moi aussi pour entendre les sons de la mer.

Un jour il m'a écrit qu'il s'en voulait de ne pas avoir eu la force de la jeune fille du "Silence de la mer" de Vercors. Lui, n'avait pas pu garder le silence. Et moi je me taisais devant autant de cruauté, je le laissais dire son angoisse, sa tragédie que je trouvais stupide. J’étais son ennemie, il était mon ami dans la trahison.

Jean Claude était incapable de parler de choses prosaïques. Il parlait de ses enfants, ceux du camp de Aida à Bethléem, avec passion, dans un engagement paternel total. Il parlait de la situation politique en Israël et Palestine avec rage, horreur et parfois dégoût. Il parlait de son association de médecins au San Salvador avec bonheur mais larmes aussi. Il parlait de son travail en Israël au debut des années 60, de Cuba ensuite, de son long séjour au Brésil plus tard. Et puis une ou 2 fois il a parlé de Beyrouth. C’était trop difficile pour moi, Beyrouth. De tous ces endroits où il avait vécu et travaillé en tant qu’ingénieur puis médecin, je ne sais pas où il avait été heureux. Il semblait être heureux dans l’autorité palestinienne, à Aida, avec ceux qu'il appelait "ses enfants", mais aussi sur son bateau en Bretagne.

Je crois entendre encore nos sanglants désaccords et les sons de la mer qui parlaient de violence, d'injustice, mais aussi de patience. Jean Claude disait qu'il faudrait cent ans (depuis 1948) avant que la paix entre Israël et les palestiniens arrive.

Voici reproduite, la dernière phrase qu'il m'a écrite peu de temps avant sa mort à la suite d'une correspondance importante étalée sur 9 années: "Je te souhaite de garder ton humanité dans cette tourmente."



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jeudi 3 novembre 2011

La guerre des rayons

Tout est passé, tout est fini. Je fus une patiente tout à fait modèle, radiotatouée, radiomi-dénudée, radiomarquée et radio-manipulée par tous les techniciens et toutes les techniciennes, tous les jours, jour après jour. Et tout çà mesdames avec le sourire. J'insiste, avec le sourire.

Ça fait du bien la bonne humeur. Des fleuves d’encre ont été versés sur le fait qu'une bonne disposition finit par vous mettre en bonne disposition. L'inverse est vrai aussi.

Bref, armée seulement de mon sourire, ma dignité et l'amour de mes proches, j'ai fini mon marathon de 5 semaines avec le sentiment béat d'avoir gagné cette bataille avec la plus grande facilité, comme si toute ma vie m'avait préparée à faire un pied de nez gigantesque aux méchants effets de cette morose radiothérapie.

C'est donc sans brûlures, effet secondaire tant redouté, que je sors du centre de radiothérapie d'Ichilov. L’infirmière de service ne manque pas de s'exclamer qu'il est bien rare de voir une patiente achever son cycle sans brûlures. Une des technicienne s’esclaffe "ah mais je te l'avais dit du début. Tu as une peau géniale, super-solide, moi je le savais bien que tu n'aurais pas de brûlures!". Je me sentais alors comme invincible. J’étais la déesse de la guerre des rayons qui sous les foudres de la radioactivité n'avait pas brûlé.

C'est curieux comme en l'espace de 7 semaines, entre la fin de mes rayons et aujourd'hui, j'ai complètement changé d'approche. Je vais avoir 55 ans dans 3 semaines et je contemple ma vie: je me dis " Comment ai-je pu parcourir tout ce chemin? Comment le temps a pu passer si vite? Est-ce possible? Je m'interroge sur mon rôle sur cette terre, sur ce que je vais laisser après moi. La totale, quoi.

Il faut dire que le décès de mon ami Jean-Claude a été pour moi un coup de massue. J'ai compté les jours entre le 2 août, jour ou l'on m'a fait part de son décès, et le dernier jour des rayons le 15 septembre, avant de me permettre de penser à Jean-Claude et entamer mon deuil. JC était pour moi un ami exceptionnel et aussi un mentor. Ce polytechnicien, médecin, militant pacifiste farouche, est parti à l'âge de 82 ans, se battant toujours pour les causes humanitaires auxquelles il croyait. Nos échanges épistolaires (emails), centrés sur le conflit israelo-palestinien, ne comptent pas moins de 500 pages.

Faut-il témoigner? Faut-il raconter? Comme si la déesse de la guerre des rayons ne savait pas déjà la réponse.


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