lundi 31 janvier 2011

L'université - Vincennes Paris VIII (1976-1977)

Les premiers vingt ans de ma vie se terminaient dans un centre de réanimation ou je ne comprenais pas vraiment la signification du mot "hémiplégie" ni ne saisissais la gravité de la situation, non pas parce que j’étais trop jeune, mais simplement parce qu'il était impensable d'imaginer ma mère paralysée et mutilée dans sa chair et son esprit. Apparemment, notre médecin de famille était de mon avis et quand on lui annonça l'attaque cérébrale de ma mère et son état très grave, il fit un arrêt cardiaque, comme çà, sur place, comme pour exprimer l'absurde de la situation.

Moi aussi, en quelque sorte, je fis un arrêt cardiaque, mais personne ne s'en aperçut vraiment. Comme pour formaliser et légaliser cet état, je cessais de jouer du piano, alors que j'avais pris des cours pendant 10 ans et me présentais tous les ans aux examens du conservatoire. Cet arrêt fut radical et à ce jour, je n'ai pas repris le piano.

Dès qu'elle fut hors
de danger, ma mère fut transférée à Juvisy, dans la banlieue parisienne. Ma soeur Mali et moi allions lui rendre visite à tour de rôle. C'est à Juvisy, entre la clinique et la station de train que je m'essayais un jour à fumer d'un coup un demi-paquet de Gauloises pour ne pas craquer. L’opération s’avérant être un succès, je me mis à fumer plus d'un paquet par jour.

A la sortie de ma mère
de Juvisy je partageais ma semaine entre Paris et Châteauroux. J’étais à Paris du lundi au jeudi et à Châteauroux du jeudi au lundi matin. Je m'occupais de ma mère qui n'avait rien re-apprit à Juvisy et se tenait à peine debout. Mon père et moi entreprirent de lui re-apprendre à marcher, ce qui ne fut pas une mince affaire, vue sa résistance acharnée. Aux yeux de maman même le demi-centimètre du tapis de la salle a manger était trop haut à enjamber. Mon père ne lâchait pas prise. Il voulait qu'elle soit la plus indépendante possible. Lui-même était malade depuis 1972 et savait que ses années étaient comptées. Entre mes deux parents malades et déclinants, je tenais bon, peut être parce que l'option de ne pas tenir le coup n'existait pas.

A l’université je continuais mes cours et m'intéressais particulièrement au séminaire de Judith Stora sur les femmes. Nous travaillons entre autre sur le livre "Notre corps, nous-même" qui était à l’époque très avant-gardiste. Judith avait proposé d'animer un groupe de femmes au centre Rachi et j'en fis partie toute l’année. Ce petit groupe de femmes me donna le sentiment d'appartenir à quelque chose, à une facette de la société qui bougeait et progressait.

C'est dans ce groupe que je rencontrai Arlette Z. et me pris d’amitié pour elle. C'est chez Arlette Z. que je rencontrais Said, étudiant en architecture d'origine syrienne que je revis une ou deux fois avant mon départ définitif pour Israël. C'est comme çà que Catherine rencontra Said et qu’après mon départ ils devinrent amis. Et c'est ainsi qu'un jour Said emmena Catherine chez un de ses amis, un peintre irakien arménien, Ardash. Catherine et Ardash se marièrent plus tard en Californie.

Le 27 juin 1977 je pris l'avion
pour passer l’été en Israël, le plan étant de me porter volontaire au kibboutz de ma soeur à Shaalvim et parallèlement de retrouver Bernard qui était dans l’armée de l'air et de faire le point avec lui. Mon avenir semblait tout tracé quand le 1er septembre les nouveaux de l'oulpan arrivèrent au kibboutz. Un des nouveaux étudiants, un américain tout blond aux yeux bleus, posa sur moi un regard doux et tranquille et je sus dès cet instant que Bernard ne serait ni mon mari ni le père de mes enfants.

Ma vie m'avait finalement dépassée et était devant moi.


Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2011