mercredi 24 février 2010

L'école - La troisième (1970-1971)

Photo Gérard Mery.

En troisième, j'étais tellement bien que je ne me souviens de rien. Je ne pensais sincèrement pas qu'il fut possible qu'il en soit autrement. C'est celà qui est épatant à cet âge-là, on s'imagine que le bonheur c'est maintenant alors que tout adulte saura vous dire que le bonheur c'est beaucoup ce qu'on a perdu et surtout ce qui tarde à venir.

Gardée, dominée parfois et toujours soutenue par mes deux anges gardiens, je n'avais même pas remarqué que je devenais une vraie jeune fille. je réalise aujourd'hui que mon ami s'était épris de l'enfant que j'étais, brutale de coeur mais intouchable de part son jeune âge. Comme une petite soeur j'étais le témoin de ses batifolages - il avait tout de même 17 ans à la rentrée 1970 - et de façon curieuse je ne souffrais pas trop de le voir s'amouracher de véritables demoiselles. C'est celà aussi le bonheur, de ne pas savoir haïr et de ne pas nécessairement vouloir être comme les autres.

J'avais de la chance. J'avais été élevée par des gens sans vanité d'une honnêteté surréelle, des gens tellement droits que cela en était ridicule. Mais à l'époque je ne savais pas que c'était une anomalie. Je ne savais pas que l'on pouvait dissimuler ses sentiments, mentir, trahir. Je croyais que la terre entière était honnête, riait quand elle voulait rire, pleurait quand elle voulait pleurer et hurlait quand c'était des hurlements qu'elle avait dans les tripes. Pour résumer: à l'aube de mes 14 ans j'étais très mal préparée à la vraie vie.

En troisième, Catherine et moi ne nous quittions jamais. C'est avec elle et chez elle au côté de sa mère que je complétais mon éducation. Par exemple une des plus surprenante chose se passait chez mon amie et cela m'estomaquait à chaque fois: sa mère lui disait quoi faire.

- Catherine, reviens à 9 heures au plus tard. D'abord tu finis tes devoirs, ensuite tu sors avec tes copines. Catherine tu vas me faire le plaisir de ranger ta chambre un peu mieux que çà. Oui avant de sortir.
- Mais maman, le film commence à ...
- Je m'en fiche ma chérie. Tu ranges d'abord.

J'avais carrément été transportée sur une autre planète. Une telle conversation entre ma mère et moi était impensable. A la maison personne ne me disait jamais quoi faire et c'était à moi, depuis toujours, d'établir mes propres priorités. Je ne sais pas au juste quel facteur avait poussé mes parents à se comporter avec autant de négligence et indifférence, le fait est qu'à part m'habiller (horriblement d'ailleurs et plus pour bien longtemps) et me nourrir (longtemps par l'intermédiaire des bonnes) ma mère n'avait aucune emprise sur moi et n'avait jamais demandé à en avoir. Je l'ai parfois perçue comme mon égale, mais le plus souvent comme une personne avide de mon amour et de mes soins. Quant à mon père j'étais émerveillée par sa présence et je savais qu'il était là pour me protéger: je pouvais compter sur lui ou du moins je voulais compter sur lui.

L'année scolaire se concluait: j'étais encore très bonne élève mais en l'espace de quelques mois tout celà allait changer.



Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2010

vendredi 5 février 2010

L'école - La quatrième (1969-1970)

La fin de ma cinquième se conclut par une croisière sur la Méditerranée entre Venise et Haifa, suivie d'un séjour en Israël. Sous les auspices des amis de mes parents, les Besserglick, je me retrouvais, comme en 1967, de nouveau trimbalée dans tout le pays, qui n'est pas plus grand qu'un mouchoir de poche, faut-il le préciser. Je tenais lors de ces vacances le rôle de la parfaite petite fille, mais, comme toutes les gamines de mon âge, je vivais la plupart du temps dissociée, pleine encore de mon enfance, mais déjà agitée par des sortes de bouffées qui me poussaient vers l'age adulte. A cet age-là je ne me voyais pas et refusais l'évidence d'une silhouette déjà développée.

A la rentrée scolaire je remarquai que mes coéquipières avaient grandi d'un seul coup. Déjà elles me dépassaient de quelques centimètres. En hiver, j'étais devenue la plus petite de l'équipe. J'avais grandi trop rapidement et ma croissance s'était terminée l'année d'avant. C'est avec dépit que je me préparais à quitter l'équipe de basket définitivement à la fin de l'année. J'aurais pu sans doute y rester, mais cela ne m'intéressait plus. J'avais mieux à faire.

Je serai honnête: je ne souviens pas de ma quatrième. Tout est passé à carreau, la classe, les profs, les élèves, je ne me souviens de rien. Je sais seulement que j'étais bonne élève, que mon amie était près de moi, tout le temps. Je sais seulement que mon ami était près de moi quand je n'étais pas à l'école. En effet, les deux grands amours de ma vie ne pouvaient pas « s'encaisser » l'un l'autre. On en était arrivé à un statu quo très simple qui consistait tout simplement à ce que je ne parle jamais d'elle devant lui et vice versa. Ballottée entre les deux pôles de mon existence je jouais le jeu lâchement et m'arrangeais pour qu'ils ne rencontrent pas. Je n'avais, me semblait-il, pas le choix et avoir une vie divisée me semblait naturel. Il faut dire qu'à la maison aussi je vivais de cette façon depuis ma plus tendre enfance, ménageant toujours mes parents et prenant toujours parti pour l'un en le cachant à l'autre et inversement. Cela semble compliqué, mais ce ne l'est pas: il suffit de mentir tout le temps de façon consistante. C'est un jeu d'enfant.

Je n'ai donc pas retrouvé la mémoire, même sur ce blog et peut-être cela est-ce aussi un mensonge. J'abordais cette transition vers la véritable adolescence doublement protégée par les ailes de l'amitié et de l'amour. Bien entendu ce que j'appelle l'amour était un sentiment encore plongé dans l'enfance, pas encore formé, complètement primaire. On dit toujours que nos premiers amours sont souvent nos cousins germains. Mais moi, je n'avais que deux cousins germains vivants que je ne fréquentais pas.

J'avais au total, une bonne quarantaine de cousins germains, mais personne n'en parlait et sans que leurs noms ne soient jamais prononcés ils me semblait souvent qu'ils étaient au centre des discussions de mes parents. J'étais moi-même totalement ignorante à l'époque de l'existence de cette énorme famille qui avait d'une part disparu mais d'autre part semblait omniprésente. Il m'a bien fallut atteindre l'âge de quarante ans pour finalement comprendre que mes parents avaient perdu 78 membres de leur famille proche pendant la guerre. Il fallut tout ce temps pour que les chiffres anonymes prennent forme.

Déjà, quand j'étais en quatrième, mon amie et moi parlions d'avenir: nous avions solennellement décidé que nous serions dans la même classe jusqu'en terminale, que l'on épouserait le même garçon et que l'on serait enterrées ensemble. Tiens, il faut croire que la mémoire m'est revenue ...


Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2010