dimanche 16 mai 2010

L'école - la terminale (1973-1974)

Ma mère, toujours vigilante, avait fini par comprendre que l'air des hôpitaux n'était pas bon pour mon moral. Elle imposa d'office à ma soeur Genevieve et son mari une compagne de voyage pour leurs vacances d'été à Bournemouth. L'âme en bandoulière, le coeur pulvérisé par les déboires médicaux de mon père et envahie par un désespoir qui prenait des allures chroniques, je fus livrée pendant un mois à l'optimisme indomptable de mon beau-frère. En Angleterre je découvris le cottage cheese et ne tombais amoureuse de personne, ne m'intéressant à personne.

A notre retour en septembre, on nous annonça que papa quittait l'hôpital et rentrait à la maison. Pour la première fois depuis décembre 1972, la vie reprenait son cours. A la rentrée, rien à signaler au lycée. Le retour de mon père fut un évènement magique qui en quelques jours permuta l'enfant triste que j'étais devenue en jeune fille pleine d'enthousiasme et de bonheur. Ce n'était certes pas seulement mon père qui reprenait vie et tandis que lentement il remontait la pente, moi j'exultais et m'épanouissais brutalement.

C'est justement à ce moment-là qu'éclata la guerre de Kippour. Mon inquiétude pour l'état d'Israel fut vite dépassée par la réalisation que Bernard était parti là-bas pour se porter volontaire. Ce qui m'inquiétait ce n'était pas seulement les combats, mais plutôt une forte et intime conviction qu'il ne reviendrait jamais. Et j'avais raison. Immigré à l'âge de 20 ans , il resta sur place et fit sa vie en Israel. Pour moi qui ne supportais pas les séparations, ce départ fut difficile.

Durant l'année de ma terminale je tachais de combler le vide que Bernard avait laissé derrière lui et rencontrais beaucoup de gens venus de tous azimuts. Je m'inscris à des cours d'art dramatique à la maison de la culture où je fus l'élève d'Alain Meilland, jeune artiste venu de Bourges qui plus tard allait devenir l'un des fondateurs du Printemps de Bourges. Vers le milieu de l'année je donnais moi-même des cours d'expression corporelle à des élèves du lycée Pierre et Marie Curie.

Je développais un engouement particulier pour Pierre Jean Jouve, Max Jacob, Robert Desnos et toujours et encore Federico Garcia Lorca que je lisais à l'époque en Français. Mon ami JP et moi-meme avions formé un commando d'écriture automatique. L'exercice consistait à s'approprier une classe vide et remplir le tableau d'un texte de poésie automatique que nous improvisions sur place avant le retour des élèves. Montée d'adrénaline garantie.

Je ne fis pas que des bonnes rencontres cette année-là mais résistais toutefois sans difficulté à l'assaut hallucinant (c'est le cas de le dire) des drogues au lycée. C'était l'époque où les jeunes s'attablaient au café et déposaient le hashish au milieu de la table pour que tous puissent se servir. Je me suis longtemps demandée pourquoi je n'avais jamais été tentée de céder à la pression sociale pourtant quotidienne; je n'ai jamais eu de réponse si ce n'est le fait que Catherine elle aussi refusait la mode du dopage à tout prix. Loin d'être une paria je tenais une place importante. C'était en effet très pratique à minuit quand on s'évanouissait, d'avoir sous la main la seule personne sobre dans la salle qui savait distribuer des conseils, accompagner et réconforter.

Le bac arrivant au galop, je me fis prier pour réviser. Pendant les deux derniers mois de l'année scolaire, j'étais soudainement devenue morose et un peu apathique. J'avais même cessé de rendre certains devoirs et avais récolté plusieurs zéros. Comme c'était moi qui signais mon carnet de notes (l'année d'avant, ma mère m'avait en effet formellement autorisé à signer mon carnet de notes à sa place), mes parents n'en surent jamais rien. Catherine, exaspérée, finit par me séquestrer chez elle où sous l'oeil attentif de sa mère, nous étudiâmes ensemble deux ou trois jours. Tant bien que mal je réussis mon bac avec mention.

Ainsi ma période lycéenne s'achevait sans trop de vagues ni contrariété apparente. Je m'étais inscrite à Vincennes, université qui encore à l'époque était considérée comme expérimentale. Pas même âgée de 18 ans et armée, il est vrai, de bien peu d'ambitions, j'allai quitter ma ville natale et monter à Paris. Je me limitais à un projet, celui de me construire enfin en tant que jeune fille juive et pratiquante. Ma premiere tâche fut d'acheter de la vaisselle et des casseroles separées pour le lait et pour la viande afin de manger strictement Casher.



Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2010