lundi 15 octobre 2012

Le Cher: la rive droite vers l'amont


On ne voyait pas les mêmes choses sur la rive droite du Cher que sur la rive gauche. Il était possible d'y parvenir par deux moyens: soit en nageant de la plage de Preuilly vers le plongeoir, soit en traversant le pont à pied ou en vélo et en rejoignant la rive.

J'avais appris à nager l’été 1961 au Cap ferré. C'est ma sœur Geneviève qui s’était chargée de me donner des leçons au milieu des vagues plutôt agitées de l'Atlantique. Je me souviens clairement de ce moment l'eau m'a portée et où soudain tout devenait possible. Pour les enfants à Preuilly,  l’épreuve de passage consistait à  traverser le Cher entre la plage et le plongeoir. J'ai bien du mal à estimer la distance que représentait ce parcours. Elle était immense quand j'avais 5 ans, puis se raccourcit au fil des années. De nouveau, le jour ou je traversai la largeur du Cher avec ma sœur à mes côtés (fut-elle jamais ailleurs?), un sentiment d'accomplissement véritable me remplit. 

J'ai engrangé un souvenir très fort concernant cet endroit, juste devant le plongeoir. Je ne sais pas s'il s'agit d'un vrai souvenir ou s'il s'agit d'un rêve. Je me souviens de troncs d'arbres descendant la rivière et moi, petite, totalement effarée par leur soudaine apparence. J'arrive à ressentir sur ma peau, encore aujourd'hui, la texture du tronc qui me frôlait et cette sensation brutale et effrayante d'avoir perdu de vue, qui d'autre? ma sœur bien entendu. Elle n’était plus là et cette histoire me concernait moi seule. Plus j'y pense plus je  crois que c’était un rêve - mais mon frère à qui j'en parlai un jour me dit qu'à cette époque il arrivait effectivement que des troncs flottent sur l'eau.

Une fois arrivée au plongeoir, les possibilités étaient nombreuses. S’asseoir en bas du plongeoir et s'amuser avec les autres enfants, sauter, plonger ou se promener dans les bois.Il faut dire qu'à cette époque, quand j’étais enfant, sur la rive droite en amont, il y avait des bois. Ma memoire est un peu floue au sujet de la carrière. Pour moi, elle avait été là depuis toujours et je ne sais pas quand on commença à extraire les sables ou la terre de la rivière. Je sais que lorsque j'avais 4-5 ans et que je me promenais encore avec une adulte, soit ma mère ou ma sœur - soyons honnête, c’était plutôt ma sœur - la carrière se tenait déjà au bout de la ballade, de l'autre côté des bois. J'ai ensuite ce souvenir de grands troncs (tiens donc) que l'on commençait à trouver allongés dans les bois. Je pouvais m'amuser pendant des heures à courir dessus.

Lorsque je grandis je fis des poussées vers la carrière et bien au delà. J'y allais seule mais je n’étais pas à l'aise comme je l’étais sur l'autre rive, là ou je pouvais suivre des yeux le bateau de mon père. Sur la rive droite j'étais loin de l'eau, seule en mouvement dans la nature.C'est pendant ces promenades solitaires, en longeant la carrière blanche et mystérieuse, que je me découvris des pincements de cœur, des maux de cœur et des envies soudaines d’être moins seule. J'imaginais cet endroit maléfique qui sondait le Cher tel une énorme sangsue, habité par des hommes habillés de gris, silencieux et consciencieux. Je ne vis jamais personne à la carrière, pas-même une silhouette.

C'est sur la rive droite, prés du plongeon qu'un jour, à l'âge de 7 ans, je tombai par terre, comme cela m’était arrivé des dizaines ou même des centaines de fois à la campagne. En me relevant,  ma cuisse droite s’érafla sur un fil barbelé bien rouillé qui gisait sur le sol. Je ne saurais dire qu'elle était la longueur de la plaie ce jour-là. Ma sœur Geneviève, éternellement présente, s'empressa de m'emmener chez une amie qui habitait non loin de la rivière. On inonda tout çà d'alcool et voilà l'affaire reglée! J’aimais bien quand ma sœur s'occupait de moi. C'est pour cela que cette aventure du fil barbelé est pour moi un bon souvenir. Et puis si je me perds, maintenant vous savez comment m'identifier; aujourd'hui la cicatrice fait tout de même 18 centimètres de long.



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