dimanche 14 décembre 2008

Les bonnes résolutions

Préambule: c'est aujourd'hui mon anniversaire selon la date hébraïque du 17 kislev. Je ne sais pas ce que les autres font quand ils fêtent leur anniversaire; moi je fais le bilan et je fais table rase pour mieux recommencer l'année suivante.

Voici donc : mes bonnes résolutions pour ma 53eme année.

La traduction: en finir.

L'université: arriver à terminer, on ne sait pas comment, toutes mes obligations pour ce semestre.

Le travail: en trouver pour février 2009 - si possible stable et à long terme.

Mon roman "Anna R. Licht": à corriger.

Mes amies et ma soeur : continuer à les rencontrer régulièrement.

Mes filles et mes fils: apprécier chaque moment de bonheur avec eux.

Le centre Tair: continuer mon travail bénévole au centre d'aide aux victimes d'agressions sexuelles.

Le plus important: pour la fin ... passer beaucoup de temps avec mon mari en quantité aussi bien qu'en qualité.

Tout cela n'est pas folichon, un peu traditionnel peut-etre. mais je suis comme tout le monde: j'ai des objectifs simples dans le domaine du travail ou de la formation, des aspirations naturelles au niveau de mes interactions sociales et puis j'ai besoin d'amour comme tout un chacun, de beaucoup d'amour.



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vendredi 28 novembre 2008

Les langues (2)

L'allemand: c'était ma seconde langue étrangère à l'école. J'ai toujours aimé cette langue, construite, solide, logique. Mon père, qui de façon générale ne savait pas dans quelle classe j'étais, ni quel âge j'avais, ne m'aidait jamais bien entendu à préparer mes devoirs. Pourtant quand j'appris l'allemand il montra soudainement un intérêt certain et me fit réviser à longueur de journée. De toute façon c'était pratique. Il était malade à la maison pendant ces années-là et c'était une manière de nous tenir compagnie. C'est ainsi que je finis par parler couramment l'allemand, ce qui s'avéra utile plus tard quand je rencontrais mon oncle Srul en Israel qui parlait seulement le Yiddish, le Polonais et le Russe. Il me répondait en Yiddish. Quand Srul est décédé en 1992, j'ai cessé totalement de parler l'allemand et ne me suis jamais remise du départ de cette langue de ma vie.

l'espagnol:cette langue fut inexistante pour moi dans le passé. Je lisais les auteurs et poètes espagnols dans leur traduction française. Je lus dans ma jeunesse tout Garcia Lorca de cette façon, contente de mon sort, sans me poser de questions. Puis, beaucoup plus tard, vers la fin de ma quatrième décennie, une personne s'introduisit dans ma vie. Les bases de nos discussions internautiques étaient politiques et puis un jour, sans avertissement, pour se reposer d'une diatribe plus acerbe encore que d'habitude, nous nous miment à parler poésie et découvrîmes un amour partagé pour Federico Garcia Lorca. Je relus les vers du sombre poète que j'avais presque oubliés, mais cette fois-ci en espagnol. Dans cette langue, le sang coulait plus rouge, la mort s'étalait encore plus noire et la lune, ah la lune, nous observait bien plus verte encore.

le russe: cela fait plusieurs années déjà que je veux apprendre le russe, mais le temps me manque ou l'occasion. Un jour j'apprendrai le russe ... Pour l'instant je me contente de le déchiffrer derrière les épaules de passagers dans l'autobus, sur les panneaux de publicité. Comme une enfant rongée par le désir de tout connaître, je lis obsessivement les pancartes dans les rues, aptercaz, remont, knygie, kino, moda ... et dans ce monde graphique ou les "P" sont des "R", les "H" des "N", les "R" des "G", je suis dans mon élément, je suis chez moi.


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mardi 25 novembre 2008

Les langues (1)

Le français: je suis née avec ... papa, maman. Nous parlions français à la maison. Mes parents le parlaient mal, mais le parlaient quand-meme. Ma mère disait un zoiseau au lieu d'un oiseau. Elle avait du mal avec la voyelle "U", comme dans : "Nathalie va chercher de l'eau au pouits". Oui nous avions un pouits, c'était dou temps, qui l'ou crout, ou nous n'avions pas l'eau courante à Preuilly sur Cher. Quant à moi, mon histoire d'amour avec le français est une histoire terrible, parfois douce mais trop souvent sombre et violente. Mes poèmes et mon blog-roman dévoilent et expriment une partie de ce message.

L'anglais: Cette langue est entrée tôt dans ma vie, mais je ne sais pas trop quand. Officiellement je l'ai apprise à l'âge de 8 ans. Mais je renifle un mystère quelque part. Je n'ai pas d'accent. Je rêve et pense et jure et aime en anglais. C'est devenue ma langue dominante bien que je compte en français et communique aujourd'hui en anglais en juxtaposé avec l'hébreu et moindrement le français. Une grande partie de mon travail se fait en anglais que ce soit de la traduction, l'écriture d'articles ou celle de demandes de subventions pour l'association qui m'emploie.

Le Yiddish: il a toujours été là, derrière les portes fermées, au delà du pan des rideaux, dans les coins, sous les fenêtres. Mes parents se fâchaient en Yiddish, mais ils se taquinaient aussi dans cette langue et partaient dans de grands fou-rires. J'ai toujours compris le Yiddish, sans même m'en rendre compte et sans que mes parents en soient vraiment conscients. Ils se racontaient leurs petits secrets, à table, sous mon nez; je me gardais bien de leur dire la vérité. Je ne parlais pas le Yiddish à la maison, mais quand j'ai rencontré un cousin en Israel quand j'avais 11 ans, il m'a adressé la parole en Yiddish, je lui ai répondu et nous avons conversé. Cette langue qui fut pour moi secrète, ne l'est plus. Ma petite fille l'acquiert à présent à Jerusalem en tant que langue maternelle, à côté de l'hébreu. Je suis plutôt contente de ce retournement de situation. Parle-je à ma petite fille en Yiddish? Non, en hébreu. Je me fais appeler "savta".

Le polonais: mes parents ne parlaient pas le polonais à la maison. Pourtant quand j'ai voulu à l'âge de 40 ans apprendre cette langue pour mes recherches généalogiques qui me forçaient à lire des documents en polonais, j'ai découvert que les sons de cette langue m'étaient très familiers. Plus tard j'ai compris que durant la première année de ma vie, un de mes cousins qui venait d'arriver de la Pologne communiste, habitait chez moi et ne parlait au départ que le polonais avec mes parents.

L'hébreu: j'ai d'abord appris à lire l'hébreu vers l'âge de 5 ans, puis le français. J'ai toujours su lire l'hébreu et le baragouiner un peu, mais je ne l'ai appris vraiment qu'en 1977 à mon arrivée en Israel. Je parle cette langue depuis plus de 30 ans, je la parle avec mes enfants, au travail, à l'université, à la synagogue. C'est la langue de ma vie de mère, de femme juive, de citoyenne. Parle-je l'hébreu avec mon petit-fils? Non, l'anglais. Je me fais appeler "grandma".


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vendredi 14 novembre 2008

Les saisons

L'automne: C'est la plus belle des saisons, celle de l'espoir, de l'attente et aussi d'un certain recueillement intérieur. Je fais le bilan. Le bilan de tout, de mon année, de ma vie, de ma santé. Mon anniversaire est à l'horizon ... Alors je prends dans mes bras ceux que j'aime et je me souviens : le temps passe et ne revient pas. C'est Barbara qui l'a chanté: "dis, au moins le sais-tu que tout le temps qui passe ne se rattrape guère, que tout le temps perdu ne se rattrape plus".

L'hiver: a Rehovot l'hiver est mouillé mais pas vraiment froid. Les flaques d'eau sont immenses sur le bord des trottoirs et mettent les piétons en perpétuel danger de devenir des serpillières trempées. La première voiture qui passe un peu vite et splash ... J'aimais mieux l'hiver à Châteauroux. Envelopper ses bottes de papier journal avant de sortir le matin pour aller à l'école. Puis s'aventurer sur le pont du chemin de fer, tout de givre et glace par -10 degrés.

Le printemps: je n'ai jamais compris pourquoi il fallait être gai le printemps venu. Moi au contraire, c'est une saison qui me déstabilise. C'est de la chance car en Israël, il n'y a guère de printemps. C'est mieux comme ça.

L'été: des souvenirs multiples qui se superposent les uns sur les autres. Maman et moi sur la plage dans les années 60 en Vendée. Maman et moi sur la plage dans les années 70 en Normandie. Papa, avec un machin sur la tête pour ne pas attraper de coups de soleil, qui marche près de l'eau en long et en large. Il s'ennuie, il préfère les rivières, à cause des poissons d'eau douce qui savent se taire.


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dimanche 2 novembre 2008

Les rêves

Mon premier rêve: je me réveille et descends de mon petit lit. Face à l'armoire à glace je contemple mon image: c'est celle d'un grand chef indien avec un faisceau de plumes sur la tête. Je suis saisie d'effroi. C'est moi, me dis-je.

Tomber: je cours sur des espaces sans fin. je finis toujours par arriver à la bordure d'un large précipice dans lequel je me laisse tomber. La chute est terrible et formidable, je m'en sors totalement indemne ... Puis je continue ma course effrénée.

Paris: je dois aller voir ma meilleure amie, mais je me perds dans les rues de Paris. J'erre comme ça en regardant les immeubles, les musées, les stations de métro ... J'erre sans fin, je n'arrive pas à destination.

L'enveloppe marron: mon fils, celui qui est nommé d'après le nom de mon père, me tend une grande enveloppe marron en me disant "il faut s'en occuper tout de suite, sinon ce sera trop tard." A mon réveil je tache d'élucider le rêve. Que faire? De quoi dois-je donc m'occuper? Quelques jours plus tard, gravement malade, je suis hospitalisée pour quelques jours.

Le bébé: je suis dans ma cuisine et j'ai le sentiment qu'on me cache quelque chose. Peu à peu les membres de ma famille avouent: j'avais un bébé et je ne l'ai plus. Mais j'ai oublié ... alors comme il ne veulent pas me faire de mal, ils font comme s'il ne s'était rien passé. Je suis très en colère que tout le monde m'aient menti. Au réveil je me mets à pleurer.

Mon père: je rêve de lui 27 ans après sa mort. Je suis tellement surprise de le revoir. Il vit seul dans un appartement et il a une femme de ménage qui lui prépare aussi ses repas. Il m'assure qu'il n'a besoin de rien. Au réveil il me manque, je suis triste de l'avoir senti si près, si vivant et de m'être reveillé. Je suis heureuse d'être encore capable de me souvenir de lui.

L'oiseau noir: je rêve d'un oiseau tout noir et luisant. Il est debout sur un poteau. Il a l'air d'attendre quelque chose. Sa silhouette tranche sur le paysage enneigé. « Il est tout seul » me dis-je, « va-t'il s'envoler? » Mais il ne s'envole pas et le temps s'arrête. Je suis sur la route vers le Mont-Dore. Cela je ne le rêve pas, je m'en souviens en me réveillant et je sais qu'il est trop tard.


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jeudi 30 octobre 2008

Les vacances

Les Sables d'Olonne: j'ai trois ans. Je ne me souviens de rien, mais sur la photo en maillot de bain près de ma mère et ma soeur, je suis terriblement maigrichonne. Mes cheveux sont tellement bruns et frisées, ma peau mate, mes yeux noirs, apparemment je viens d'orient, au contraire de ce que pense Monsieur Shlomo Sand : il affirme que le peuple juif n'existe pas. C'est une invention et les Palestiniens seraient les véritables descendants des tribus d'Israel. A voir ...

Le Cap Ferré: deux souvenirs; d'abord celui marquant d'avoir appris à nager dans les vagues du Cap Ferré. Le deuxième c'est un jeu qu'à 6 ans nous jouions. Nous découpions à la petite cuillère une petite pyramide de sable. Si elle s'effondrait le perdant devait manger du sable. Aussi je me souviens clairement d'une conversation avec mes amis sur la plage ou nous disions qu'à l'âge de 60 ans il fallait mieux mourir que vieillir. Je ne sais pas ce qui est le plus bizarre, le sujet de cet échange entre des mômes de 6 ans, ou le fait que je m'en souvienne encore.

Le Mont-Dore: cela m'a mis longtemps pour aimer le ski. Je n'aimais pas les leçons, l'équipement lourd et embarrassant, les odeurs, surtout celle du gaz carbonique qui s'échappait des autocars. Ma mère attendait de moi que je sois une sportive, mais il y avait trop de remue-menage et de bruit pour moi sur les pistes. Le 25 décembre 1965, j'avais 9 ans et nous étions à l'hôtel au Mont-Dore. Un des clients qui était médecin se précipita vers la porte de sortie suite à un coup de fil. Le téléphérique s'était ouvert en deux sur le Puy de Sancy. Il régnait dans l'hôtel une torpeur mêlée d'agitation que j'ai retrouvée plus tard en Israel après les attentats terroristes.

Cannes: mes parents n'allaient jamais dans le midi. Nous étions de la Vendée et de la Normandie. En ce temps la Bretagne n'était pas encore bon ton. En 1973 je suis descendue dans le midi pour quinze jours avec mon amie Laure. C'était la première fois que je voyais des maisons aux murs colorés. Je les photographiais avec engouement. C'était la première fois que je voyais des boutiques ou l'on faisait des pâtes fraîches. Un soir , nous sommes allés au restaurant et j'ai mangé, oui, pour la première fois, des lazagnes. Et puis j'ai vu un monsieur tout seul, attablé dans un coin avec une orange sur son assiette. Il tenait dans ses mains une fourchette et un couteau et épluchait ainsi l'orange. J'étais sous le charme de tant de bonnes manières. Vraiment ensorcelée. La Croisette , pendant ce temps se preparait pour les stars du monde entier.

L'île de Ré: comme une petite boite aux merveilles, l'île m'a comblée de mille moments magiques. Les caresses du vent au milieu de l'hiver m'ont un peu déboussolée. J'aimais m'asseoir sur un banc près du port de Saint Martin en Ré et soulever ma main devant mes yeux pour contrer l'éblouissement du soleil. Le soleil d'hiver, sournois, beaucoup plus fort que l'on pourrait le croire. Sur l'île de Ré j'ai respiré tellement profondément, j'ai désempli mes deux poumons jusqu'au fond, jusqu'au silence, l'absence de vie, pour les remplir d'une substance absolument vitale, la joie de vivre. Quand j'ai quitté l'île de Ré, j'ai tourné le dos à une partie de moi et je me suis tournée vers ce que je venais juste de découvrir, une vérité toute béante, toute jeune encore: j'etais aimée.


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samedi 4 octobre 2008

Les villes

Châteauroux d'abord: au premier abord, à tribord, par dessus bord, de tous les bords, je t'abhorre, non ce n'est pas vrai , je t'adore. Tu m'as tout donné de mon enfance et mon adolescence. Tu m'as tout livré des sursauts et des folies de la vie, toi qui n'est pas une ville de lumière, pas une capitale, même pas belle disait Jean Giraudoux cet ingrat, mais tu es la ville ou je suis née et tu m'as crée bien de la joie et les larmes n'étaient pas si acides que cela. C'était de belles larmes pour une belle vie. Tu me pardonneras de t'avoir quittée pour me bâtir ailleurs.

Paris: tu es ma banlieue, tu es mon jardin, ma randonnée. Tu es toujours disponible, toujours ouverte et accueillante. Tu m'aimes depuis toujours, c'est un point entendu entre nous-deux. J'aime descendre du train à la gare d'Austerlitz ou mon beau-frere vient m'attendre. J'ai dix ans et je voyage seule. J'aime le parc de Vincennes et les tigres du zoo de Vincennes. Plus tard je déambulerai heureuse sur les boulevards entre Bonne Nouvelle et Opéra, perdue sur un nuage adolescent, complètement ivre du temps qui me bouscule. Puis une pause rue Galande, noire, bleue et orange, une pause indélébile, une marque dans les yeux.

Bourges: le car nous bringuebalait vers la grand ville. Oui Bourges c'était la capitale, Paris la préfecture, vous avez tout compris. Dans le car il faisait chaud car c'était toujours le mois d'août. Sur la route, à gauche, il y avait deux maisons avec un toit de chaume. Bourges est tombée dans mon oubli, belle avec sa cathédrale et son palais Jacques-Coeur. Seul le nom d'Alain Meilland reveille le souvenir d'une voix douce et un regard sombre.

Vierzon: il n'y a pas mille versions de Vierzon. Il n'y en a pas cent, ni dix, ni trois. Il y a une seule version de Vierzon, là ou ma vie se casse en deux. Comme un sucre d'orge, comme un roseau, elle se casse, elle s'en va. J'ai presque tout perdu pour un passage dans une ville camion, une ville sans fond, une ville sans pardon. J'ai voulu la traverser et j'y ai laissé ma peau, mes os. De toutes les villes, toi qui m'a laissée pour morte, toi mauvaise mère, traîtresse, c'est toi qui me fait encore rêver.

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jeudi 14 août 2008

La leçon de piano

Préambule: dans le passé j'avais deux soeurs. Quand à la fin de la journée je disais à mon mari "au fait ma soeur m'a appelée", il rétorquait "laquelle?". Aujourd'hui il se contente de demander "ah .. et comment elle va?". Aujourd'hui j'ai deux soeurs, toujours, mais celle qui est morte ne me donne plus son avis sur rien. Elle me fait confiance. Elle sait qu'à mon âge on sait se guider toute seule dans la vie. Mon autre soeur qui est vivante fête aujourd'hui son soixantième anniversaire. C'était ça en fait que j'essayais de dire.

La permanence: ma soeur avait huit ans quand je suis née. Je ne me souviens pas d'elle enfant mais ma première image d'elle est celle d'une fille de douze ans assise au piano à coté de Madame Hadt. J'assistais aux leçons de piano en barbouillant des signes sur le tableau noir du professeur ou en restant assise à jouer avec la tortue. Me Hadt avait une tortue centenaire qui vivait à coté du poêle. Beaucoup de choses dans ma tête étaient totalement fluctuables, temporaires et vouées a la désintégration imminente, mais l'image de ma soeur à son piano, de Me Hadt diligente et de la tortue immortelle, tout cela contribuait à me faire penser que le monde, après tout, était peut-etre une chose permanente sur laquelle on pouvait compter.

Premier départ: Quand ma soeur est montée à Paris faire ses études, j'avais onze ans et mon enfance s'achevait sans faire de bruit et seule Me Hadt était toujours à l'heure, toujours présente. Bien que déjà grande, je m'asseyais encore près du poêle pour jouer avec la tortue centenaire. Ma soeur qui était aussi mon professeur de la vie, me manquait.

Deuxième départ: quand ma soeur s'est mariée, j'avais quinze ans. J'étais en rage, non pas de la voir heureuse avec un jeune homme bouillant de vigueur et d'esprit ... non ... j'étais en rage parce que c'était l'heure de montrer sa rage. C'est à cette époque que je suis devenue nulle en maths et physique du jour au lendemain et que j'ai interrompu mes leçons de piano avec Me Hadt. Elle avait été mon professeur et moi son élève pendant dix ans. J'avais appris à écrire les notes avec elle, avant d'avoir appris a lire et écrire tout autre langue.

Troisième départ: quand ma soeur a émigré en Israel, j'avais 19 ans. Je lui ai rendu visite dans son kibboutz. C'était reposant de voir cette communauté pastorale qui vivait en apparente harmonie, tous ces petits bambins qui couraient librement dans tous les sens, les vaches, les chevaux, les blés, comme dans les souvenirs de mon enfance à Preuilly. Et puis aussi, il y avait un sentiment de solidité, de sécurité, de permanence que je n'avais pas connu ... oui ... depuis les leçons de piano de Me Hadt.

Épilogue: Deux ans plus tard c'est moi qui ait rejoint ma soeur. Elle est restée au kibboutz trois ans, moi quinze. Depuis nous faisons notre vie ensemble, nous nous regardons grandir mutuellement. Les huit ans qui nous séparent ne veulent plus rien dire depuis longtemps. Je ne joue plus le piano depuis plus de trente ans, mais ma soeur joue encore et même donne des leçons. Quand je lui rends visite je la retrouve assise face au clavier, droite sur son tabouret, la tête baissée à un angle très précis, un léger sourire sur les lèvres, consciencieuse, attentive. Et moi sur le tableau noir, je continue à grabouiller des signes qui deviennent des mots.


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lundi 11 août 2008

Mais où suis-je? Sur Facebook ou presque.

Le mot de passe: je m'y suis reprise à sept fois pour taper mon mot de passe. Toutes les combinaisons possibles et imaginables y sont passées après que la plateforme de blogger m'ait déclaré à chaque tentative : ça va pas, tu t'es mise dedans, non mais quelle abrutie, recommence va pomme à l'eau, oui c'est ça on essaie encore une fois Bécassine ... Malgré toutes ces injures, j'ai fini par y arriver.

Conclusion des le départ: je devrais tout de même publier plus souvent sur mon blog. Une fois toutes les 5 semaines, ça commence à sérieusement sentir le laisser-aller, le manque de motivation, le je m'en fous un peu.

Mon blog et moi: sommes nous fâchés? Oui, peut-être, un peu. A vrai dire je suis sur Facebook ou presque. Je dis ou presque parce que même sur Facebook je m'ennuie et je ne trouve rien d'intéressant. A vrai dire je ne fais rien sur Facebook que de la figuration, histoire de démontrer que je ne suis pas virtuellement disparue.

Facebook: cela ne m'apporte rien, mais j'y suis quand même. J'ai rencontré pas mal de gens (de mon âge) qui disaient la même chose. Sauf Mohammed le poète qui a l'air de s'y plaire. J'aime bien pour les photos qui sont si faciles à ajouter et les contacts rapides et faciles entre gens du même bord et surtout évidemment pas du même bord. Ai-je dit "facile" deux fois? Ce n'est pas un hasard. Facebook c'est trop simple pour moi, trop déjà broyé, moulu et tout chaud de la cafetiere. Ceci-dit pour afficher les photos de ses petits-enfants c'est super ...

Si cela vous tente: vous me trouverez sur Facebook en cherchant mon nom tout simplement. Il faut être déjà inscrit sur Facebook pour faire une demande et devenir "l'ami" de quelqu'un et cette personne doit accepter votre demande et ainsi vous donner accès à son compte. Quand vous vous inscrivez je vous conseille de demander que la publication de vos données personnelles soient restreinte à vos amis.


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mardi 8 juillet 2008

Mes nourritures d'antan

La réglisse ou à l'origine le bâton de réglisse: c'est à ce jour, le médicament imbattable pour mes petites crises de déprime. A sucer lentement, mâcher consciencieusement ou écraser brutalement entre les mâchoires, la réglisse est le remède à tous les maux surtout ceux du coeur et de l'estomac.

La madeleine au chocolat: pour les souvenirs d'abord, ah ah, qui l'eut cru? Je n'en ai pas mangées depuis des dizaines d'années. A noter: lors de mon prochain séjour en France, acheter des madeleines. Alternative: les faire moi-même. je me suis laissée dire que ce n'était pas compliqué.

Le yaourt à la réglisse: oui je sais, je me répète, mais c'est un incontournable ca le yaourt au réglisse ... La recette s'effectue en trois étapes:
1. Briser le pain de zan en petits morceaux.
2. Prendre un yaourt, y verser le zan en morceaux et bien touiller.
3. Remettre le yaourt dans le frigo et attendre 1h.
4. Il est conseillé de manger en solitaire afin d'éviter les questions stupides du genre "un yaourt à la quoi???".

La vinaigrette sans huile: c'est bien simple. Il suffit de faire une vinaigrette classique au possible, huile, vinaigre, sel et tout le bastringue mais en omettant l'huile. C'est une recette que j'ai expérimentée pendant mes grossesses et qui m'a fait beaucoup de bien. A éviter tout de même si vous avez l'estomac fragile.

La tranche de pain avec 4 carrés de chocolat: distribuée dans la cour de recréation à 10h du matin elle était si populaire que nous nous bousculions pour en recevoir les premiers. D'autres jours plus gris on nous distribuait la tranche de pain avec une innommable pâte de fruit.

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jeudi 5 juin 2008

Les objets

Le ticket du Roissybus, dans mon portefeuille: il date du 15 août 2004. Le matin même j'avais pris le train de Trouville pour Paris. Ma grande soeur m'avait acheté des boucles d'oreille. Elle avait marché toute la distance jusqu'à la ville à coup de petites enjambées pas très solides. Plus tard à la gare Saint Lazare, JC m'avait attendue et devant un café, place de la Madeleine, nous avons bavardé jusqu'à l'heure de ma navette pour l'aéroport. A 17h12 je suis montée dans le bus et le conducteur m'a donné mon billet. JC est resté sur le trottoir à me guetter à travers la vitre jusqu'à ce que le bus démarre.

La petite bougie, dans une petite poche de mon portefeuille: pour mes 51 ans, mes enfants et mon mari m'ont fait une fête dans un restaurant. Un de mes gendres a apporté un gâteau avec des bougies ... qui à ma grande surprise se rallumairent après que je l'ai eu soufflées. J'ai conservé le bout d'une bougie bleue.

Le porte cigarettes en cuir, dans une boite: Il contient le dernier paquet de Gauloises, vide, que mon père a fumé. Il fumait au moins deux paquets par jour, mais quand il tomba malade, il se décida à arrêter tout.

Une pierre noire, dans une boite a bijoux: Je ne me souviens plus ou je l'avais trouvée. Elle est magnifique, harmonieuse, lisse. Elle me rappelle quelqu'un. J'ouvre la boite une fois par an environ et je la touche.

Les mille et une nuits, sur une étagère dans ma chambre: des illustrations somptueuses qui m'ont fait rêver quand j'avais 10 ans, du temps ou j'avais reçu ce livre comme prix d'excellence. Je rêve encore parfois de Sinbad le marin, de la veuve indienne, de la caverne d'Ali Baba, des étalons noirs et de l'amour du sultan.


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mardi 27 mai 2008

Le 24 mai

Le 24 mai: c'est le jour de notre mariage. La hupa est dressée sur la pelouse de la salle à manger au kibboutz. C'était il y à trente ans.

Trente plus vingt-six: il avait un visage calme le Guerrier Ottoman, des yeux lumineux de clarté, une épaule à l'angle absolument parfait. C'était le jour ou le reste de sa vie commençait.

Trente plus vingt-deux: mes parents avaient tenu le coup jusqu'à mon mariage. Maman pleurait trop mais qu'importe, elle était là et je tenais sa main dans la mienne. C'est ma soeur Mali qui la remplaça à mes côtés sous la hupa. J'avais 21 ans, 6 mois et 3 jours. J'étais tombée amoureuse du Guerrier Ottoman quelques mois auparavant, le jour ou il m'avait accompagnée à l'aéroport.

J'étais partie: j'avais décidée impulsivement de ne pas retourner en France et de faire ma vie en Israel. Toutes mes affaires étaient restées à Paris. Le jour ou je reçu un avis me signalant qu'un colis de 20 kilos m'attendait à l'aéroport pour être dédouané, je me dis que je n'allai pas traîner 20 kilos toute seule. Sur ma gauche un type de l'oulpan était assis. Alors je me souvins de lui.

Les trois figues: deux mois plus tôt, tout l'oulpan avait fait une promenade au Park Canada et je m'étais blessée en entrant dans une grotte. Plus tard une main se tendit vers moi et dit "c'est pour toi, je les ai ouvertes". Je mangeais les trois figues goulûment. Je me retournai, il avait disparu. Je m'étais souvenue de lui. Je me tournai vers lui dans la salle a manger pour lui demander de m'accompagner le lendemain à la douane.

Résumé: trente ans de vie commune ça ne se résume pas. Les mots me trahiraient. Ils seraient grotesques et communs. Les mots gâcheraient toute la beauté de la lumière et toute la fraîcheur de l'ombre.

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mercredi 21 mai 2008

Les films

Les films: j'ai regardé bout à bout "Lost in Translation" et "The Truman Show". Il ne manquait plus que "Billy Elliot" pour me faire fondre complètement. Ces films me touchent. Ils parlent d'une recherche identitaire constamment en péril, susceptible à tout moment de se désintégrer. Et pourtant le happy end attend les héros au tournant.

Lost in Translation: Les deux personnages principaux, Harry et Charlotte, ne se projettent pas l'un sur l'autre, c'est cela qui est étonnant dans cette histoire qui aurait pu sombrer dans la narration d'un adultère insipide entre deux personnes avec un manque à combler. Au contraire la réalisatrice a trouvé bien plus à faire partager aux héros: l'attachement, l'amitié, le respect, l'amour. Le mystère du dialogue, à la fin de "Lost in Translation" est fulgurant de génie.

The Truman Show: il y a dans ce film, un des moments cinématographiques le plus émouvant, lorsque le bateau de Truman perce le mur de l'énorme bulle / ventre ou il vit depuis 30 ans sans savoir qu'il est le héros d'un feuilleton télévisé. Ce moment est suivi par la confrontation corporelle de Truman avec cette paroi: il la touche d'abord puis il la frappe avec ses épaules, de tout son poids.

Billy Elliot: tout à la fin, le plan sur le dos de Billy adulte me coupe la respiration à chaque fois. L'adjectif "fulgurant", je l'ai déjà utilisé? Alors on va dire renversant. Au tout début je pleurais seulement à la fin du film, à ce moment la. Puis ça commençait des que le père et le frère de Billy débarquaient dans la capitale. Ensuite, quand Billy recevait sa réponse de l'académie de danse. Maintenant je prends mes mouchoirs et je me laisse aller carrément du début.


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mardi 6 mai 2008

Amour d'enfance

En seconde: j'étais très mauvaise en math et j'étais amoureuse. Un premier amour totalement éblouissant. Peut-etre que l'un expliquait l'autre.

La lecture: ce fut le grand amour de mon enfance. J'ai déjà parlé ici de mon premier livre, "oui oui aux pays des jouets" que ma grande soeur m'avait offert. A l'âge de 8 ans je lisais en secret sous ma couverture, comme toutes les mômes de mon âge. Ma lecture? Agent 007. Si je vous assure. Je les cachais sous mon lit et les dévorais avec engouement.

C'est curieux: je n'étais pas amoureuse de James Bond. C'est parce qu'à l'âge de 8 ans, j'avais déjà décidé qui était l'amour de ma vie. C'était un fait établi et ce n'était pas James au gadget électronique facile qui allait m'en éloigner.

Mon amour d'enfance: rien que d'y penser, j'en ai des frissons. C'est un grand secret. Même mes amies n'étaient pas au courant. L'amour de ma vie c'était ...

Michel Strogoff: aucun homme ne pouvait dépasser ce héros qui illuminait mon existence. Les traits slaves, les yeux bleus clairs, le cheveu blond, vibrant de force et vigueur sur son cheval à travers les steppes de la Siberie, il était l'emblème du courage, de la virilité et de la générosité.

Et aussi
: il avait pensé à sa mère au moment ou un sabre devait l'aveugler. Il avait pleuré et c'était les larmes qui avait sauvé ses yeux.

En fin de compte: je me suis mariée avec ce que j'ai trouvé de plus proche de Michel Strogoff. Il a vraiment la plupart de ses qualités, physiques et morales. Ce n'est pas donné à tout le monde d'épouser son amour d'enfance.


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dimanche 4 mai 2008

Le gibier


Mes amies: j'ai toujours eu des amies. Il semble que je sois d'un caractère sociable. Je me souviens de toutes mes meilleures amies.

Mes meilleures amies: d'abord il y a eu Françoise. Nous étions ensemble à la maternelle pendant 3 ans et aussi pendant le cours primaire et élémentaire.Nous jouions ensemble a l’école mais aussi à la maison. Elle était la seule enfant du quartier chez qui j'allais régulièrement et réciproquement.

la fin de Françoise: Elle était fille unique. Je l'ai perdue de vue quand je suis passée au programme bilingue. Je l'ai revue un jour, huit ans plus tard. Elle était très fine, très belle et je l'ai à peine reconnue à 15 ans. Elle m'a invitée à un week-end communautaire sponsorisé par sa paroisse. Je ne sais pas pourquoi, j'ai accepté. Nous avons passé une journée extraordinaire ensemble le week-end suivant. Nous nous étions retrouvées tout naturellement. Une semaine plus tard elle est morte dans un accident de moto.

Dans ma tête je me repasse un film à l'envers ou je lui dis:
- Non je suis désolée Françoise, je ne peux pas participer à une activité paroissiale. Tu sais bien que je suis juive. Mes parents seraient fous de rage ...
- Ah mais oui , ou avais-je la tête? Alors on se reverra une autre fois d'accord?
- D'accord Françoise , à bientôt.
- A bientôt Nathalie.

Une autre amie d'enfance: elle s'appelait Anne. Elle vivait dans une grande maison, juste en face de l'atelier (une fabrique à vrai dire que dans la famille on appelait "l'atelier"). Dans sa salle à manger s'étalaient des meubles massifs. Dans son salon trônaient des divans de taffetas et des buffets en marqueterie. L'or et l'argent, le cuivre, le bronze étaient partout. Le père d'Anne avait son propre bureau, une bibliothèque ou il se retirait pour fumer le cigare. La cuisine était très grande emménagée d'instruments rutilants et mystérieux. Une fois je vis la bonne sortir du congélateur une moitié d'animal.
- Du gibier, me dit-on.
- Du quoi?
- Ton père ne chasse pas? Me demanda Anne.

Un autre monde: Anne et moi ne vivions pas exactement dans le même monde. Chez moi on mangeait devant la télé, mon père avec les mains pour aller plus vite. Maman aurait tout donner pour vivre au même standing que les parents d'Anne, non pas qu'elle ait été attirée par le luxe et l'argent. Non, elle était attirée tout simplement par la beauté.

La différence: ce qui me fascinait énormément chez mes petites amies, c'était le fait que parfois, un monsieur ou une dame venait les chercher à la fin de la journée, à la maternelle. Françoise et Anne couraient vers cette personne et l'embrassaient. Elles étaient toute contentes. Elles s'en allaient avec la main de cette personne dans leur main. Au début, quand Françoise m'a dit "pépé vient me chercher", je n'ai rien pensé. C'était un peu comme le gibier dans le congélateur. Quelque chose n'était pas net. Je savais bien que je devais avoir l'équivalent, quelque part, dans mon monde. Mais ?


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lundi 28 avril 2008

Bratislava - suite

Martin parle bien l'anglais. Il est toujours enjoué. Il sait parler de tout: c'est un diplomate né: je devrais le recommander à un de mes proches qui est dans le business. Il a l'air d'un jeune homme tout simple, qui ne casse rien, mais avant que vous en soyez consciente, il vous a manipulée. Mais on ne dit pas manipuler, ce n'est pas gentil. Il vous a ensorcelée.

Cet été Martin revient pour participer à un congrès de jeunes diplomates en Israel. Chaque pays avec une communauté juive a choisi un représentant. Et c'est Martin, avec sa chemise de tricot jaune et ses shorts verts turquoise qui a été choisi par la Slovaquie.

Je l'aime bien Martin. Il a exactement l'âge de mon fils le prince ottoman. D'ailleurs tous deux sont un peu sortis en ville et on beaucoup bavardé sur le balcon pendant que le prince ottoman jouait de la guitare tout en fumant ses Camels.
Martin ce n'est pas le genre à fumer, boire ou à tirer sur un joint. Sa mère a du le trouver dans une pochette surprise qui datait des années 50.

La maman de Martin: elle est prof de slovaque. Elle a grandi dans le palace presidentiel de Brastilava car son papa en était l'administrateur. En plus du slovaque elle parle couramment le hongrois, le russe et l'allemand. Le russe pour moi, niet, ya nieznayou. Le hongrois? Oui je veux bien avec Ralph Fienes en bonus avec la même tête d'amoureux transi qu'il trimbale dans "The English Patient". L'allemand? Voyons voyons ... l'allemand ... Et bien oui, y'a pas le choix: je lui parle en allemand. Au début c'est comique car j'ai tout oublié. Et puis ensuite je commence à me souvenir des mots, des verbes, c'est fabuleux.

Quand Martin et Eva sont repartis après un séjour d'une semaine chez nous, Martin avait les joues pas rasées et cela grattait. J'avais le coeur qui partait en mille morceaux. J'ai embrassé Eva bien fort. Je lui ai promis que nous viendrons à Brastislava dès que possible. Le taxi a démarré et puis je me suis mise à pleurer. Les larmes c'est fait pour dire qu'on aime, mais dans un langage secret dont tout le monde maitrise la grammaire et le vocabulaire.

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mercredi 23 avril 2008

Ma complice

Je me souviens de ses premiers sourires et de ses premiers pas. Non pas que j'aie été sa mère, ni même sa soeur. Je la regardais grandir de derrière mes affreuses lunettes qui justement venaient de me tomber sur le nez. J'étais juste moi, personne en particulier ... et j'attendais.

Je la regardais et je savais qu'elle était quelqu'un d'important et qu'il allait se passer quelque chose ... Mais quoi? Alors j'attendais.

Elle était nerveuse, pas toujours prévisible, vivace comme le feu. Il y avait quelque chose dans son regard qui parlait. Je n'étais pas sure de comprendre. C'était un regard qui voulait s'éloigner pour s'affirmer, qui demandait à aller quelque part ... Mais ou? Alors j'attendais.

Plus elle grandissait et plus elle était belle. Un jour, elle avait 14 ans, elle est venir me voir au kibboutz et ce jour-la j'ai lu dans ses pensées et elle dans les miennes. C'était la première fois. Nous nous sommes tues. C'était peut-etre un secret ... nous n'en étions pas sures.

Plus tard elle était femme et moi aussi. Je n'avais plus rien à lui apprendre, seulement à partager. Les années étaient passées.

Je ne dirai pas que je l'aime comme ma soeur. A force d'aimer ses soeurs comme des mères et ses nièces comme des soeurs on ne s'y retrouve plus ...

Je l'aime parce qu'elle est un peu nerveuse, pas toujours prévisible, vivace comme le feu. Je l'aime parce qu'il y a en permanence quelque chose dans son regard qui parle. Je l'aime parce qu'elle veut toujours s'éloigner et toujours aussi s'approcher. Je l'aime parce qu'elle veut aller quelque part ... Mais ou? ... Alors j'attends.


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vendredi 18 avril 2008

Bratislava aller-retour

Il y a de cela trois ans, mon mari et moi avions passé les fêtes de Pessah avec la communauté juive de Bratislava et en particulier avec
le rabbin Myers, le grand rabbin de Slovaquie, un américain Habad du New-Jersey, installé avec sa famille à Bratislava depuis 1993. Au cours des nombreux repas que nous avions partagés avec eux le long de la fête, nous nous sommes tout naturellement liés à cette famille et ses 10 enfants qui parlent tous 4 langues couramment.

Le 1er mai de cette année-là, la Slovaquie fêtait une année dans la communauté européenne. A cette occasion le palace présidentiel à Bratislava était ouvert au public et une géante garden party organisée dans ses jardins. C'est en parcourant les stands des divers pays de l'union europeenne que nous nous sommes retrouvés nez à nez avec Martin, un jeune homme de 18 ans rencontré à plusieurs reprises à la synagoque et chez le rabbin Myers.

Martin qui parlait bien l'anglais nous avait fait part de ses projets d'études en médecine et avait partagé avec nous ses sentiments concernant la communauté et l'identité juive. Martin était toujours flanqué d'un acolyte au cheveux longs et de nature timide nommé Markus. Tous deux étaient les uniques représentants des lycéens juifs bratislaviens à la synagogue et à la table du rabbin. C'est ainsi que dans les jardins de la maison présidentielle, Martin, qui était accompagné de sa mère, nous dit:

- Ma mère est très émue aujourd'hui, elle a grandi ici ...
- A Bratislava?
- Non, ici.
- Ou ça ici?
- Mais ici ... Pour nous c'est juste le palace présidentiel, mais pour elle, c'est la maison ou elle a grandi.

En effet, Madame Z., fille d'une ancienne personnalité politique, était née et avait grandi durant l'époque soviétique dans l'aile gauche du bâtiment présidentiel qu'elle nous désigna avec émotion.

A l'ère de l'internet, Martin et d'autres jeunes personnes rencontrées à Bratislava, nous avaient promis de garder le contact. Promesses seulement?

Pendant que je frappe ces mots sur le clavier mes invités pour le soir du seder sont dans l'avion, et d'ici peu atterriront à Ben Gurion. Une quinzaine de minutes et hop, ils seront à ma porte. Martin et sa mère vont rester chez nous pendant une semaine. J'espère que Madame Z. ne sera pas déçue quand elle verra la petite chambre que je lui propose ... Alors je lui dirai:

- Ce n'est pas vraiment un palace mais ... c'est la terre d'Israel.

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mardi 15 avril 2008

Marcher son chemin

J'ai ce rêve qui revient: je m'endors sur son cercueil.
Je suis calme et je dors d'un sommeil profond.

Non, je ne fais pas mon deuil,
Au contraire c'est lui qui me fait.
Au contraire c'est moi dont les os ont blanchis tandis que sa chevelure reste luisante comme la nuit.


C'est insultant pour elle à vrai dire et ridicule pour moi.

Mais, juste au moment ou je me sens consumée, lavée, séchée,
Juste à ce moment là il survient: l'éblouissement.
Un visage, un désir, une caresse, le contour d'une hanche,
La main d'une amie qui se tend et son sourire ...

Tout cela, d'un seul coup, se construit en moi et adhère à ma peau.
J'ai une peau; elle désigne ma séparation des autres individus.
Je me réveille ... "Ah" me dis-je,
"Les morts et les vivants ne marchent pas ensemble,
Pas toujours".
Comme la nuit et le jour ils sont de faux amis, jamais enlacés
Mais à employer toujours un ton de camaraderie, de connivence.

Je t'aime ma grande soeur, ma petite mère,
Parfois, sans avertissement, je me dis à moi-même:
"Je vais le raconter à Mali, elle saura me dire quoi faire",
Et comme une imbécile
Je reste là debout et je me souviens que
Tu es morte
Et moi je suis vivante; j'ai ma route à suivre.

Tu me le permets n'est-ce pas?
Il n'est jamais trop tard pour marcher son chemin,
En regardant en avant, en regardant en arrière,
En regardant ses pieds, en regardant son coeur,
En tournant son visage vers la lumière.

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samedi 12 avril 2008

Dernier mot

Mon abonnement arrive a son terme et je ne le renouvelle pas. Je n'ai pas trouvé sur la plateforme de Hautefort ce que je cherchais.

Tout en vrac: je n'ai plus d'inspiration. Je suis fatiguée. J'ai des problèmes médicaux qui ne mettent pas ma vie en danger mais qui me créent des problèmes d'organisation, de concentration. J'ai aussi parfois des douleurs physiques très importantes.

Hautefort ne me plaît pas. Je ne sais même pas trop pourquoi. Comme c'est payant je ne vois pas pourquoi je m'acharnerais.

Les autres blogs; je n'arrive plus a les lire. Le temps, l'energie, me manquent.

J'ai deux petits enfants depuis l'été dernier. Une fille et un garçon. Cela explique peut-être mon moindre investissement dans les blogs.

Je me souviens: quand ma fille aînée est née il y a de cela 25 ans, moi qui était une dévoreuse de bouquins, j'ai soudain arrêté de lire. Depuis je lis très rarement des romans. Cela a été drastique.

Je vous aime: vous êtes des gens biens. On se reverra. mon email est d_n_a@zahav.net.il.

Mon nouveau blog sera donc sur blogspot que je préfère: Il s'intitule "la fin de la poésie" http://fin-poesie.blogspot.com

Au revoir, Nathalie

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jeudi 20 mars 2008

A quelle guerre avez-vous participé? Questionnaire familial



Mon arrière grand-père Luzer: le conflit Russo-Japonais.

- Ah ben ça alors, mais c'était au début du siècle, du siècle précédent c'est à dire ... Mais quel âge avais-tu Zaide?
- J'avais 40 ans environ et j'étais père de 8 enfants. Je suis revenu sain et sauf et j'ai eu encore 4 enfants dont ta grand-mère.

Mon arrière grand-père Joseph: la première guerre mondiale
- J'étais officier sur un sous-marin de l'empire austro-hongrois.
- Il y avait des mers et océans dans l'empire austro-hongrois Hopa? Je n’étais pas au courant.
- Tu as raison. Ni mers ni océans. Ma base était à Pola. C'est aujourd'hui en Croatie et on dit Pula.

Mon arrière-grand-père Tauber: la première guerre mondiale
- Tu étais dans les tranchées?
- Ben oui.
- Et les boches te tiraient dessus?
- Ben non ...
- Comment ça?
- Les boches, fiston, c'était moi.

Mon grand-père Léon: la seconde guerre mondiale
- Raconte moi pépé. Dans quelle armée étais-tu?
- Je me suis porté volontaire dans la brigade polonaise de l'armée française. J'ai été fait prisonnier sur la ligne Maginot. J'ai été interné dans le Stalag VIIA en Allemagne et le Stalag XVIIB en Autriche.
- Et quand tu es revenu, ca s'est passé comment?
- A l'arrivée du train ma famille m'attendait. Mais tu sais ce qui m'a le plus ému c'est de voir mon fils, Lucien. Quand je l'avais quitté il était bébé et là, sur le quai de la gare, j'avais un petit bonhomme de 6 ans devant moi!

Mon oncle Lucien: la guerre d'Algérie.
- Tonton, alors cette guerre?
- Oh tu sais, moi j'étais dans les bureaux. Comptabilité.
- Sinon?
- Sinon rien.

Mon père: la première guerre du Liban
- Papa c'était comment?
- C'est très joli le sud Liban.
- Oui et encore?
- De très beaux paysages vraiment.
- C'est tout?
- Ah et puis je me suis fait des amis. C’était bien.

Mon ami Ido: la deuxième guerre du Liban
- Je suis au pub du coin Ido, je pense à toi. Tu te souviens quand on était tous bourrés et on s'était perdus en rentrant sur l'autoroute? Là je sens que je bois trop ... Si tu étais là tu me dirais d'arrêter.
- J'ai rencontré une fille Ido. Elle est jolie et elle me fait rire. Dommage que tu ne puisses pas me dire ce que tu en penses. C'est difficile de prendre des décisions en général, non, tu trouves pas? 

Moi: la prochaine


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mercredi 12 mars 2008

Le rhinocéros

Bloquée en blog: les mots ne décollent pas. Ce n'est pas l'inspiration, non pas l'inspiration. J'ai toujours plein d'idées et pensées qui me passent par la tête. Mais je suis bloquée.

Pourquoi? Le plus curieux c'est que lorsqu'on est bloquée, on est aussi bloquée pour expliquer pourquoi on est bloquée. C'est comme ça.

Toute la vérité: quand j'étais petite je restais souvent seule à trafiquer plein de trucs dans ma chambre. Réorganiser mes livres par exemple ou mes bibelots. Cela pouvait prendre des heures entières ... Pourquoi des heures entières? Je vais vous dire toute la vérité. Quand j'étais dans ma chambre au premier étage de l'avenue de Verdun il se passait des choses bizarres: les aiguilles de l'horloge tournaient toutes seules. Je rêvassais un peu et clac on était passé de 5 heures à 8 heures du soir sans que j'aie le souvenir d'avoir fait quoi que ce soit.

C'est pas grave docteur: non c'est pas grave du tout. Les enfants ont le droit d'avoir un monde intérieur ou ils se réfugient souvent. Et les dames qui ont la cinquantaine passée, c'est normal aussi?

Et bien ça dépend ...: dit le docteur.

La solitude: c'est comme le silence. Parfois ça fait du bien et parfois ça hurle. Parfois c'est juste un moment charnière, parfois c'est un gros bout de la vie.

Au commencement
: j'étais très seule, dans un monde à part. Je n'étais nulle part, attachée et rattachée aux gens qui m'étaient nécessaires pour vivre, comme un parasite sur un rhinocéros, partie pour l'aventure de la vie sans avoir d'identité.

Le problème: un jour l'animal arrive au bout de son chemin, s'affaisse et s'écroule. Et là, non seulement on est un parasite, ce dont en soit il n'y a pas à se vanter, mais en plus on est coincé sur une carcasse de rhinocéros. Mais qu'est ce qu'on a l'air bête comme ça, à ne rien faire, à ne rien sucer, à ne rien parasiter. Et on reste coincé, pendant des heures, que dis-je, pendant des années. On imagine dans nos rêves qu'à un moment donné la tête du mastodonte va se retourner et va nous dire: "allez, ma chérie, c'est fini, tu peux t'en aller."

J'ai la nostalgie du temps: ou j'écrivais mon roman. Je l'avais commencé l'année dernière, deux mois a peine après la mort de ma grande soeur. Dans le monde fictionnel de mon écriture, ma soeur n'avait pas survécu la shoah: elle avait été denoncée, deportée et gazée.

Je m'affaire pourtant: à plein de choses, travail, études, volontariat, ma famille , mes amies, mes petits-enfants. Je fonctionne. Oui je fonctionne... Mais parfois je m'arrête et je constate incrédule qu'il n'est plus 5 heures de l'après-midi: il est 8 heures du soir.

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vendredi 22 février 2008

l'absence

Il fut un temps: ou j'étais organisée. J'écrivais ma note et je visitais mes amis-blogs, consciencieusement, les uns après les autres.

Je ne peux plus: je suis un peu fatiguée, déglinguée, rêveuse. Je n'ai plus envie de faire les choses comme d'habitude.

Mon petit-fils: sa naissance m'a bouleversée. Je ne m'attendais pas à ce que cet évènement prenne une telle importance dans ma vie. Et pourtant j'ai déjà une petite-fille.

Ma petite-fille: elle se balance comme une gondole vénitienne, en avant , en arrière. Elle gazouille pendant des heures. Son regard est perçant et enveloppant - étonnant pour un bébé de 6 mois.

Mes filles: nous sommes assises toutes les trois dans la chambre du nouveau bébé. Chacune de mes enfants a un enfant sous le bras. Et puis "clic" une photo s'enregistre dans ma tête ... Est-ce la photo du bonheur, la photo de l'irrémédiable, du futur? La photo de ma réalité ce jour-la, le lendemain d'une petite tempête de neige à Jerusalem? Oui , c'est ma vie. Je suis troublée. Je pense à ma mère.

Ma mère: coupée, disloquée, arrachée, démembrée, écrasée, paralysée. Ma mère absente de ma maternité. Ma mère d'une présence lourde sur mon épaule, ma mère qui m'aimait pourtant. Qui m'aimait.

Dans l'orage: viennent tous les souvenirs. Je suis bien ingrate. Ma mère n'avait pas choisi sa paralysie ni sa dépendance. Ma mère n'avait pas choisi son impuissance et son absence. Jour noir frontière d'août et septembre ou je n'avais pas encore 20 ans et ou elle est partie de moi en un instant, en un effondrement. Je lui pardonne d'avoir brisé mon coeur.

Que dis-je: Je lui pardonne de l'avoir pris, de l'avoir jeté à la mer, si loin, si loin. Et moi aussi je me pardonne, de l'avoir laissé ou il était, exilé, pour avoir moins mal et pour survivre sans elle.

L'absence: le silence de ceux qu'on a aimés, de ceux qu'on a perdus. A chaque tournant de ma vie, à chaque virage, le silence revient me saluer comme si j'étais la reine d'Angleterre en personne, à coups de courbettes, révérences et ronds de bras. Puis sans broncher, il recule, il distribue quelques sourires gênés et il s'en va.

Et moi: je reste moins seule et plus forte à chaque fois et mon royaume avec moi.

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mercredi 13 février 2008

La boucle est bouclée

Vous vous souvenez de mon histoire "Tai Chi, la chienne blanche"? Elle se terminait ainsi:

Rani et Sandra ne sont pas des personnages de conte de fées ; ils sont bien réels. A Jerusalem, au creux de l'hiver 2008, ils attendent sous peu la naissance de leur premier enfant.

Derniers développements: Rani et Sandra ont eu un fils il y a quelques jours. Ainsi, 76 ans après les presque fiançailles de Myriam Blumfeld et Isaac Silberstein, la boucle est finalement bouclée.

PS: une coïncidence sans doute ... le jour ou le bébé de Rani et Sandra est né, je suis devenue grand-mère pour la seconde fois.

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dimanche 3 février 2008

Trente

Il y a trente ans: je me suis fiancée. Mes parents ne connaissaient pas mon futur mari. Ils ne l'avaient jamais rencontré. Je n'avais pas parlé de lui dans mes lettres. Un jour j'ai pris le téléphone et j'ai dit à mon père "je me suis fiancée. Il est américain".

Il est américain: on ne peut pas dire que mon père ait été surpris de cette nouvelle. Un jour, j'avais dit à ma famille "quand je serai grande je me marierai avec un américain". Pourquoi avais-je dit ça? Tout simplement parce qu'à cette époque, quand j'avais huit-neuf ans, je savais déjà que je n'étais heureuse nulle part, nulle part sauf à la base militaire de Touvent, chez les américains.

La base de Touvent
: à la base militaire de l'OTAN, je partageais les bancs de l'école avec des petits américains. Je ne sais pas pourquoi, mais je les aimais. Je les trouvais chaleureux, je les trouvais gais. J'étais timide, effrayée. J'avais des jours lumineux et j'avais des jours sombres qui s'entremêlaient les uns dans les autres. Ma compagne de classe, "my partner"qui m'avait été designée s'appelait Vicky.

Vicky: J'ai retrouvé Vicky il y a deux ou trois ans. Elle habite en Californie. Cela m'a fait bizarre. Nous nous souvenions très bien l'une de l'autre. Elle m'a dit "tu parlais l'anglais couramment quand je t'ai vue la première fois". Je lui ai dit: "ce n'est pas possible, j'ai commencé l'anglais en septembre, comme les autres au programme bilingue". Elle m'a dit "Non, non, je me souviens clairement que tu parlais déjà l'anglais au début de l'année".

Une énigme: c'est une énigme. Ça n'a aucun sens. Vicky doit se tromper.

Jeff: quand j'ai rencontré Jeff alias Stan dans "Anna R. Licht", j'etais encore bien timide, silencieuse et observatrice. Jovial extérieurement, disjoncté intérieurement, il avait besoin de se reposer et de parler de lui, dans sa langue maternelle si possible. Quand on dit que les langues étrangères ouvrent des débouchés, c'est vrai.

Conclusion: sur une échelle de un à dix, dans quelle mesure suis-je satisfaite de ma décision d'il y à trente ans de me fiancer avec le Guerrier Ottoman? Sur une échelle de un à dix? Trente.


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lundi 28 janvier 2008

Retour a l'auberge

L'auberge espagnole: j'ai revu le film de Klapisch aujourd'hui. Pendant ses examens à l'hôpital le héros de cette histoire rêve qu'il a oublié le français. "J'ai oublié ma langue maternelle" dit-il en espagnol.

Mes parents: leur langue maternelle était le yiddish.

A moi aussi: ça m'arrive parfois ... Je cherche un mot en français, je l'ai oublié ... puis deux mots, puis toute une phrase. Parfois c'est plus simple pour moi de ne plus parler le français.

Moi: ma langue maternelle est le français.

Le choix linguistique: quand j'ai eu mon premier enfant j'ai fait le choix de ne pas lui apprendre le français, ma langue maternelle. Je portais alors en moi une colère contre mes racines linguistiques qui était à priori inexplicable.

Mes enfants: leur langue maternelle est l'hébreu.

Et pourtant: je n'en veux pas à la langue française. Elle ne m'a jamais fait que du bien. En n'en faisant pas une des langues maternelles de mes enfants, j'ai voulu couper les ponts à ma manière. J'ai voulu dire " la France n'était pour moi qu'une gare de transit identitaire".
Mon pays natal avait pour mission de faire tampon entre la Pologne et moi. Mission accomplie.

Ma petite fille: sa langue maternelle est le yiddish.

Ou presque.

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Ca alors

Ça alors!: je ne me souviens plus quand on doit écrire ça ou çà avec un accent ... C'est grave docteur?

Mon médecin: j'ai besoin de lui. Le médecin de ma mémoire, de ce que je suis. Il est devenu lui-même un objet de ma souvenance. Il est devenu comme les autres, un mannequin disloqué, utilisé, fatigué. Il me manque.

Et pourtant: à l'intérieur de moi, silencieux mais puissant comme un père intérieur, comme une mère intérieure, à cet endroit là, il me protège, il m'aime et je sais qu'il est indestructible.

Il me dit: c'est comme ça. On ne sait pas toujours où mettre l'accent. On ne sait pas toujours quand c'est grave, ou aigu ou même circonflexe. On ne sait rien. Certaines choses n'ont pas l'importance qu'on leur accorde.

Ma soeur me manque: j'attends à tout moment la naissance de mon petit-fils, mon deuxième petit-enfant. J'attends le début de cette vie et je ne sais plus ... je ne sais plus ce que ma soeur aurait dit. J'aurais bien voulu lui téléphoner, maintenant, à cet instant, au lieu d'écrire une note sur mon blog.

Je me demande: qui est l'enfoiré qui a déclaré qu'une année c'était suffisant pour faire son deuil?

Ceci n'est pas un coup de déprime: ceci est un accent grave sur çà.

Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2008

mercredi 23 janvier 2008

Tai Chi, la chienne blanche - fin

Ceci n'est pas un conte
mais une histoire vraie



- Judith ouvrit la bouche mais elle ne dit rien d'intelligible. Elle prit le combiné du téléphone.

- Ton grand-père, Isaac Silberstein, il est en vie, Rani?
- Non, il vient juste de mourir.
- Je l'ai connu. Ma mère l'a connu. Ils était voisins à Tarczyn.
- Ah bon?
- Ils étaient amis d'enfance.
- Ah oui?

Judith ne pouvait pas dire la vérité à Rani. Le nom des Silverstein avait hanté la maison des Grossman pendant des décennies.

- J'aurais jamais du me marier avec toi, de toute façon, j'avais déjà un fiancé moi. J'avais déjà un fiancé!! Tu m'entends Hershele?
- Oui je sais Myriam ... Mais il ne faut pas m'en vouloir; je ne le savais pas à l'époque.
- Avec Silberstein, je n'aurais pas été si malheureuse.
- Le passé c'est le passé.
- Silberstein, lui il était doux et aimable, pas comme toi espèce de brute.
- Et voila, c'est reparti ... Silberstein par ci, Silberstein par la ...
- Maman, ça suffit.
- Ah toi Judith, ça ne te regarde pas.
- Si ça me regarde ...

- Mais pourquoi "Silber", vous avez changé votre nom? Demanda Judith à Rani.
- Non pas du tout, j’utilise "Silber" sur l’Internet comme pseudonyme mais mon nom est Rani Silberstein.

Six mois exactement après la triple rencontre de Sandra, Rani et la chienne blanche, le jeune couple se fiança et commença les préparations d'un grand mariage à Tel-Aviv. Vous aurez tous compris à cette heure que le nom de la chienne blanche blessée, la jolie survivante qui fit réunir Sandra et Rani, n’était pas vraiment Tai-tchi, mais Tarczyn.

Dès ses retrouvailles avec la famille Silberstein, une évidence sauta aux yeux de Judith : Isaac n'avait pas pipé mot de ses anciens projets de mariage avec Myriam Blumfeld. Il n'en avait parlé à personne. Il avait bel et bien tourné la page en 1933. Pourtant, quelques jours seulement après la mort de son grand-père, Rani pénétra dans un canal de chat. Il resta en attente devant l'écran pendant de longues minutes et vit qu'il n'y avait personne. Il s'apprêtait à partir quand quelques mots se tracèrent d'eux-mêmes sur l'écran:

- Bonjour. Quelqu'un est en ligne?
- Oui. Bonjour. Tu es nouvelle?
- Mes amies m'ont donné l'adresse de ce chat, mais cela semble bien vide.
- Non, d'habitude il y a du monde.
- Et qu'est-ce que tu fais là tout seul?
- Je ne sais pas ... J'attendais.
- Et tu attendais quoi?
- Mais je t'attendais ... J'attends depuis longtemps.

Rani et Sandra ne sont pas des personnages de conte de fées ; ils sont bien réels. Le début de leur première conversation sur le canal de chat a été reproduit mot à mot.

A Jerusalem, au creux de l'hiver 2008, ils attendent sous peu la naissance de leur premier enfant.


Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2008

dimanche 20 janvier 2008

Tai Chi, la chienne blanche - II

Ceci n'est pas un conte
mais une histoire vraie


La grand-mère maternelle de Sandra, Myriam Blumfeld, était née et avait grandi à Tarczyn, un hameau de 1300 habitants situé au sud de Varsovie. Le père de Myriam était marchand de bétail, sa mère tenait une épicerie. Leurs voisins, les Silberstein, étaient eux aussi commerçants, les uns tenaient le moulin, les autres une épicerie ou travaillaient dans le fourrage. Myriam Blumfeld et Isaac Silberstein se connaissaient depuis leur enfance. Puis, les années passant, ils tombèrent amoureux l'un de l'autre et en 1932 conçurent le projet de se marier et de partir ensemble en Israël. Mais il ne devait pas en être ainsi ... Le vieux père de Myriam s'opposa formellement au départ de sa petite dernière.

- Pour rien au monde je ne te laisserai partir en Israël. Une contrée lointaine puant les marécages avec la malaria et la dysenterie ... non jamais ...
- Mais papa ...
- Jamais, j'ai dit. J'ai soixante-dix ans passés. Tu veux ma mort ma chérie? Et ta mère, Myriam, as-tu pensé à ta mère?
- Bon alors Isaac partira en éclaireur, trouvera du travail à Tel-Aviv et moi je le rejoindrai plus tard ...
- Mais oui mon trésor, plus tard. Tu le reverras bien un jour ton Isaac. En attendant on est pas bien à Tarczyn? On est pas tranquille ici?
- Oui papa.

Nous étions au début de l'année 1933. Dès qu'Isaac Silberstein eut le dos tourné Myriam fut présentée à Hershel Grossman qui de Paris était revenu en Pologne, sa terre natale, pour trouver une fiancée convenable.

- Mais il n'est pas question que je rencontre ce Grossman! S'esclaffa Myriam.
- Tu fais ce que ton père te dit, articula très lentement madame Blumfeld.
- Mais maman ...
- Il a soixante-dix ans passés. Il est malade ...Tu veux sa mort ma chérie? Ton père, Myriam, as-tu pensé à ton père?
- Oui maman.

Quelques mois plus tard, Myriam était mariée avec Hershel Grossman et émigrait en France. Isaac, installé à Tel-Aviv, en fut avisé par un de ses frères; il se fiança et se maria dans l'année. Chacun construit ainsi sa vie et leurs chemins se séparèrent. Après la Shoah, la famille Silverstein, installée en Israel depuis les années trente, retrouva la trace de Myriam et Hershel Grossman. A travers une correspondance erratique, Myriam apprit qu'Isaac et ses frères dirigeaient une usine de pare-brises. Judith Kohl, lors de ses séjours en Israël, avait rencontré les frères Silberstein et leur progéniture exclusivement masculine. Durant ces visites son horizon s'était voilé d'une troupe de grands gaillards à l’ossature impressionnante.

Mais revenons à Sandra , la petite fille de Myriam. Celle-ci est au téléphone, comme à l’habitude, parlant à Rani. Soudain elle appelle sa mère:

- Isaac Silberstein, maman.
- Quoi Isaac Silberstein?
- C’est son grand-père maman, Rani est le petit fils d'Isaac Silberstein. Ca te dit quelque chose?

A suivre ...

Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2008

jeudi 17 janvier 2008

Tai Chi, la chienne blanche - I

Ceci n'est pas un conte
mais une histoire vraie


Il fallu des vacances solitaires en l’hiver 2001 pour donner à Sandra Kohl l’idée de communiquer avec ses amis sur un canal de chat. Rapidement, comme le veut son age et la prédilection de ce moyen de communication effervescent, Sandra rencontra sur ce canal un jeune homme de 22 ans, étudiant à l’université de Haifa. Peu à peu la lycéenne donnait à son entourage des détails sur ce garçon; son éducation, ses goûts, son milieu. Tous deux commencèrent à communiquer fébrilement sur le chat, par e.mail et au téléphone. Sur les en-têtes des e.mails le nom du jeune homme s'affichait clairement: Rani Silber.

Peu avant les fêtes de Pourim, Rani trouva au bord de l'autoroute une jeune chienne blanche gravement blessée, un berger allemand de toute beauté. Il l’emmena chez le vétérinaire, la fit soigner et vacciner. Dans l'impossibilité de garder l'animal chez lui, habitant dans un appartement et possédant déjà deux grands chats persans, il se tourna tout naturellement vers sa nouvelle amie. Il la supplia de l’aider à trouver rapidement un foyer pour cette jolie chienne. Le service vétérinaire municipal avait en effet fixé un délai après lequel, si un propriétaire ne se présentait pas, la chienne serait piquée. Deux jours plus tard, le jour même où le délai pour la chienne expirait, le téléphone sonna chez les Kohl et une femme d'un Moshav des alentours demanda des renseignements sur la chienne blanche. Sandra avait en effet rédigé des annonces et les avait faites distribuer dans tous les villages des environs. Ainsi l'animal fut-il adopté par une famille de fermiers qui se rendirent chez Rani le jour même. Avant d’emmener leur nouvelle locataire les jeunes fermiers prirent connaissance du nom de la chienne blanche et Rani leur dit : « Cette chienne s'appelle Tai Tchi ».

Le jour de Pourim Sandra dit doucement à l’oreille de sa mère:
- Je vais aller voir Tai Tchi.
- C’est une excellente idée, s'exclama madame Kohl. Et tu y vas comment? Tu prends le bus?
- Non, dit Sandra. Pour plus de précisions Rani et moi allons rendre visite à Tai chi.

Monsieur et madame Kohl se regardaient, incrédules. Quelque part entre le moment où Sandra avait fait ses premiers pas et le moment où elle partait se promener à la campagne avec un jeune homme, des années avaient du passer , sans doute, mais ils n’en étaient plus surs tout à coup. Rani ne se contenta pas d’attendre Sandra en bas de la maison, il vint à leur porte et pénétra dans l’appartement. Ce grand gaillard fit connaissance immédiatement avec leur petite ménagerie: les oiseaux, l'iguane, la tortue, les poissons et les gerboises. Il entreprit une conversation avec le chat qui ne manqua pas d’intriguer madame Kohl. « D'où vient donc ce garçon qui parle avec les animaux comme on parle avec les hommes? » Se demanda-t'elle. Nos deux amis repartirent pour aller saluer leur survivante. Ils revinrent de la ferme souriants et heureux après cette randonnée campagnarde. Ainsi tous deux continuèrent de se rencontrer.

Quelque temps plus tard Judith Kohl demanda à sa fille ce que les parents de Rani faisaient dans la vie. Sandra lui répondit :

- Sa mère est médecin. Son père dirige une usine de pare-brises, une entreprise familiale héritée du grand-père.
- Des vitres pour voitures, des pare-brises!! Grand-père… Silber … Tu es sûre que Rani s’appelle Silber? Moi je te dis … non, il ne s’appelle pas Silber ...
- Mais c'est simple, dit Sandra, je lui demanderai demain.

Judith alla se coucher ce soir là toute bouleversée, se disant que son imaginaire faisait des heures supplémentaires. Et pourtant…l’image imposante de Rani dans l’encadrement de la porte, la carrure, le mètre 90, les oreilles un peu décollées, c’était bien ressemblant à ces personnes, à cette famille, oui ... à la tribu Silberstein.

A suivre ...

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samedi 12 janvier 2008

Histoire de tapis

Mademoiselle Durocher, qui était férue de tapis, se mit dans la tête de s’endormir un soir sur le plus beau tapis du monde. La question qui se posa tout de suite: où trouver un bon marchand de tapis? On lui dit que les marchands de bonheur gardaient toujours un tapis dans leur armoire, juste au cas où. Mademoiselle Durocher partit donc en quête d’un marchand de bonheur. Le premier qu’elle trouva lui dit:

- Voulez-vous m’épouser? Je vous promets le plus beau des tapis et de plus, inusable.

Comme elle était de nature curieuse Mademoiselle Durocher répondit:

- Mais oui bien entendu!

C’est ainsi qu’elle devint Madame Dufond Dulac. Enroulée dans son tapis de noces elle s’endormit … pour au moins 20 ans.

Madame Dufond Dulac se réveilla donc 20 ans plus tard, enfin, exactement 21 ans plus tard. Un peu effarée et confuse d’avoir dormi si longtemps elle demanda à celui qui l’avait finalement sortie de son sommeil:

- Qui êtes-vous?
- Je n’en suis pas sûr, répondit-il, je passais seulement par là et sans m’en rendre compte je vous ai bouleversée, enfin …je vous ai bousculée. Mes excuses.
- Mais pas du tout, lui dit Madame Dufond Dulac en essuyant la poussière qui, elle s’en rendait soudain compte…la couvrait toute entière. Qui êtes-vous? lui demanda t-elle de nouveau et que faisiez-vous sur ce chemin?
- Je m’appelle Monsieur Dudesir. Je me suis égaré en recherchant une de mes balles qui s’est perdue vers la rivière. Vous n’auriez pas vu…par hasard?
- Mais si, justement, dit Madame Dufond Dulac. Quelque chose m’a heurtée de plein fouet … J’ai même une marque sur le front. Vous voyez?
- Oh je suis désolé, dit Monsieur Dudesir, venez donc chez moi, je vous soignerai.
- Mais avec plaisir, dit Madame Dufond Dulac, je vous suis.

Il partirent donc ensemble, mais soudain, Madame Dufond Dulac se souvint du tapis! De son tapis de noces qu’elle avait laissé près de la rivière.
- Attendez! Attendez! S’exclama-t-elle soudain. Et mon tapis? J’y tiens beaucoup!

Monsieur Dudesir la regarda d’un air rêveur et un peu amusé.

- Vous savez, lui dit-il dans l’oreille, moi aussi je suis marchand de bonheur! Depuis des siècles je conserve ce beau tapis dans mon armoire. Je ne vous promets rien, mais si cela vous tente?

Ils s’éloignèrent ensemble, allégrement, la main dans la main, conversant de choses plus ou moins anodines, lorsque soudain!! La terre s’entrouvrit sous leurs pieds. Ils se retrouvèrent chacun perché de part et d’autre d’un gouffre immense.

- Pourquoi m’avez vous si tôt abandonnée? S’exclama Madame Dufond Dulac.
- Mais c’est la terre, c’est la terre! cria-t-il de son côté.
- Pourquoi? Pourquoi ne m’avez-vous pas serrée plus fort? Nous serions ensemble …du même côté de l’abîme.
- Je n’en ai pas eu la force, dit Monsieur Dudesir, je ne savais pas encore, vous comprenez, que je vous aimais tant.

C’est ainsi que séparés, ils rêvaient l’un à l’autre tandis que l’hiver poursuivait son cour. Madame Dufond Dulac eut encore une idée pourtant …

- Dites moi, Monsieur Dudesir, vous qui êtes si loin et si proche à la fois, dans votre pays, est-ce qu’il gèle en février?
- Mais oui madame, quelle question!
- Alors, il suffit d’attendre! Vous voyez, toutes ces larmes que j’ai versées dans le gouffre qui nous sépare, bientôt elles seront gelées, et vous pourrez ainsi venir me retrouver.
- C’est entendu, dit Monsieur Dudesir, soyons patients, soyons patients.

Les grands froids couvrirent bientôt d’un lac de glace dur et transparent l’abîme insurmontable qui troublait tant les amants. C’est sur ce tapis de glace que Madame Dufond Dulac et Monsieur Dudesir célébrèrent leur union si amèrement gagnée et que l’hiver se figea dans cette partie du monde pour ne plus jamais les séparer.

Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2008

mardi 8 janvier 2008

C'est deja maintenant

Mon idée de départ: Après l'expérience précédente et envoûtante de "10 minutes pour écrire un mot", pourquoi ne pas changer de vitesse?

Ma mission
: Deux minutes pour quelques lignes ...

Je me questionne grave: Sont-elles, ces deux minutes soudain arrachées du temps, l'expression du bonheur, de la grâce acquise en 51 ans et du vécu lumineux de ces années changeantes?

Ou encore: Sont-elles l'expression du passé figé et incontournable, de la marque grasse des choix indélébiles sur une page nette et d'un vécu parfois violé, muet et sanguinolent?

Une minute encore: ou sont-ce des secondes? J'aime les mots de ma vie et ils me le rendent bien.

La bousculade: dans un rugissement discret les mots s'échappent vers le néant de la prochaine minute qui aura lieu ailleurs, en dehors de cette note.

Le néant: C'est déjà maintenant

Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2008

mardi 1 janvier 2008

Les amoureux de l'an 2077 - Fin

Petit conte futuresque
en deux volets


- Non, Will, je ne comprends pas. Restez malgré tout. Je me suis habitué à vous. J'aime vous voir travailler, vous voir tout simplement.
- Oui tout simplement. Être ensemble. C'est impossible ... Vous ne comprenez pas Maximillien, nous ne devons pas, ils vont faire ... Vous devez vous taire, sinon je ne garantis pas de votre avenir.

Will s'était rapproché de moi. Sa main subrepticement saisit la mienne et la plaqua contre la baie glacée sous le couvert de mon manteau.
- Mon avenir, Will! Mais entendez-vous ce que vous dites? Vous n'êtes qu’une machine! Vous me faites rire. Les larmes me brûlaient tandis qu'en secret, je serrais la main de Will, plus fort, plus fort encore.
- Vous êtes méchant, dit-t'il. Pressant son menton oblique contre mes cheveux noirs il murmura: - Je ne suis même pas sur que vous sachiez aimer mieux que moi.
- Il avait dit “méchant” et je me retrouvais soudain devant une femme, impatiente, grave, qui dans un recoin de mon enfance gesticulait infatigable. Qui était-elle et à qui parlait-t’elle?

- Oh la méchante, oh la méchante petite fille. Regardez comme elle n’a pas obéi à sa maman. Regardez comme elle s’est salie. Voyez comme elle n’en fait qu’à sa tête. D’ailleurs tout le monde le dit que tu n’es pas gentille avec ta maman. Tout le monde le sait que tu ne m’écoutes pas. D’ailleurs quand je dis papa est salaud tu devrais me dire oui, oui, oui, mais tu ne m’écoutes pas, tu dis oui, et puis tu vas le voir et tu l’embrasses en plus mais c’est abominable, tu t’es salie tout, combien de fois il faut te dire. Il faut pas se salir, viens t’essuyer, viens vite t’essuyer je dois partir, sois bien gentille hein, je sais que tu es une bonne élève, je m’en vais. Mais moi je sais pas où il est ton sac d’école, il faut demander à la bonne, hein elle est gentille la nouvelle bonne, j’espère qu’elle volera rien comme celle d’avant. Pourquoi tu tousses? Tu tousses toujours juste au moment où je suis pressée. C’est pas grave, au revoir ma chérie, oh la la qu’est-ce qu’il est tard c’est de ta faute papa va hurler.

J’examinais mon visage flou reflété dans la vitre du restaurant. Derrière elle Will s’éloignait. Mon visage d’homme se souvenait. Loué soit celui qui nous protège, il m’avait laissé grandir! Ces souvenirs de petite fille m’avaient été un jour expliqués dans un forum sur le phénomène de la Mémoire Adultérée. Certains de ma génération se plaignaient de souvenirs confus, désordonnés, dus aux ajustements neurologiques mis en pratique au lendemain de la Grande Guerre de l’an 2055. Il arrivait donc parfois, par accident, qu’un homme ait des souvenirs de petite fille. Les miens me poursuivaient comme un masque sur chaque minute de ma vie. Je sortis de l’Olivier dans un état second, me répétant les instructions de Will “Prenez un taxi B, un taxi B., ce n’est pas grave n’est ce pas? Un taxi B.

Ce n’était pas la première fois qu’une de ces sales machines m’abandonnait. Ces sales sales machines pensai-je. Mais qui donc a besoin de ces saloperies? Qu’est que Will avait dit? “Une machine qui aurait voulu vous aimer” Non, il avait dit autre chose, une phrase blessante que j’avais déjà oubliée. Cet individu sans cœur avait parlé d’aimer. Que savait-il de l’amour des hommes! Du dernier prototype, le NRWK de l’an 2074, il venait de passer six semaines à mes côtés dans la tradition du “Board of International Societies United”, en court le BISU .

- Décidément, vous êtes incorrigible, martèlera demain le commandant Gerol, responsable du placement des prototypes NRWK 74 dans mon quartier. Sa face étalée sur le Mur il hurlera:
- On vous donne une machine, c'est pour faire le ménage, les courses, modérer les transmissions du Mur. Pas pour faire des sentiments vous m'entendez? Maximillien NRWK 66, vous m'entendez???
- Oui mon commandant. Pas de sentiments ... Je sais mon commandant.
- Bon, je vous en donne un troisième mais c'est le dernier. Si vous recommencez vous passez à la casse et lui avec.
- Oui mon commandant.

J'attends un taxi dans le vent froid et poussiéreux Je lève la main que Will a serrée dans la sienne. Je la porte à ma bouche. Je hume son odeur. Ah, si ce n'est pas de l'amour, j'appelle ca l'amour quand même.

Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2008