lundi 19 décembre 2011

Rien que le soleil qui poudroie

J'ai deux sœurs. La première est ma grande sœur et la deuxième, ma petite sœur. Ma petite sœur a huit ans de plus que moi, mais je l'appelle ma petite sœur quand même parce qu'elle est beaucoup plus petite que ma grande sœur.

Quand tu es morte, ma grande sœur, je me suis dit que cela ne pouvait pas être plus terrible que d'avoir perdu maman et papa. Après tout, de 20 ans mon ainée, hein, c’était encore une mère que je perdais. J'allai faire mon deuil comme avec mes parents et puis voilà. Et bien justement, non. Perdre une sœur ce n'est pas perdre un parent. C'est perdre un peu de soi-même à jamais, c'est un deuil qui ne veut pas mourir.

J'ai grandi avec ma petite sœur. J'ai dormi avec elle, j'ai plein de souvenirs de choses partagées avec elle; je la suis partout comme un petit mouton suit sa bergère, je l'accompagne à ses cours de piano, je suis son ombre, son souffle. Je ne la vois même pas, parce qu'entre elle et moi il n'y a pas de séparation. Nous vivons ainsi en osmose totale, ignorantes de l'avenir, de la vie, d'autres personnes qui peut-être pourraient s'engouffrer dans cet espace qui n'existe pas entre nous.

Alors, la différence, c'est que ma grande sœur, elle était à l’extérieur de moi, elle était autre. Elle m'a beaucoup guidée dans mes choix, mais je n'ai jamais ressenti le besoin obsessionnel et douloureux d’être à ses côtés, ni l'angoisse incessante de la perdre. Et elle non plus il semblait qu'elle ne soit pas attachée à moi de façon trop passionnelle. Contente de me voir, elle me donnait une place dans sa vie, elle était là pour moi.

Je n'ai pas le souvenir qu'elle se soit jamais comportée comme si j’étais un substitut d'enfant, Comme si je lui appartenais. Elle gardait suffisamment ses distances pour qu'il soit clair dans mon esprit qu'elle n'avait pas vraiment besoin de moi. Je me suis d'ailleurs demandée longtemps si elle prétendait en général, n'avoir besoin de personne, ou si vraiment, elle n'avait besoin de personne.

Je suis cruelle. Ma grande sœur aimait avec tout l'amour d'une mère et tout l'amour d'une sœur et tout l'amour d'une épouse. Mais il faut bien dire que chez moi c'est pareil. Nous avons une façon de fonctionner qui dit "je me débrouille très bien toute seule ce qui veut logiquement dire que je me débrouille très bien sans toi, toi mon grand amour, toi mon chéri, toi ma chérie. C'est comme ça, je n'ai besoin de personne."

Une fois, il y a bien longtemps, quand j'habitais encore au kibboutz, une de mes amies m'a dit "toi, tu es une individualiste, on a toujours l'impression que tu n'as besoin de personne". A peine avait-elle achevé sa phrase, que j’éclatai en sanglot. "Je n'ai pas le choix" lui dis-je entre mes larmes. Je n'ai pas vraiment réussi à savoir ce qui se passerait si justement j'avais le choix et surtout ce que cela voulait dire dans ce cadre là d'avoir le choix.

Avec le temps un mur invisible s’établit entre nous et les gens qu'on aime. C'est un mur discret qui fait tout pour ne pas nous déranger, mais il est là. Nous ne nous souvenons pas l'avoir engagé pour remplir une tâche quelconque, mais lui, il semble se souvenir. Il fait son travail bien diligemment.

Un mur a deux parois, une intérieure et une extérieure. Tout ce qui s'est passé à l’intérieur du mur transpire à l’extérieur. Ainsi, une génération plus tard, le mur se reproduit; son extérieur est devenu l’intérieur de quelqu'un d'autre encore bien petit, et quand il grandira cela sera son tour à lui ou à elle de se démerder avec tout çà.




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samedi 3 décembre 2011

Les photos

Sans les photos, aurions-nous une mémoire? Plus les années passent plus les photographies deviennent des alibis de mémoire, des béquilles du souvenir. Étais je vraiment cette petite fille aux cheveux noirs frisés et au regard sombre? J'en doute aujourd'hui car mes yeux ne flamboient plus comme dans le passé. Plus vraiment.

Sur cette photo en noir et blanc
j'ai une dizaine d’années et je suis encore un peu maigrichonne. J'ai l'air d’une petite fille arabe, même pas italienne ou espagnole, carrément arabe. C'est curieux tout de même.

Quand j'ai grandi, au milieu et à la fin des années soixante, doucement quelques familles arabes ont commencé à s'installer a Châteauroux. Il arrivait souvent à cette époque que l'on m’interpelle dans la rue et qu'on me parle en arabe. J'avais semble-t'il la tête de l'emploi. Il faut dire que mes grands cheveux longs, frisés allant sur le crépu, ne me permettaient pas à l’époque de passer inaperçue. Je n'avais pas le profil berrichon, mais l'on dira, pour généraliser, plutôt le profil "métèque".

Sur une autre je pose avec mes parents sur la plage de Tel-Aviv. J'ai onze ans et ai l'air d'un ouistiti. A côté de moi mon cousin israélien, Sender. Il doit avoir 19 ans. Je me souviens que nous parlions en Yiddish tous les deux. Je trouve çà bizarre maintenant. Je ne parlais pratiquement pas le Yiddish et même aujourd'hui ce que j'en sais, c'est seulement pour avoir appris l'allemand. Je crois que ma mémoire me fait défaut. Peut-être s'amusait-il à m'apprendre le Yiddish qui était sa langue maternelle et autrement nous parlions en anglais que je parlais bien. Lui, commençait ses études de médecine qu'il faisait donc avant l’armée. Le père de Sender était le cousin germain de papa. Je ne l'ai pas connu; il est mort alors que Sender avait 6 ans à peine.

La photo de mes grand-parents est pour moi d'une importance primordiale. Elle est placée dans le coin salle à manger avec vue sur la table. Depuis des décennies cette photo regarde ma famille grandir. Tous les Shabbat, alors que nous sommes tous attablés, 30 secondes avant que David fasse kiddoush, je lève la tête et regarde la photo. Si tout est en ordre je me dis "ils sont fiers de moi, j'ai fais du bon travail, c'est bien". S'il y a un souci je les regarde et je leur demande un peu de compassion, un peu d'encouragement.

Sur cette photo le visage de
mon grand-père ne cesse de changer. Il a commencé sa carrière de photographié comme vieil homme, et au fil des années il rajeunit. Il me semble clair que bientôt nous serons du même âge. J'aime beaucoup cette photo car mon grand-père a le regard rieur. Il est mort en 1933, sans savoir que de ses 12 enfants, 2 seulement survivraient la shoah. De ses petits-enfants (une bonne trentaine) survivront: les 4 freres Zacharowitz fils de Cirla, Moshe Karpman le fils de Faivish, Alitzia la fille de Srul, Marguerite fille de Aaron, et les enfants de sa petite dernière, Esther, ma mère.

Sur la photo, ma grand-mère fait la gueule. Ou alors elle est un peu fatiguée. Comment savoir? Elle a le même rictus que maman et ma sœur Mali. Des crevasses de chaque côté de la bouche qui font que si l'on ne sourit pas, on a l'air de faire une tête pas possible. Moi c'est pareil. Le bas de mon visage est le même que celui de ma grand-mère. Je ne sais pas comment elle est morte. Elle avait environ 70 ans pendant la guerre. Sa dernière adresse était a Białobrzegi dans la province de Radom. Elle a sans doute été déportée à Treblinka.

Ma mère m'a dit à plusieurs reprises, qu'elle aurait tout donné pour accompagner sa mère dans ses derniers jours et être à ses côtés au moment de sa mort. Elle disait "ma mère me chouchoutait, j’étais sa petite dernière". Plus tard en septembre 1994, ma mère est morte subitement dans mes bras le jour de Shabbat Teshouva. Je ne me consolais pas, c’était une dure épreuve. Pourtant la phrase de maman finit par me revenir à l'esprit. Je l'avais accompagnée dans ses derniers jours, je l'avais vue mourir et moi aussi j’étais la petite dernière. J'avais accompli à sa place ce dont elle avait rêvé : accompagner sa mère vers la mort.

J'avais en quelque sorte réparé cette absence qu'elle s’était toujours reprochée.



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lundi 28 novembre 2011

Les bonnes

On ne peut pas vraiment dire que j'aie été élevée par les bonnes. Cela serait bien injuste envers mes parents. Et puis je ne suis pas l'enfant de riches héritiers ou celle d'une vedette de cinéma qui, sortie de 10 ans de psychanalyse s’écrierait: hélas, mes parents étaient absents et si je n'avais pas eu les bonnes pour m’élever ...

Ce disclaimer derrière moi, soyons clairs: mes parents partaient le matin pour revenir vers 20 heures et dans cet intervalle, dès mon plus jeune âge, du plus longtemps que je puisse m'en souvenir, ce sont les bonnes qui s'occupaient de moi. Les bonnes elles étaient omniprésentes, le weekend , pendant les vacances. Je me souviens d'elles comme si c’était hier. Elles avaient 16 ans quand maman les engageait. Elles s'occupaient de la maison et elles s'occupaient de moi et de ma soeur.

Elles dormaient dans la chambre de bonne, en haut, au troisième étage. C’était une grande chambre que j'aimais bien avec un grand lit. une table et une chaise, une armoire assez massive avec un miroir. Elles y créaient leur petit monde et j'en faisais partie. J'y restais pour jouer, lire, dormir. La chambre était contiguë du grenier où s'amassaient dans un désordre extrême toute sorte de choses: des jouets, des vieux vêtements, tissus, objets, journaux. Souvent je jouais dans le grenier et la bonne était occupée dans sa chambre à ranger, écrire une lettre. Nous étions bien toutes les deux.

Moi, de façon générale, je les aimais bien les bonnes. J'avais compris dès le début de mon existence que mon salut, mon bonheur et ma santé dépendaient d'elles, alors je me tenais à carreau et surtout je faisais ce que je fais encore aujourd'hui, j'essayais d’être aimable.

La première personne qui s'occupa de moi s'appelait Annick. Maman l'avait engagée dès ma naissance, ou même un peu avant je n'en suis pas sure. Annick et moi vivions en totale connivence et même osmose. Tout était merveilleux jusqu'au jour où un jeune homme qui travaillait en face de la maison, lui adressa la parole. Je fus aux premiers rangs de leur histoire d'amour puisque Annick m'emmenait partout. C'est seulement le jour du mariage que la vérité me frappa à la figure. Je ne sais pas comment cela arriva mais soudain je compris l'horrible situation: je ne quittais pas la maison avec Annick, nous allions être séparées.

En fait je n'avais pas très bien saisi le partage des rôles, et du haut de mes trois ans j'avais simplement jugé que Annick était ma mère et maman peut-être un genre de grand-mère, ce n'est pas clair, vu que le concept de grand-mère n'exista jamais pour moi. Je restais longtemps marquée par cette séparation et ce n'est que bien plus tard, en 1994 alors que j'avais 38 ans, que ma mère me raconta cette histoire:

Quelques mois après la séparation, le mari d'Annick avait demandé à rencontrer ma mère. Il lui dit qu’après leur mariage sa jeune épouse si gaie et énergétique, avait sombré dans la dépression. Elle pleurait sans cesse, ne faisait plus rien et répétait que sans moi, l'enfant qu'elle avait élevée, sans moi sa vie n'avait plus de sens. Lui-même était, aux dires de ma mère, désespéré. Que faire? Disait-il. Que faire? Madame Wajzer, implorait-il, dites-moi quoi faire.

Je me souviens de ce jour-là et d'autres après le premier jour où maman, dans sa grande compréhension et générosité, m'emmena chez Annick pour que la séparation soit moins douloureuse. Je sais qu'au moins une fois, je refusai d'entrer dans la maison d'Annick et criait de tout mon soul, comme je l'avais fait le jour du mariage (pendant la cérémonie papa avait du rester dehors avec moi, car je hurlais). Et puis un jour Annick donna le jour à une petite fille et la nomma "Nathalie". Alors, finalement, elle n'avait plus besoin de moi. Mais moi, personne ne m'avait demandé évidemment si j'avais encore besoin d'Annick ou pas.

La bonne qui lui succéda s'appelait Solange. C'est elle qui s'occupa de moi au mariage de ma grande soeur. Puis d'autres suivirent à un rythme trépidant. Certaines restaient 2 semaines, 2 mois, parfois 6. C'était impossible à prédire. Une nous avait volés et s’était sauvée, une autre m'avait laissé la clé derrière les volets et s’était barrée en laissant quand-même un mot "je vous quitte", une troisième se volatilisait après quelques semaines pénibles de vomissements matinaux et puis se mariait ou pas.

Je m'attachais toujours à elles, par réflexe et nécessité. Je savais que je ne pouvais pas compter sur elles, mais en même temps je faisais semblant de compter sur elles. Elles venaient, elles repartaient. Cela n'avait plus d'importance. Pas plus d'importance que la couleur du papier peint qui elle aussi variait de temps en temps.



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mardi 22 novembre 2011

Les mentors

Peu de gens m'ont formée. Je ne me souviens pas d'une voix, un ton de voix, une silhouette, des gestes qui se seraient articulés autour de moi jour après jour pour délivrer un message éducatif qui ferait écho dans le futur. Mes parents n’étaient pas des formateurs et il m'a fallut environ un demi-siècle pour le dire sans en avoir honte.

C'est méchamment simplifier que de dire: sans racines, ou plutôt sanguinolent encore de leur racines mutilées, mes parents n'avaient pas de futur non plus. Très sincèrement je ne me souviens pas qu'aucun d'eux n'ait fait des projets pour moi. Comme si tout simplement le futur n'existait pas plus que le passé.

Seule sur les jours de mon enfance, Madame Hadt semblait savoir que mon avenir était devant moi. Toutes les semaines un charme immense opérait entre le poêle, la tortue centenaire, la professeur de piano et l’élève. Madame Hadt me montrait la voie. Elle était un mentor. Sa force de caractère, sa grâce, m'inspiraient. Mes rendez-vous chez elle me ravissaient même s'ils me forçaient à travailler beaucoup au piano.

Ma sœur Mali, du haut de
ses 20 ans supplémentaires, fut une personne avec qui je pouvais parler de moi-même, de ce qui m’intéressait et de ce que voulais. Elle affichait un caractère curieux et tout le monde aiguisait son intérêt. je crois que tous les gens qui l'aimaient avaient été séduits par cette qualité en elle qui consistait en regarder l'autre et lui donner la parole. Avide d'intelligence, elle ne pouvait absolument pas s'en passer et choisit d'en faire son compagnon.

Je n'eus jamais de mentor après l’époque de Châteauroux. Quelques professeurs à l’université furent une inspiration certaine, comme Judith Stora, Hélène Cixoux, Serge Ouaknine, aussi le mime Isaac Alvarez. En Israël je fis ma vie à partir de l'âge de 21 ans sans avoir besoin de modèle. C’était déjà trop tard pour les modèles.

Il fallut que j'attende une journée d’automne
comme les autres, en octobre 2002, pour qu'un personnage entre discrètement dans ma vie. Il signait ses emails JC. et après 2 ou 3 mails, je lui écrivis, sachant qu'il avait plus de 70 ans, " j’espère que vous n’êtes pas Jacques Chirac car ce serait embêtant, je n'ai pas voté pour vous.""Je vous rassure tout de suite" dit-il, "Je ne suis ni Jacques Chirac, ni Jésus Christ", je m'appelle Jean-Claude et mes amis m'appellent JC.

Le début de notre conversation fut presque accidentel. En octobre 2002, j'avais vu sur l'Internet une pétition pour la paix au proche-d'orient et la trouvant complétement faussée, j'avais écrit aux personnes qui en étaient responsables. Un d'eux me répondit: "vous vous trompez, nous ne sommes pas des antisémites". Surprise, je rétorquai à cette personne que nulle part dans ma lettre il n'avait été question d’antisémitisme. Et c'est à partir de çà que nous avons commencé à échanger des lettres par email. L’époque était très difficile au niveau sécuritaire en Israël. Rapidement nos échanges devinrent violents et même sanguinaires.

C'est en partant du sentiment de rage
qui nous emplissait tous les deux mêlé au désir pourtant d’être en communication avec l'autre que soudain, nous nous découvrîmes une passion commune pour la poésie espagnole et en particulier Federico Garcia Lorca. Dès lors, entre deux carnages ou nous nous arrachions virtuellement les yeux, nous nous envoyons des poèmes. L’échange de poésies commença à prendre une grande place entre nous. J'avais écrit beaucoup de poèmes dans ma jeunesse et je les lui envoyais de temps en temps. Il répondait avec des œuvres de Lorca d'abord, puis Aragon, Rafael Alberti, Roque Dalton, Saul Contreras. Démontée au début, je finis par apprendre suffisamment l'espagnol pour lire dans le texte.

Un jour j’écrivis un premier poème inspiré de lui, et c'est là que pour moi tout a basculé. J'ai fini par composer un livre entier de poèmes en vers, intitulé "La hanche d'Antonio", publié dans un blog-poésie. Ma muse n’était autre que mon interlocuteur. Jean Claude devint au fil du temps un mentor dans bien des domaines: la littérature, la philosophie, les sciences politiques et surtout l'engagement social et politique.


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lundi 7 novembre 2011

Les voix de l'ombre

Je me souviens de la voix de mon père qui voyageait au travers de tout le diapason des tonalités. Parfois elle était si douce et si faible, qu'il me semblait avoir en face de moi en enfant perdu qui demanderait son chemin, timide, honteux, les yeux trempés d'un bleu si pâle, si délavé. Parfois l'enfant était un homme à la voix belle et grasse, produite par le larynx d'un fumeur de cinquante clopes par jour, des gauloises sans filtre faut-il le préciser.

La voix de ma sœur, décédée il y a 5 ans, apparait parfois sans invitation dans des circonstances souvent très anodines, quand je marche dans la rue ou regarde le paysage,assise dans un bus ou un train. Je ne sais même pas ce qu'elle dit mais le fait d'entendre, si ce n'est qu'une seconde, ses intonations changeantes, ses fractures de tonalité, rapides et graves, je la sais présente. A vrai dire ces incidents vocaux me dérangent beaucoup car ils sont très déstabilisants, mais je me suis habituée. C'est curieux comme seule la voix de ma sœur Mali me revient, pas celle de mes parents.

Je me souviens comment au début je n'avais pas aimé la voix de mon ami Jean-Claude. Elle avait quelque chose de sec et âpre. Elle n’était pas élégante, spirituelle ni même intéressante. Il m'a fallu des années pour voir au delà de cette voix presque sans tonalité, sans modalité, une voix bourrue de marin. Alors je n'ai pas eu le choix, il a bien fallu que je sorte au large moi aussi pour entendre les sons de la mer.

Un jour il m'a écrit qu'il s'en voulait de ne pas avoir eu la force de la jeune fille du "Silence de la mer" de Vercors. Lui, n'avait pas pu garder le silence. Et moi je me taisais devant autant de cruauté, je le laissais dire son angoisse, sa tragédie que je trouvais stupide. J’étais son ennemie, il était mon ami dans la trahison.

Jean Claude était incapable de parler de choses prosaïques. Il parlait de ses enfants, ceux du camp de Aida à Bethléem, avec passion, dans un engagement paternel total. Il parlait de la situation politique en Israël et Palestine avec rage, horreur et parfois dégoût. Il parlait de son association de médecins au San Salvador avec bonheur mais larmes aussi. Il parlait de son travail en Israël au debut des années 60, de Cuba ensuite, de son long séjour au Brésil plus tard. Et puis une ou 2 fois il a parlé de Beyrouth. C’était trop difficile pour moi, Beyrouth. De tous ces endroits où il avait vécu et travaillé en tant qu’ingénieur puis médecin, je ne sais pas où il avait été heureux. Il semblait être heureux dans l’autorité palestinienne, à Aida, avec ceux qu'il appelait "ses enfants", mais aussi sur son bateau en Bretagne.

Je crois entendre encore nos sanglants désaccords et les sons de la mer qui parlaient de violence, d'injustice, mais aussi de patience. Jean Claude disait qu'il faudrait cent ans (depuis 1948) avant que la paix entre Israël et les palestiniens arrive.

Voici reproduite, la dernière phrase qu'il m'a écrite peu de temps avant sa mort à la suite d'une correspondance importante étalée sur 9 années: "Je te souhaite de garder ton humanité dans cette tourmente."



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jeudi 3 novembre 2011

La guerre des rayons

Tout est passé, tout est fini. Je fus une patiente tout à fait modèle, radiotatouée, radiomi-dénudée, radiomarquée et radio-manipulée par tous les techniciens et toutes les techniciennes, tous les jours, jour après jour. Et tout çà mesdames avec le sourire. J'insiste, avec le sourire.

Ça fait du bien la bonne humeur. Des fleuves d’encre ont été versés sur le fait qu'une bonne disposition finit par vous mettre en bonne disposition. L'inverse est vrai aussi.

Bref, armée seulement de mon sourire, ma dignité et l'amour de mes proches, j'ai fini mon marathon de 5 semaines avec le sentiment béat d'avoir gagné cette bataille avec la plus grande facilité, comme si toute ma vie m'avait préparée à faire un pied de nez gigantesque aux méchants effets de cette morose radiothérapie.

C'est donc sans brûlures, effet secondaire tant redouté, que je sors du centre de radiothérapie d'Ichilov. L’infirmière de service ne manque pas de s'exclamer qu'il est bien rare de voir une patiente achever son cycle sans brûlures. Une des technicienne s’esclaffe "ah mais je te l'avais dit du début. Tu as une peau géniale, super-solide, moi je le savais bien que tu n'aurais pas de brûlures!". Je me sentais alors comme invincible. J’étais la déesse de la guerre des rayons qui sous les foudres de la radioactivité n'avait pas brûlé.

C'est curieux comme en l'espace de 7 semaines, entre la fin de mes rayons et aujourd'hui, j'ai complètement changé d'approche. Je vais avoir 55 ans dans 3 semaines et je contemple ma vie: je me dis " Comment ai-je pu parcourir tout ce chemin? Comment le temps a pu passer si vite? Est-ce possible? Je m'interroge sur mon rôle sur cette terre, sur ce que je vais laisser après moi. La totale, quoi.

Il faut dire que le décès de mon ami Jean-Claude a été pour moi un coup de massue. J'ai compté les jours entre le 2 août, jour ou l'on m'a fait part de son décès, et le dernier jour des rayons le 15 septembre, avant de me permettre de penser à Jean-Claude et entamer mon deuil. JC était pour moi un ami exceptionnel et aussi un mentor. Ce polytechnicien, médecin, militant pacifiste farouche, est parti à l'âge de 82 ans, se battant toujours pour les causes humanitaires auxquelles il croyait. Nos échanges épistolaires (emails), centrés sur le conflit israelo-palestinien, ne comptent pas moins de 500 pages.

Faut-il témoigner? Faut-il raconter? Comme si la déesse de la guerre des rayons ne savait pas déjà la réponse.


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mercredi 7 septembre 2011

Mélodie en sous-sol: mes fils

Picture of Francoise Nielly - Painting of two young men's faces.

Tous les jours à 14:40 je glisse ma carte dans le lecteur électronique au deuxième étage en sous-sol, comme si je pointais au boulot. Je retrouve des visages connus, bienveillants et même souriants. On s'habitue à tout, en tout cas moi je m'habitue à tout. C'est une qualité il me semble... Dans ma famille nous sommes tous comme çà: nous prenons tout avec le sourire et même nous nous arrangeons pour que ce qui était un problème ou obstacle au départ devienne en fin de compte une opportunité, presque une bonne occasion.

Comme je me fais accompagner une fois sur deux à ma radiothérapie, c'est effectivement l'occasion pour moi de bavarder avec mes aimables accompagnateurs qui sont en fait 3 fois sur 4, mes fils. Tous les parents de jeunes adultes savent qu'il n'est pas facile de coincer un jeune homme de 25-27 ans pour une conversation durable, avec un commencement, un développement et même parfois une conclusion.

Les conversations, ça ne se fait plus. Si on veut vous dire quelque chose , on s’envoie un texto ou un petit copier-coller sous forme d'article, photo ou video sur facebook – ce qui équivaut a dire qu'on ne se dit rien du tout, on se contente de bailler dans la direction de l'autre et réciproquement. A vrai dire mes fils ne sont pas très facebook et c'est peut-être cela qui me sauve d'éventuels dialogues hermétiques ponctués par des coups de fil sur les portables. Ils savent mener une conversation, ils savent écouter aussi.

Ainsi j'accumule avec eux des heures de conversations qui je le sais sont précieuses. Ces tête à têtes me construisent en tant que mère et puis ils m’émerveillent aussi comme si au delà des rayons radioactifs, j’étais marquée par ces mots échangés, ces paroles écoutées de part et d'autre.

A vrai dire, je me sens beaucoup mieux qu'avant, avant les 4 semaines de traitement. Ce n'est pas normal, je sais, car un des effets secondaires des rayons c'est justement la fatigue et avec ma fibromyalgie on peut dire que la fatigue ca me connait!  Curieusement mon fils ainé hier me dit à ce sujet " écoute apres tout, ca te fait prendre l'air cette histoire, tu vas à Tel-Aviv tous les jours, tu vois des gens, tu te promenes ...". Peut-etre que mon fils aussi a choppé le virus familial " je prends un desastre et le tranforme en coup de chance". Je le regarde un instant pour voir si ce n'etait pas une boutade .... et bien non, pas du tout.



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jeudi 18 août 2011

Melodie en sous-sol: rien, c'est bien

Au 5e jour je commence à m’habituer. Je suis une personne, en fait, qui aime les habitudes. Par exemple marcher exactement sur le même chemin 2 fois par jour. J’aime beaucoup marcher. Le chemin que je fais à pied entre la station de train centrale à Tel-Aviv et l’hôpital me plait. Mais c’était du tout vu ; je savais d’avance qu’il allait me plaire.

J’aime tout d’abord le passage entre le carrefour vaste et bruyant près de la gare, où l’attente du feu vert sous un soleil blanc et décomposant se compte en secondes brulantes, et le trottoir ombragé de la rue Arlozorov. Marcher une dizaine de minutes à 2h30 de l’après-midi sans un rayon de soleil, calmement, juste éviter les vélos, les chiens, les poussettes. Mais il y en a bien peu. C’est l’heure de la sieste, l’heure trop chaude. Et pourtant, entre la gare et la rue Weitzman, sur Arlozorov, une brise légère se faufile dans l’air, il fait doux. Et dans mon cœur aussi, 10 minutes de bonheur se faufilent et s’’entrelacent avec tous les bonheurs que j’ai connus.

Le service de radiothérapie se trouve en sous-sol, 2 étages en dessous pour être précis. L’attente se fait dans une salle sobre et agréablement aménagée. Les patients ont à leur service un espace Wifi, un distributeur d’eau froide et chaude, une photocopieuse, une grande télé à écran plat. Chaque patient à son arrivée doit faire passer sa carte codée sous un lecteur de carte. Ainsi ces messieurs dames des accélérateurs de particules, sont informés de sa présence.

Au 5e jour je reconnais quelques visages. Le quadragénaire un peu hirsute qui finit son traitement à la fin de la semaine. Le monsieur perse âgé, qui vient tous les jours avec son fils. La dame de mon âge qui a perdu des cheveux et qui m’a montré la première fois comment ne pas se louper en faisant passer la carte sous le lecteur. Et puis il y a cette femme toute svelte, jolie et délicate qui une fois est venue avec ses enfants, mais vient non-accompagnée, autant que j’ai pu le constater. C’est curieux parce que j’ai de la peine pour elle, elle est si jeune encore, elle devrait être à cette heure en train de faire du shopping, à la plage avec ses mômes ou en croisière avec son mari quelque part.

Comme c’est facile d’avoir de la peine pour les autres. Comme c’est simple. Hier cette jeune femme m’a souri largement à l’entrée de la salle de traitement. Ainsi nous nous croisons depuis le début de la semaine. C’est une véritable industrie: 4 accélérateurs au rythme de 5 minutes par patient. Cela en fait du monde ma petite dame.

Moi , je suis bien contente de n’avoir jamais accompagné ma mère à la rencontre de particules. Moi, j’avais une bonne mère qui a eu la sagesse et l’intelligence ainsi que l’honnêteté de ne pas me trainer jamais deux étages en sous-sol. Ah ce que cela fait du bien de dire des bêtises. Je me sens mieux déjà, rien qu’à m’entendre dire n’importe quoi, plaisanter sur rien, rire pour rien. « Rien », après tout, ce n’est pas une si mauvaise chose.



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mercredi 17 août 2011

Melodie en sous-sol: souvenirs d'ivresse

Premier jour de radiothérapie à l’hôpital. Quand ma petite affaire fut finie David et moi sommes allés au centre commercial adjacent et avons mangé, surtout moi, qui n'avait pas mangé à midi, sans doute un peu nerveuse à l’idée de commencer ma thérapie.

C'est en mangeant mon shwarma, les dents dans ma pita, le palais englué par le houmous, que tout a coup j'ai été attaquée par une flopée de souvenirs datant de l’année 1973. A cette époque également je fréquentais les hôpitaux. En décembre 1972 papa avait été hospitalisé à la clinique Saint-Francois à Châteauroux, puis quelques mois mois plus tard il se trouvait à Cochin, puis à Tenon. Cette période dura 10 mois en tout et pour tout.

Ce dont je me souvenais ce n’était pas l’hôpital où mon père gisait plus ou moins mourant le long des saisons de cette année très lugubre. Non, je me souvenais des cafés et des restaurants à proximité de l’hôpital. Il y en avait une quantité absolument interminable et ma mère et moi y passions nos week-ends face à face entre deux visites dans la chambre de papa.

A cette époque, ma mère et moi vivions ensemble pendant la semaine dans la maison à Châteauroux mais parlions peu. Terrorisée à l’idée que papa puisse mourir, maman se sentait très seule. Moi, c’était pareil. La grande différence entre nous était que maman pleurait énormément et moi pas du tout. C’était comme si tacitement les rôles avaient été partagés entre nous: maman souffrait, moi non.

Dans les cafés des environs de l’hôpital, ma mère et moi finiment par trouver un langage commun. Nous nous regardions souvent les yeux dans les yeux entre deux bouchées et nous nous parlions aussi. Je ne me souviens pas de quoi nous parlions. De papa peut-être qui un jour allait pire, un jour allait mieux. Ces états fluctuants nous plongeaient dans l'angoisse de le perdre, de nous perdre nous-mêmes, puis successivement dans une sorte de délire que rien au monde ne pouvait freiner, tout aussi brutal qu'il était éphémère.

Alors dans notre exaltation nous mangions sans restreinte et longuement. Lorsque le serveur enquêtait de notre si bonne humeur, ma mère et moi rions aux éclats comme de véritables gamines, ivres sans avoir bu, affamées de bonheur, juste un peu de bonheur.


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mardi 2 août 2011

Melodie en sous-sol: rien ne va plus

J’ai besoin de me retrouver un peu. Rien de tel qu’une petite virée au département de radio-oncologie de votre hôpital préféré pour se remettre les idées en place. A priori, il se passe peu de choses. C’est d’ailleurs un peu déroutant, le fait que chaque étape du traitement soit si peu de chose.

Même quand je me suis faite opérée, on m’a dit « quelle chance tu as, cela a été pris à temps, tout va bien se passer ». Mais moi dans mon for extérieur je le sais bien; chez ma sœur aussi cela avait été pris à temps – dommage hein qu’elle ne soit pas là pour nous donner plus de détails.

Donc, l’opération, rien je vous le dis. Tout le monde le dit d’ailleurs, surtout le chirurgien qui lui, ma pauvre dame, lui il sait ce que c’est les cas graves, alors moi, c’était rien. Ce qui est le plus triste, c’est que je joue le jeu. Je le dis à tout le monde comme un perroquet: c’est rien j’vous dis.

Pourtant quand je suis face au miroir, lui il ne s’amuse pas à répéter des fadaises. Il me reflète et il dit : et merde alors, ca fait tout de même 7 centimètres de long ce bazar. Oui, lui dis-je mais c’est 7 centimètres de rien, alors tout va bien.

En radiologie la salle était éblouissante, fluorescente. Il faisait très froid. Vraiment glacé. Je n’étais pas là encore pour les rayons. Juste quelques petites préparations. Par exemple les petits tatouages. Juste un petit point, comme un grain de beauté, me dit-on. Un petit point multiplié par 6 tout de même et ces 6 tatouages sont indélébiles. Heureusement que maman n’est pas en vie pour entendre cà.

Mais j’oubliais, ce n’est rien. Rien n’est rien. A force d’entendre tout le monde me casser les oreilles avec ces « rien », je deviens bébête, je deviens une poupée de bois, une poupée de paille qui dirait « rien rien » automatiquement juste pour qu’on continue à l’aimer.

En conclusion, il faut savoir que les riens des autres n’ont pas pour objectif de me déshumaniser. Le but est au contraire de me rassurer. Et moi je leur dis à tous ceux qui veulent me tranquilliser: laissez-moi décider ce qui est rien et ce qui n’est pas rien. C’est ma maladie, c’est ma chair et c’est ma vie. Quand j’aurai besoin qu’on me rassure je vous ferai signe.



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dimanche 31 juillet 2011

Histoire de l'être

Je me dis parfois qu’il faut que je renoue avec mon blog. Mais c’est lui à vrai dire qui me donne du fil à retordre ; devenu le dépositaire de mes mémoires d’écolière , il se donne des airs de vieux carnet, rangé dans un tiroir que l’on n’ouvre plus, l’air de dire « tes enfants me retrouveront ». Mais mes enfants auront besoin d’une traductrice pour me lire. Les langues, au lieu de faciliter la communication, séparent parfois les gens qui s’aiment.

L’anglais fut pour moi un choix. C’est lui qui me protégea, me garda, me donna, comme aurait dit Frankl, Victor de son petit nom, me donna une raison de vivre. Sans cette langue je serais aujourd’hui installée dans une petite ville de province française, dépourvue de toute mon identité et dénudée de toute authenticité. C’est l’anglais qui m’a construite et qui m’a insufflé vie et espoir, alors que la langue française chaque jour me prenait un peu plus de mon élan, de mon désir.

C’est bien. Aujourd’hui je ne sais plus quand j’ai vraiment commencé à parler l’anglais. Officiellement c’était quand j’étais en 9e, mais je sais que ce n’est pas vrai. Parfois il faut toute une vie, ou une bonne tranche de vie pour réaliser des évidences. Il y a des choses qui n’ont pas besoin d’être dites ou d’être non-dites. Il y a des choses qui sont inéluctablement tangibles, palpables. Quand j’ai rejoint le programme bilingue à Touvent, quand j’ai rencontré pour la première fois mes petits camarades américains, je parlais déjà l’anglais. Comment cela a pu arriver ? Je ne sais pas. Je crois bien que personne ne le sait.

Quand je rêve, je rêve de gens qui ne parlent pas leur langue maternelle. Des fois si, c’est très bien organisé et comme dans la vie normale chacun parle sa langue. Et puis des fois, est-ce par paresse, ou plutôt par facilité, parfois ma sœur parle en anglais, et même ma mère, même ma mère, elle parle en anglais. Comme c’est étrange, quel monde bizarre.

Parfois, je souhaite oublier complètement ma langue maternelle. Je souhaite la battre à mort jusqu’a la pulpe, l’assassiner, jusqu’a ce que de ses mots il ne reste plus rien, que des lettres blessées, écrasées, dépossédées de leur identité. Mais la nuit venue je n’ai pas le cœur de la voir souffrir, cette langue qui m’a accompagnée toute ma vie comme une mère et qui m’a aimée comme un père.

Alors je pars les chercher une à une, les lettres, comme des enfants égarées sur le soir. Je les appelle et elles ne m’en veulent pas, elles viennent à moi.

Je les prends sur ma bouche et mes mains, et je les laisse parler.




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jeudi 14 juillet 2011

Une femme, trente ans

J'ai un peu perdu la spontanéité de mon blog. « Un peu » c'est un peu un euphémisme … J’écrivais ici au mois de janvier 2011. Que d'eaux, que d'eaux passèrent sous tous ces ponts, ceux de la Seine, ceux de la mienne.

Ah je ne vais pas me laisser aller à faire un bilan. Nous ne sommes pas chez le notaire, ni le médecin tout de même. Les bilans cela ne sert qu'à se ficher des crises d’anxiété sous le prétexte que cela veut faire de l’ordre dans les affaires qui justement prêtent à l'incertitude et l’inquiétude: l'argent, la santé …

Aujourd'hui je me sens plus jeune que d'habitude car c'est l'anniversaire de la mort de mon père, le 30e anniversaire. En me souvenant de mon père je n'arrive pas à me sentir une véritable adulte, une dame mure. Je n'ai ni 55 ans. Ni 45 ans, ni 35. J'ai 25 ans à peine, l'âge que j'avais à sa mort. Je suis telle qu'il m'a connue quand nous nous sommes perdus: je suis jeune mariée, je n'ai pas d'enfant encore, j'ai toute la vie devant moi, je me sens légère et désinvolte.

Je ne veux pas parler de toi mais de moi. Parce que tu es en moi et que çà revient au même. Il semble que tout chez moi rappelle maman et que ce serait Lucien et Geneviève qui auraient tout pris chez toi. Est-ce bien la vérité? N'y a t'il pas une comptine qui répète ainsi « est-ce bien la vérité » et qui continue ainsi: « je ne m'en soucie guère ».

Moi je sais que je ressemble au monde intérieur de mon père. Il m'a tout transmis, jour après jour, tout dit sans paroles. Il a tout téléchargé.

Je ne me suis jamais demandée s'il aurait été fier de moi. Cette idée n'existait pas chez nous. J'ai toujours su que mon père m'acceptait comme j’étais, sans rien demander de plus. Il n'avait aucune ambition pour moi. Peut-être qu'il était occupé à d'autres choses importantes qui l’empêchaient d'avoir de l'ambition pour moi. Oui oui çà doit être çà ...

La dernière fois que je l'ai vu, en 1980, il a voulu me dire adieu. Il m'a dit «  c'est la dernière fois qu'on se voit ». Si j'avais eu l' âge que j'ai aujourd'hui je l'aurais écouté et nous nous serions séparés après de véritables adieux entre deux personnes qui savaient que c’était fini. Mais à 24 ans je n'ai pas eu le courage d'affronter sa mort, la mort ... Je lui ai promis qu'on se reverrait.

Je lui ai promis mais je n'ai pas tenu ma promesse. Je ne l'ai jamais revu.



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lundi 31 janvier 2011

L'université - Vincennes Paris VIII (1976-1977)

Les premiers vingt ans de ma vie se terminaient dans un centre de réanimation ou je ne comprenais pas vraiment la signification du mot "hémiplégie" ni ne saisissais la gravité de la situation, non pas parce que j’étais trop jeune, mais simplement parce qu'il était impensable d'imaginer ma mère paralysée et mutilée dans sa chair et son esprit. Apparemment, notre médecin de famille était de mon avis et quand on lui annonça l'attaque cérébrale de ma mère et son état très grave, il fit un arrêt cardiaque, comme çà, sur place, comme pour exprimer l'absurde de la situation.

Moi aussi, en quelque sorte, je fis un arrêt cardiaque, mais personne ne s'en aperçut vraiment. Comme pour formaliser et légaliser cet état, je cessais de jouer du piano, alors que j'avais pris des cours pendant 10 ans et me présentais tous les ans aux examens du conservatoire. Cet arrêt fut radical et à ce jour, je n'ai pas repris le piano.

Dès qu'elle fut hors
de danger, ma mère fut transférée à Juvisy, dans la banlieue parisienne. Ma soeur Mali et moi allions lui rendre visite à tour de rôle. C'est à Juvisy, entre la clinique et la station de train que je m'essayais un jour à fumer d'un coup un demi-paquet de Gauloises pour ne pas craquer. L’opération s’avérant être un succès, je me mis à fumer plus d'un paquet par jour.

A la sortie de ma mère
de Juvisy je partageais ma semaine entre Paris et Châteauroux. J’étais à Paris du lundi au jeudi et à Châteauroux du jeudi au lundi matin. Je m'occupais de ma mère qui n'avait rien re-apprit à Juvisy et se tenait à peine debout. Mon père et moi entreprirent de lui re-apprendre à marcher, ce qui ne fut pas une mince affaire, vue sa résistance acharnée. Aux yeux de maman même le demi-centimètre du tapis de la salle a manger était trop haut à enjamber. Mon père ne lâchait pas prise. Il voulait qu'elle soit la plus indépendante possible. Lui-même était malade depuis 1972 et savait que ses années étaient comptées. Entre mes deux parents malades et déclinants, je tenais bon, peut être parce que l'option de ne pas tenir le coup n'existait pas.

A l’université je continuais mes cours et m'intéressais particulièrement au séminaire de Judith Stora sur les femmes. Nous travaillons entre autre sur le livre "Notre corps, nous-même" qui était à l’époque très avant-gardiste. Judith avait proposé d'animer un groupe de femmes au centre Rachi et j'en fis partie toute l’année. Ce petit groupe de femmes me donna le sentiment d'appartenir à quelque chose, à une facette de la société qui bougeait et progressait.

C'est dans ce groupe que je rencontrai Arlette Z. et me pris d’amitié pour elle. C'est chez Arlette Z. que je rencontrais Said, étudiant en architecture d'origine syrienne que je revis une ou deux fois avant mon départ définitif pour Israël. C'est comme çà que Catherine rencontra Said et qu’après mon départ ils devinrent amis. Et c'est ainsi qu'un jour Said emmena Catherine chez un de ses amis, un peintre irakien arménien, Ardash. Catherine et Ardash se marièrent plus tard en Californie.

Le 27 juin 1977 je pris l'avion
pour passer l’été en Israël, le plan étant de me porter volontaire au kibboutz de ma soeur à Shaalvim et parallèlement de retrouver Bernard qui était dans l’armée de l'air et de faire le point avec lui. Mon avenir semblait tout tracé quand le 1er septembre les nouveaux de l'oulpan arrivèrent au kibboutz. Un des nouveaux étudiants, un américain tout blond aux yeux bleus, posa sur moi un regard doux et tranquille et je sus dès cet instant que Bernard ne serait ni mon mari ni le père de mes enfants.

Ma vie m'avait finalement dépassée et était devant moi.


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