dimanche 31 juillet 2011

Histoire de l'être

Je me dis parfois qu’il faut que je renoue avec mon blog. Mais c’est lui à vrai dire qui me donne du fil à retordre ; devenu le dépositaire de mes mémoires d’écolière , il se donne des airs de vieux carnet, rangé dans un tiroir que l’on n’ouvre plus, l’air de dire « tes enfants me retrouveront ». Mais mes enfants auront besoin d’une traductrice pour me lire. Les langues, au lieu de faciliter la communication, séparent parfois les gens qui s’aiment.

L’anglais fut pour moi un choix. C’est lui qui me protégea, me garda, me donna, comme aurait dit Frankl, Victor de son petit nom, me donna une raison de vivre. Sans cette langue je serais aujourd’hui installée dans une petite ville de province française, dépourvue de toute mon identité et dénudée de toute authenticité. C’est l’anglais qui m’a construite et qui m’a insufflé vie et espoir, alors que la langue française chaque jour me prenait un peu plus de mon élan, de mon désir.

C’est bien. Aujourd’hui je ne sais plus quand j’ai vraiment commencé à parler l’anglais. Officiellement c’était quand j’étais en 9e, mais je sais que ce n’est pas vrai. Parfois il faut toute une vie, ou une bonne tranche de vie pour réaliser des évidences. Il y a des choses qui n’ont pas besoin d’être dites ou d’être non-dites. Il y a des choses qui sont inéluctablement tangibles, palpables. Quand j’ai rejoint le programme bilingue à Touvent, quand j’ai rencontré pour la première fois mes petits camarades américains, je parlais déjà l’anglais. Comment cela a pu arriver ? Je ne sais pas. Je crois bien que personne ne le sait.

Quand je rêve, je rêve de gens qui ne parlent pas leur langue maternelle. Des fois si, c’est très bien organisé et comme dans la vie normale chacun parle sa langue. Et puis des fois, est-ce par paresse, ou plutôt par facilité, parfois ma sœur parle en anglais, et même ma mère, même ma mère, elle parle en anglais. Comme c’est étrange, quel monde bizarre.

Parfois, je souhaite oublier complètement ma langue maternelle. Je souhaite la battre à mort jusqu’a la pulpe, l’assassiner, jusqu’a ce que de ses mots il ne reste plus rien, que des lettres blessées, écrasées, dépossédées de leur identité. Mais la nuit venue je n’ai pas le cœur de la voir souffrir, cette langue qui m’a accompagnée toute ma vie comme une mère et qui m’a aimée comme un père.

Alors je pars les chercher une à une, les lettres, comme des enfants égarées sur le soir. Je les appelle et elles ne m’en veulent pas, elles viennent à moi.

Je les prends sur ma bouche et mes mains, et je les laisse parler.




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jeudi 14 juillet 2011

Une femme, trente ans

J'ai un peu perdu la spontanéité de mon blog. « Un peu » c'est un peu un euphémisme … J’écrivais ici au mois de janvier 2011. Que d'eaux, que d'eaux passèrent sous tous ces ponts, ceux de la Seine, ceux de la mienne.

Ah je ne vais pas me laisser aller à faire un bilan. Nous ne sommes pas chez le notaire, ni le médecin tout de même. Les bilans cela ne sert qu'à se ficher des crises d’anxiété sous le prétexte que cela veut faire de l’ordre dans les affaires qui justement prêtent à l'incertitude et l’inquiétude: l'argent, la santé …

Aujourd'hui je me sens plus jeune que d'habitude car c'est l'anniversaire de la mort de mon père, le 30e anniversaire. En me souvenant de mon père je n'arrive pas à me sentir une véritable adulte, une dame mure. Je n'ai ni 55 ans. Ni 45 ans, ni 35. J'ai 25 ans à peine, l'âge que j'avais à sa mort. Je suis telle qu'il m'a connue quand nous nous sommes perdus: je suis jeune mariée, je n'ai pas d'enfant encore, j'ai toute la vie devant moi, je me sens légère et désinvolte.

Je ne veux pas parler de toi mais de moi. Parce que tu es en moi et que çà revient au même. Il semble que tout chez moi rappelle maman et que ce serait Lucien et Geneviève qui auraient tout pris chez toi. Est-ce bien la vérité? N'y a t'il pas une comptine qui répète ainsi « est-ce bien la vérité » et qui continue ainsi: « je ne m'en soucie guère ».

Moi je sais que je ressemble au monde intérieur de mon père. Il m'a tout transmis, jour après jour, tout dit sans paroles. Il a tout téléchargé.

Je ne me suis jamais demandée s'il aurait été fier de moi. Cette idée n'existait pas chez nous. J'ai toujours su que mon père m'acceptait comme j’étais, sans rien demander de plus. Il n'avait aucune ambition pour moi. Peut-être qu'il était occupé à d'autres choses importantes qui l’empêchaient d'avoir de l'ambition pour moi. Oui oui çà doit être çà ...

La dernière fois que je l'ai vu, en 1980, il a voulu me dire adieu. Il m'a dit «  c'est la dernière fois qu'on se voit ». Si j'avais eu l' âge que j'ai aujourd'hui je l'aurais écouté et nous nous serions séparés après de véritables adieux entre deux personnes qui savaient que c’était fini. Mais à 24 ans je n'ai pas eu le courage d'affronter sa mort, la mort ... Je lui ai promis qu'on se reverrait.

Je lui ai promis mais je n'ai pas tenu ma promesse. Je ne l'ai jamais revu.



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