lundi 5 juillet 2010

L'université - Vincennes Paris VIII (1974-1975)

Il ne sera pas possible de résumer en une page ma première année universitaire. Et pourtant me voilà titillée devant cette gageure qui s'impose à moi comme une requête. Contracter, résumer, distiller, peuvent être un exercice dangereux qui prête à la dissimulation et au mensonge. Mais cela peut être aussi l'occasion de donner enfin sa voix à la vérité.

Mes années universitaires furent dominées par des thèmes comme le judaïsme, le théâtre, la linguistique et le féminisme. Les personnages qui les animaient pour moi me donnaient parfois uniquement le rôle de spectatrice et parfois faisaient de moi une actrice et co-productrice des évènements en cours. Ma première année démarra en fait un mois avant la rentrée, quand je rencontrai lors d'un stage de théâtre, le mime Isaac Alvarez et sa troupe des "Comédiens Mimes de Paris", des gens tous très talentueux et chaleureux. Suivit une période d'apprentissage inspirée de l'école de Jacques Lecoq où Alvarez s'était instruit mais aussi du théâtre moderne de Grotowski. Levés à 7 heures du matin nous finissions la journée de travail vers minuit. L'un de mes professeurs était le danseur Jeff Bideau, un homme passionné par son travail avec lequel je restais en contact plus tard, une fois installée à Paris.

C'est encore imprégnée par les gestes, voix et masques de ce stage de théâtre que je débarquais à Paris et plus précisément à l'université de Vincennes. Je passais le plus clair de mon temps dans les locaux du département anglo-américain mais aussi dans le département de théâtre où les méthodes d'apprentissage étaient loin d'être traditionnelles. Mon professeur principal, Serge Ouaknine, revenait justement de deux ans passés dans le théâtre laboratoire de Jerzy Grotowski à Wroclaw.

Le département anglo-américain se distinguait des autres départements de l'Université car il avait établi un cursus clair et progressif copié sur les cursus des universités américaines. Le reste de Paris VIII laissait aux étudiants la liberté de composer leur cursus comme bon leur semblaient. Les couloirs étaient devenus l'arène principale de la fac, sorte de souk permanent où l'on vendait de tout: vêtements, livres, nourritures, bijoux. Les étudiants y faisaient de la musique et improvisaient des manifestations politiques.

C'est dans cette atmosphère que je tombai sous le charme de la grammaire générative d'une part et du code herméneutique de Barthes, d'autre part. Ce violent engouement fut sans doute la raison pour laquelle je persistais à demeurer indifférente à l'assaut commercial de toutes les drogues vendues elles aussi dans les couloirs ou même dans les salles de cours.

Parallèlement à ma passion pour les langues, montait en moi une véritable rage, celle du cinéma. Si j'avais l'après-midi de libre je pouvais voir trois films à la queue leu leu et la nuit venue je ressortais de la salle toute hébétée, repue et complètement sonnée. Bien vite je m'aperçus que je n'avais pas d'allocation cinéma dans mon budget et je résolus d'augmenter mes revenus en travaillant près de la gare St Lazare de 6 à 8h du mat comme femme de ménage dans une banque. Et mon pauvre papa qui s'était plaint que je faisais trop souvent la grasse matinée! Le travail en soi n'avait rien de plaisant, les employés qui déboulaient vers 7h30 étaient encore endormis et ne me voyaient même pas.

J'habitais chez ma tante, rue Saint Maur. J'organisais enfin ma vie comme bon me semblait; je mangeais casher, respectais les règles de Shabbat et des fêtes juives. Catherine résidait elle aussi à Paris, étudiante dans une autre université. Nous nous voyons pratiquement tous les jours. Elle rentrait passer le week-end à Châteauroux, mais moi je restais à Paris et passais Shabbat chez ma soeur ou chez mon amie Josiane. Puis, rapidement, Josiane me présenta son amie Carole et la famille Blum devint pour moi un troisième lieu de refuge ou de repère. Je n'élargissais jamais ce cercle et, le Shabbat, tournais entre ces trois familles jusqu'à mon départ en Israel, en été 1977.

Ce fut en vérité une année de bonheur où j'aimais les mots, les gestes et les lumières. L'amour de ma grande soeur allait de soi, si puissant, si présent. J'aimais mes anciennes et nouvelles amies, j'aimais le bruit de mes pas bien en mesure sur le pavé et j'aimais mon coeur battant aux détours des boulevards de Paris, ville immense mais accessible, apprivoisée.

Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2010