mercredi 20 octobre 2010

L'université - Vincennes Paris VIII (1975-1976)


J'avais passé l'été en Israel
comme volontaire au kibboutz Kfar Etzion. Prise en charge par un escadron de familles bien pensantes je me laissais ballotter entre les travaux de la cuisine, les parties de basket dans la salle de sport, les projections de films et les leçons d'hébreu sporadiques promulguées par les soldats du Nahal. Bien qu'ils aient plus ou moins mon âge ceux-ci me semblaient bien jeunes et naïfs. Un court passage par le kibboutz Shaalvim ou ma soeur s'était installée avec son mari et ses deux enfants m'emplit d'un espèce de bonheur qui était surprenant. Sans que je ne sus vraiment pourquoi, les vers de Baudelaire me revinrent à l'esprit.
Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble!
.
Était-ce l'endroit ou les retrouvailles avec ma soeur dont la présence avait toujours infusé en moi cette sorte de paix et bien-être?
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble!


A la rentrée, je fus tout de suite prise et envahie par une période morose. Et pourtant je vivais là, sans le savoir, ma dernière année avec une mère. Ignorante de ces derniers mois qui me restaient avant son hémiplégie je me glissais, sans raison palpable, dans un sentiment de vide et lassitude. J'avais quitté L'appartement de ma tante rue St Maur pour louer une chambre de bonne au 6 étage d'un immeuble à St Mandé à quelques mètres seulement de l'appartement de ma grande soeur. De la fenêtre de ma chambre qui donnait sur l'avenue Daumesnil je faisais face au zoo de Vincennes. La nuit, en m'endormant, j'entendais les animaux, surtout les éléphants dont le grabuge me donnait souvent des insomnies. Dans cette petite chambre je me recroquevillais sur moi-même. Je dessinais, j'écoutais de la musique, écrivais. J'oubliais d'aller à mes cours.

J'étudiais la linguistique et la littérature anglaise et continuais mes cours de théâtre à l'atelier de Serge Ouaknine, entourée par quelques amis fidèles avec qui, la nuit venue, je faisais la tournée des late shows. J'ai en mémoire une malencontreuse et pitoyable prestation théâtrale ou les acteurs vomissaient sur scène. Que ne fallait-il pas endurer pour se faire une éducation ...

Mes cours de littérature anglaise étaient pleins à craquer. Il fallait arriver en avance pour se trouver une place assise dans la salle de cours. Les retardataires restaient debout, certains dans le couloir. En 1975 Helene Cixous était déjà connue mais pas encore une véritable célébrité. Ses cours sur le déchiffrement sémantique des messages publicitaires sont restés dans ma mémoire de façon indélébile. Elle nous dessillait les yeux et ouvrait notre intellect comme on ouvre un fruit, pour nous engager vers une écriture féminine qui s'échapperait des structures prépondérantes acceptées.

C'est durant cette année-là que Catherine et moi fiment une virée en Normandie. C'est au café du Perroquet Vert à Honfleur que nous avons rencontré un drôle d'individu. Pupille de la nation, il vivait avec sa grand-mère dans une vieille maison près du port et travaillait dans les chantiers de la région. Catherine dont le père était chef d'industrie et moi dont les parents possédaient une fabrique, firent le soir-même connaissance de la grand-mère qui vivait sans électricité et dormait dans la cuisine sur une planche placée sur deux chaises. Le jeune homme nous donna le seul lit de la maison (le sien) et dormit dans la baignoire. Le lendemain il nous montra son chantier en pleine campagne et nous présenta ses amis rafistoleurs de résidences secondaires: chacun avait son histoire.

Vers le début du mois de mai je commençai un travail de surveillante à l'école Lucien de Hirsh, y retrouvant des enfants dont j'avais été la monitrice l'été précèdent. Madame Picard, la directrice, qui avait eu vent que ces enfants me tutoyaient - comme ils l'avaient fait en colonie de vacances - me fit venir dans son bureau et me colla un bon sermon. Je ne savais pas être autoritaire et je gallerais. J'avais envie de jouer avec les enfants, pas de les surveiller et de les gronder.

Je me préparais à refaire une colo de l'OSE a Raon l'Etape pendant le mois de juillet, puis, en septembre, rejoindre Tel-Aviv et le kibboutz de ma soeur. Mais l'été 1976 se termina tragiquement. Le 31 août, alors que j'étais déjà en route pour l'aéroport de Paris, je dus revenir la nuit-même sur Chateauroux. Ma mère avait fait une hémiplégie et sa vie était en danger. Le jour-même elle m'avait emmenée faire les magasins rue Victor Hugo. Elle m'avait acheté des sandales et une jupe en jean avec une longue fermeture éclair sur le devant. Mais tout de ce que j'avais connu avec ma mère, tout se terminait.



Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2010

mercredi 15 septembre 2010

Esther Wajzer 1914 - 1994

Pour ne pas t'oublier maman.

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Bonne année

Une très bonne année à tous avec cette carte toute en animation.

Nathalie


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lundi 5 juillet 2010

L'université - Vincennes Paris VIII (1974-1975)

Il ne sera pas possible de résumer en une page ma première année universitaire. Et pourtant me voilà titillée devant cette gageure qui s'impose à moi comme une requête. Contracter, résumer, distiller, peuvent être un exercice dangereux qui prête à la dissimulation et au mensonge. Mais cela peut être aussi l'occasion de donner enfin sa voix à la vérité.

Mes années universitaires furent dominées par des thèmes comme le judaïsme, le théâtre, la linguistique et le féminisme. Les personnages qui les animaient pour moi me donnaient parfois uniquement le rôle de spectatrice et parfois faisaient de moi une actrice et co-productrice des évènements en cours. Ma première année démarra en fait un mois avant la rentrée, quand je rencontrai lors d'un stage de théâtre, le mime Isaac Alvarez et sa troupe des "Comédiens Mimes de Paris", des gens tous très talentueux et chaleureux. Suivit une période d'apprentissage inspirée de l'école de Jacques Lecoq où Alvarez s'était instruit mais aussi du théâtre moderne de Grotowski. Levés à 7 heures du matin nous finissions la journée de travail vers minuit. L'un de mes professeurs était le danseur Jeff Bideau, un homme passionné par son travail avec lequel je restais en contact plus tard, une fois installée à Paris.

C'est encore imprégnée par les gestes, voix et masques de ce stage de théâtre que je débarquais à Paris et plus précisément à l'université de Vincennes. Je passais le plus clair de mon temps dans les locaux du département anglo-américain mais aussi dans le département de théâtre où les méthodes d'apprentissage étaient loin d'être traditionnelles. Mon professeur principal, Serge Ouaknine, revenait justement de deux ans passés dans le théâtre laboratoire de Jerzy Grotowski à Wroclaw.

Le département anglo-américain se distinguait des autres départements de l'Université car il avait établi un cursus clair et progressif copié sur les cursus des universités américaines. Le reste de Paris VIII laissait aux étudiants la liberté de composer leur cursus comme bon leur semblaient. Les couloirs étaient devenus l'arène principale de la fac, sorte de souk permanent où l'on vendait de tout: vêtements, livres, nourritures, bijoux. Les étudiants y faisaient de la musique et improvisaient des manifestations politiques.

C'est dans cette atmosphère que je tombai sous le charme de la grammaire générative d'une part et du code herméneutique de Barthes, d'autre part. Ce violent engouement fut sans doute la raison pour laquelle je persistais à demeurer indifférente à l'assaut commercial de toutes les drogues vendues elles aussi dans les couloirs ou même dans les salles de cours.

Parallèlement à ma passion pour les langues, montait en moi une véritable rage, celle du cinéma. Si j'avais l'après-midi de libre je pouvais voir trois films à la queue leu leu et la nuit venue je ressortais de la salle toute hébétée, repue et complètement sonnée. Bien vite je m'aperçus que je n'avais pas d'allocation cinéma dans mon budget et je résolus d'augmenter mes revenus en travaillant près de la gare St Lazare de 6 à 8h du mat comme femme de ménage dans une banque. Et mon pauvre papa qui s'était plaint que je faisais trop souvent la grasse matinée! Le travail en soi n'avait rien de plaisant, les employés qui déboulaient vers 7h30 étaient encore endormis et ne me voyaient même pas.

J'habitais chez ma tante, rue Saint Maur. J'organisais enfin ma vie comme bon me semblait; je mangeais casher, respectais les règles de Shabbat et des fêtes juives. Catherine résidait elle aussi à Paris, étudiante dans une autre université. Nous nous voyons pratiquement tous les jours. Elle rentrait passer le week-end à Châteauroux, mais moi je restais à Paris et passais Shabbat chez ma soeur ou chez mon amie Josiane. Puis, rapidement, Josiane me présenta son amie Carole et la famille Blum devint pour moi un troisième lieu de refuge ou de repère. Je n'élargissais jamais ce cercle et, le Shabbat, tournais entre ces trois familles jusqu'à mon départ en Israel, en été 1977.

Ce fut en vérité une année de bonheur où j'aimais les mots, les gestes et les lumières. L'amour de ma grande soeur allait de soi, si puissant, si présent. J'aimais mes anciennes et nouvelles amies, j'aimais le bruit de mes pas bien en mesure sur le pavé et j'aimais mon coeur battant aux détours des boulevards de Paris, ville immense mais accessible, apprivoisée.

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dimanche 16 mai 2010

L'école - la terminale (1973-1974)

Ma mère, toujours vigilante, avait fini par comprendre que l'air des hôpitaux n'était pas bon pour mon moral. Elle imposa d'office à ma soeur Genevieve et son mari une compagne de voyage pour leurs vacances d'été à Bournemouth. L'âme en bandoulière, le coeur pulvérisé par les déboires médicaux de mon père et envahie par un désespoir qui prenait des allures chroniques, je fus livrée pendant un mois à l'optimisme indomptable de mon beau-frère. En Angleterre je découvris le cottage cheese et ne tombais amoureuse de personne, ne m'intéressant à personne.

A notre retour en septembre, on nous annonça que papa quittait l'hôpital et rentrait à la maison. Pour la première fois depuis décembre 1972, la vie reprenait son cours. A la rentrée, rien à signaler au lycée. Le retour de mon père fut un évènement magique qui en quelques jours permuta l'enfant triste que j'étais devenue en jeune fille pleine d'enthousiasme et de bonheur. Ce n'était certes pas seulement mon père qui reprenait vie et tandis que lentement il remontait la pente, moi j'exultais et m'épanouissais brutalement.

C'est justement à ce moment-là qu'éclata la guerre de Kippour. Mon inquiétude pour l'état d'Israel fut vite dépassée par la réalisation que Bernard était parti là-bas pour se porter volontaire. Ce qui m'inquiétait ce n'était pas seulement les combats, mais plutôt une forte et intime conviction qu'il ne reviendrait jamais. Et j'avais raison. Immigré à l'âge de 20 ans , il resta sur place et fit sa vie en Israel. Pour moi qui ne supportais pas les séparations, ce départ fut difficile.

Durant l'année de ma terminale je tachais de combler le vide que Bernard avait laissé derrière lui et rencontrais beaucoup de gens venus de tous azimuts. Je m'inscris à des cours d'art dramatique à la maison de la culture où je fus l'élève d'Alain Meilland, jeune artiste venu de Bourges qui plus tard allait devenir l'un des fondateurs du Printemps de Bourges. Vers le milieu de l'année je donnais moi-même des cours d'expression corporelle à des élèves du lycée Pierre et Marie Curie.

Je développais un engouement particulier pour Pierre Jean Jouve, Max Jacob, Robert Desnos et toujours et encore Federico Garcia Lorca que je lisais à l'époque en Français. Mon ami JP et moi-meme avions formé un commando d'écriture automatique. L'exercice consistait à s'approprier une classe vide et remplir le tableau d'un texte de poésie automatique que nous improvisions sur place avant le retour des élèves. Montée d'adrénaline garantie.

Je ne fis pas que des bonnes rencontres cette année-là mais résistais toutefois sans difficulté à l'assaut hallucinant (c'est le cas de le dire) des drogues au lycée. C'était l'époque où les jeunes s'attablaient au café et déposaient le hashish au milieu de la table pour que tous puissent se servir. Je me suis longtemps demandée pourquoi je n'avais jamais été tentée de céder à la pression sociale pourtant quotidienne; je n'ai jamais eu de réponse si ce n'est le fait que Catherine elle aussi refusait la mode du dopage à tout prix. Loin d'être une paria je tenais une place importante. C'était en effet très pratique à minuit quand on s'évanouissait, d'avoir sous la main la seule personne sobre dans la salle qui savait distribuer des conseils, accompagner et réconforter.

Le bac arrivant au galop, je me fis prier pour réviser. Pendant les deux derniers mois de l'année scolaire, j'étais soudainement devenue morose et un peu apathique. J'avais même cessé de rendre certains devoirs et avais récolté plusieurs zéros. Comme c'était moi qui signais mon carnet de notes (l'année d'avant, ma mère m'avait en effet formellement autorisé à signer mon carnet de notes à sa place), mes parents n'en surent jamais rien. Catherine, exaspérée, finit par me séquestrer chez elle où sous l'oeil attentif de sa mère, nous étudiâmes ensemble deux ou trois jours. Tant bien que mal je réussis mon bac avec mention.

Ainsi ma période lycéenne s'achevait sans trop de vagues ni contrariété apparente. Je m'étais inscrite à Vincennes, université qui encore à l'époque était considérée comme expérimentale. Pas même âgée de 18 ans et armée, il est vrai, de bien peu d'ambitions, j'allai quitter ma ville natale et monter à Paris. Je me limitais à un projet, celui de me construire enfin en tant que jeune fille juive et pratiquante. Ma premiere tâche fut d'acheter de la vaisselle et des casseroles separées pour le lait et pour la viande afin de manger strictement Casher.



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mardi 20 avril 2010

L'école - La première (1972 -1973)

J'avais des cousins en Amérique et ma mère avait décidé de m'y envoyer passer l'été. Peut-être avait-elle compris que mon expérience de l'année précédente avec le DEJJ n'avait pas comblé mes attentes. A Brooklyn, je m'adaptais comme un poisson dans l'eau une fois dépassées quelques barrières culturelles de moindre importance. J'étais par exemple très peu habituée à manger des steaks à 5h de l'apres-midi, je ne comprenais pas pourquoi ma jeune cousine de 14 ans et ses petites amies hurlaient au lieu de parler et j'avais quelques difficultés à suivre ces jeunes hommes qui causaient en mâchant du chewing-gum.

Déjà, étant petite ,j'avais partagé les bancs de l'école avec les américains. Ce fut pour moi l'occasion de m'entendre enfin avec les filles en tant que groupe. Je les trouvais plus directes et plus conviviales que les petites françaises. Quant aux garçons américains, je ne m'étais pas formé d'opinion. Mais là, à Brooklyn, nous étions en 1972 et les petits garçons avaient grandi. Ah ... Les jeunes hommes américains ... Ce sujet devint actuel dès l'été 1972 et le demeura à jamais.

Je fis un rêve, allongée au bord d'un lac non loin de l'université de New Palz dans les Catskils. Je ressentis la présence d'un jeune homme qui voulait m'épouser. Je notai ce rêve dans mon carnet de voyage et n'y pensais plus. Cinq ans plus tard, mon interlocuteur, un jeune américain immigré en Israel, me dit qu'il avait fini ses études à New Palz en 1974 et je me souvins de mon rêve et le reconnus sans aucune hésitation. Je me fiançai avec lui trois semaines seulement après ce premier échange.

En septembre 1972 je rentrai en première A, laissant derrière moi un prof de math penaud et retrouvant ainsi ma Catherine. Ensemble nous ne pouvions qu'être heureuses et ma vie, en quelque sorte, reprenait. Entre temps ma soeur donna le jour à son premier enfant et cet évènement me fit définitivement comprendre qu'il fallait qu'elle fasse sa vie et moi la mienne. J'en étais là de mes projets quand mon père, le 18 décembre 1972, fit une crise cardiaque. Il fut d'abord hospitalisé à la clinique Saint François à Chateauroux, puis, suite à des complications allant en s'aggravant il se retrouva dans les hôpitaux de Paris, à St Antoine d'abord, puis à Tenon.

Mon père resta hospitalisé jusqu'en septembre 1973. Durant cette période, parfois il allait mieux, parfois il était mourant. Je le voyais peu, les week-ends seulement et passais le reste de la semaine dans une maison vide. J'avais 16 ans, ma mère 59 ans et malgré quelques efforts aussi bien de sa part que de la mienne, nous n'avions rien en commun, sauf une espèce de peur au ventre perpétuelle que nous n'arrivions pas à partager mais qui nous gardait ensemble tout de même. Ma mère, qui était une très belle femme, se battait comme une lionne - n'ayons pas peur du gros cliché - , surveillait les soins de mon père à distance tout en continuant à diriger la fabrique. Quant à moi mon rôle était simple: ne pas faire de vagues.

En juin 1973 ma mère prit le train pour Paris à 7h35. je l'accompagnai sur le quai. Cette fois-ci papa avait 41 de fièvre et le pronostic était mauvais. Je ne pris le train que dans l'après-midi. Ma mère pensait sans doute que j'étais allée à mes cours au lycée, mais en fait j'avais passé mon bac de français. J'avais trouvé inutile de le lui dire. Cela semblait absurde de passer son bac le jour ou mon père mourait. En fin de compte papa survécut encore huit ans. Moi j'obtins 15 à mon bac et jubilais.

Cette année-là m'était passée dessus comme un rouleau compresseur et pourtant je n'avais pas perdu pied entourée encore et toujours par les deux comparses (ennemis) de mon enfance, Catherine et Bernard. Avec Catherine, source constante de mes joies, j'oubliais les odeurs de l'hôpital et me souvenais de mon jeune âge et de la perspective de toute une vie devant moi. Bernard aimait profondément mon père et ne pouvait cacher son inquiétude. Déjà bien établi dans son rôle de grand frère, il se retrouva dans le rôle ambitieux de Grand Protecteur Général, jouant le rôle de père, mère et frère à la fois. Il me couvrait de tendresse avec autorité comme au premier jour, quand j'avais 12 ans seulement et que du haut de ses 15 ans il m'apprenait l'hébreu au Talmud Torah et parlait avec exaltation de l'état d'Israel.

Et justement, alors que mon père était enfin rentré à la maison, convalescent, et que la vie reprenait son cours, en Israel la guerre de Kippour éclata. En octobre 1973, Bernard avait presque 20 ans et il se porta volontaire.




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dimanche 28 mars 2010

L'école - La seconde (1971-1972)

L'été 1971 j'étais en fait très adulte, habituée à prendre des décisions primordiales, donc très indépendante pour mon âge. Mais j'étais aussi toujours un peu à côté de la plaque et mes camarades de classe n'arrivaient pas vraiment à saisir mon personnage me considérant parfois comme une surdouée et parfois comme une attardée. J'étais bel et bien les deux à la fois.


Niveau littérature j'avais déjà lu la plupart des grands classiques français et les avais plus ou moins mémorisés par coeur. J'en étais à dévorer Garcia Lorca et Dos Passos quand mes parents eurent l'idée de m'envoyer passer un été en Israel avec le DEJJ.

Sur cet été que dire sinon qu'il fut terrible. Je n'avais jamais mis les pieds dans une boite de nuit et j'appris rapidement que ces petits jeunes du DEJJ adoraient les sorties. Cela faisait même partie du programme officiel. Les lumières disco clignotantes me donnaient la nausée et je n'étais pas branchée sur le flirt. Désemparée et morte d'ennui je me retrouvais au bar à boire des vodkas orange et réalisais que je tenais extraordinairement bien l'alcool.

Je m'étale sur cet été 1971 car j'ai du mal à embrayer sur l'automne qui suivit. Ma soeur s'était fiancée avec un jeune homme sympathique et toujours de bonne humeur. J'étais bien heureuse pour elle mais incapable d'assumer l'imminente séparation. Elle allait faire sa vie, et moi, j'allai me retrouver comme un vulgaire détritus, jetée dans un coin, seule. Mon indépendance, les grands classiques, la vodka orange, tout cela c'était du bidon: je n'étais ni adulte ni construite et sans ma soeur je devenais un bateau fantôme.

Le 28 novembre 1971 ma soeur se maria et je tachai de faire bonne figure pour ne contrarier personne. J'étais en seconde C. Sans qu'on y prêtât attention, que ce soit au lycée ou à la maison, je finis l'année à la dernière place de la classe en math et en physique-chimie. Le prof de maths me dit un jour dans un éclair de lucidité:
- Mais je ne comprends pas mademoiselle Wajzer, quand je vous demande de m'expliquer un problème, vous comprenez tout, vous comprenez mieux que les autres, mais comment vous faites pour avoir de si mauvaises notes?

C'était encore le temps où il n'y avait pas de conseillères d'orientation ou de psychologues dans les lycées et si vous aviez un souci votre seul remède était le cannabis ou le haschich. Mais cela non plus, ça n'était pas mon truc. Je noyais mon chagrin entre les oeuvres complètes de Camus et les vers d'Aragon. "Ma vie est à partir de toi" pensais-je. Ni les bras de mon ami, ni le sourire de mon amie ne pouvaient compenser le vide qui s'etait installé.

Si seulement j'en étais arrivée à Sartre dans mes études autodidactes j'aurais su que j'avais atteint très prématurément l'angoisse existentielle. Seules mes notes en math reflétaient fidèlement mon état d'esprit.

Résultat de l'affaire, déboutée de la filière scientifique je passais en première A. Je me consolais à l'approche de l'été en me préparant pour mon voyage vers le nouveau monde, là où mes cousins américains m'attendaient, plus précisement à Canarsie, Brooklyn.


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mercredi 24 février 2010

L'école - La troisième (1970-1971)

Photo Gérard Mery.

En troisième, j'étais tellement bien que je ne me souviens de rien. Je ne pensais sincèrement pas qu'il fut possible qu'il en soit autrement. C'est celà qui est épatant à cet âge-là, on s'imagine que le bonheur c'est maintenant alors que tout adulte saura vous dire que le bonheur c'est beaucoup ce qu'on a perdu et surtout ce qui tarde à venir.

Gardée, dominée parfois et toujours soutenue par mes deux anges gardiens, je n'avais même pas remarqué que je devenais une vraie jeune fille. je réalise aujourd'hui que mon ami s'était épris de l'enfant que j'étais, brutale de coeur mais intouchable de part son jeune âge. Comme une petite soeur j'étais le témoin de ses batifolages - il avait tout de même 17 ans à la rentrée 1970 - et de façon curieuse je ne souffrais pas trop de le voir s'amouracher de véritables demoiselles. C'est celà aussi le bonheur, de ne pas savoir haïr et de ne pas nécessairement vouloir être comme les autres.

J'avais de la chance. J'avais été élevée par des gens sans vanité d'une honnêteté surréelle, des gens tellement droits que cela en était ridicule. Mais à l'époque je ne savais pas que c'était une anomalie. Je ne savais pas que l'on pouvait dissimuler ses sentiments, mentir, trahir. Je croyais que la terre entière était honnête, riait quand elle voulait rire, pleurait quand elle voulait pleurer et hurlait quand c'était des hurlements qu'elle avait dans les tripes. Pour résumer: à l'aube de mes 14 ans j'étais très mal préparée à la vraie vie.

En troisième, Catherine et moi ne nous quittions jamais. C'est avec elle et chez elle au côté de sa mère que je complétais mon éducation. Par exemple une des plus surprenante chose se passait chez mon amie et cela m'estomaquait à chaque fois: sa mère lui disait quoi faire.

- Catherine, reviens à 9 heures au plus tard. D'abord tu finis tes devoirs, ensuite tu sors avec tes copines. Catherine tu vas me faire le plaisir de ranger ta chambre un peu mieux que çà. Oui avant de sortir.
- Mais maman, le film commence à ...
- Je m'en fiche ma chérie. Tu ranges d'abord.

J'avais carrément été transportée sur une autre planète. Une telle conversation entre ma mère et moi était impensable. A la maison personne ne me disait jamais quoi faire et c'était à moi, depuis toujours, d'établir mes propres priorités. Je ne sais pas au juste quel facteur avait poussé mes parents à se comporter avec autant de négligence et indifférence, le fait est qu'à part m'habiller (horriblement d'ailleurs et plus pour bien longtemps) et me nourrir (longtemps par l'intermédiaire des bonnes) ma mère n'avait aucune emprise sur moi et n'avait jamais demandé à en avoir. Je l'ai parfois perçue comme mon égale, mais le plus souvent comme une personne avide de mon amour et de mes soins. Quant à mon père j'étais émerveillée par sa présence et je savais qu'il était là pour me protéger: je pouvais compter sur lui ou du moins je voulais compter sur lui.

L'année scolaire se concluait: j'étais encore très bonne élève mais en l'espace de quelques mois tout celà allait changer.



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vendredi 5 février 2010

L'école - La quatrième (1969-1970)

La fin de ma cinquième se conclut par une croisière sur la Méditerranée entre Venise et Haifa, suivie d'un séjour en Israël. Sous les auspices des amis de mes parents, les Besserglick, je me retrouvais, comme en 1967, de nouveau trimbalée dans tout le pays, qui n'est pas plus grand qu'un mouchoir de poche, faut-il le préciser. Je tenais lors de ces vacances le rôle de la parfaite petite fille, mais, comme toutes les gamines de mon âge, je vivais la plupart du temps dissociée, pleine encore de mon enfance, mais déjà agitée par des sortes de bouffées qui me poussaient vers l'age adulte. A cet age-là je ne me voyais pas et refusais l'évidence d'une silhouette déjà développée.

A la rentrée scolaire je remarquai que mes coéquipières avaient grandi d'un seul coup. Déjà elles me dépassaient de quelques centimètres. En hiver, j'étais devenue la plus petite de l'équipe. J'avais grandi trop rapidement et ma croissance s'était terminée l'année d'avant. C'est avec dépit que je me préparais à quitter l'équipe de basket définitivement à la fin de l'année. J'aurais pu sans doute y rester, mais cela ne m'intéressait plus. J'avais mieux à faire.

Je serai honnête: je ne souviens pas de ma quatrième. Tout est passé à carreau, la classe, les profs, les élèves, je ne me souviens de rien. Je sais seulement que j'étais bonne élève, que mon amie était près de moi, tout le temps. Je sais seulement que mon ami était près de moi quand je n'étais pas à l'école. En effet, les deux grands amours de ma vie ne pouvaient pas « s'encaisser » l'un l'autre. On en était arrivé à un statu quo très simple qui consistait tout simplement à ce que je ne parle jamais d'elle devant lui et vice versa. Ballottée entre les deux pôles de mon existence je jouais le jeu lâchement et m'arrangeais pour qu'ils ne rencontrent pas. Je n'avais, me semblait-il, pas le choix et avoir une vie divisée me semblait naturel. Il faut dire qu'à la maison aussi je vivais de cette façon depuis ma plus tendre enfance, ménageant toujours mes parents et prenant toujours parti pour l'un en le cachant à l'autre et inversement. Cela semble compliqué, mais ce ne l'est pas: il suffit de mentir tout le temps de façon consistante. C'est un jeu d'enfant.

Je n'ai donc pas retrouvé la mémoire, même sur ce blog et peut-être cela est-ce aussi un mensonge. J'abordais cette transition vers la véritable adolescence doublement protégée par les ailes de l'amitié et de l'amour. Bien entendu ce que j'appelle l'amour était un sentiment encore plongé dans l'enfance, pas encore formé, complètement primaire. On dit toujours que nos premiers amours sont souvent nos cousins germains. Mais moi, je n'avais que deux cousins germains vivants que je ne fréquentais pas.

J'avais au total, une bonne quarantaine de cousins germains, mais personne n'en parlait et sans que leurs noms ne soient jamais prononcés ils me semblait souvent qu'ils étaient au centre des discussions de mes parents. J'étais moi-même totalement ignorante à l'époque de l'existence de cette énorme famille qui avait d'une part disparu mais d'autre part semblait omniprésente. Il m'a bien fallut atteindre l'âge de quarante ans pour finalement comprendre que mes parents avaient perdu 78 membres de leur famille proche pendant la guerre. Il fallut tout ce temps pour que les chiffres anonymes prennent forme.

Déjà, quand j'étais en quatrième, mon amie et moi parlions d'avenir: nous avions solennellement décidé que nous serions dans la même classe jusqu'en terminale, que l'on épouserait le même garçon et que l'on serait enterrées ensemble. Tiens, il faut croire que la mémoire m'est revenue ...


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samedi 30 janvier 2010

L'école - La cinquième (1968-1969)

Au retour de mes vacances d'été je ne retournai pas à l'annexe internationale mais réintégrai bien malgré moi le lycée Jean Giraudoux où j'avais complété ma 8e dans le passé. Ce retour à la ville, dans un établissement assez imposant de par sa taille et ses effectifs, tout cela contribuait à me rendre anxieuse. Somme toute mes deux années à l'annexe ne s'étaient pas trop mal passées même si je m'étais ennuyée et m'étais fait très peu d'amies. Les cours m'avaient intéressée et grâce aux poursuites sadiques de Gilles, je démarrais la cinquième une véritable athlète, un fait que le prof de gym sut tout de suite repérer.

Ainsi,au lycée, je me retrouvai immédiatement dans l'équipe de basket et en compétition au niveau départemental en saut en longueur. Dès mon premier saut je me qualifiai pour les compétitions régionales. Ce succès rapide ne me procura aucune satisfaction. Preuve en est que je n'en parlais à personne, peut-être pour ne pas faire ombre à ma sœur qui tenait le rôle de la sportive dans la famille et y était très attachée.

Dès le début de la rentrée scolaire, en septembre 1968, je fis deux rencontres qui allaient façonner ma vie et la changer à jamais. Je rencontrai celle qui serait pour toujours ma meilleure amie et celui qui resterait à jamais mon premier amour. Ces deux rencontres furent éblouissantes, des coups de foudre parallèles, absolus. Au contact de cette double amitié je ne me reconnaissais plus, j'évoluais d'un jour à l'autre transportée par la puissance de ces deux aimants qui se partageaient mon cœur, ma tête, mon existence.

Le jour où il entra dans ma vie ce jeune garçon de 15 ans l'illumina comme un roi soleil. Cette brutale plongée à un bien jeune âge dans le domaine romantique ne m'empêcha pas d'être fascinée en même temps par cette autre enfant, parisienne égarée en province, dont la douceur et l'intelligence ravissaient mon âme.

Ainsi je grandis cette année-là à la vitesse d'une comète.
Je ne prêtais guère attention à mes devoirs, les cours, la classe. J'avais découvert que j'avais un cœur et qu'il savait vibrer. Je jouais mieux au basket, je courais plus vite, je sautais plus loin, je jouais mieux mes partitions de piano. Je ne m'ennuyais plus.

J'avais tant souffert
de l'éloignement de ma sœur qui était étudiante à Paris et sans qui, tout simplement, je ne savais pas fonctionner... Finalement, je m'étais découvert une raison de vivre. Que dis-je, j'avais deux raisons de vivre et elles allaient rester à mes côtés, fidèles, immuables dans leur affection, jusqu'à ce que moi-même, de la façon la plus abrupte possible, je décide de m'en éloigner. Mais cela est une autre histoire qui aura lieu près d'une décennie plus tard.


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samedi 2 janvier 2010

L'école - La sixième (1967-1968)

L'été 1967 avait été marquant. Au lendemain de la guerre des six jours en juin 1967, mes parents se découvrirent une veine sioniste et estimèrent indispensable de faire le voyage vers cette contrée lointaine. C'est ainsi que ipso facto je me retrouvai devant le mur des lamentations fraichement libéré des mains jordaniennes puis fièrement debout près de mes parents, devant des fils barbelés démarquant la frontière syrienne. Curieuse, je ramassai un caillou et constatant qu'il était noir et d'une nature poreuse, je le tendis à mon père.

- C'est quoi? Demandai-je.
- C'est une roche volcanique, dit-il.
- Un volcan? Mais papa ... Et s'il explosait de nouveau le volcan?
- Il a déjà explosé. C'est fini, tu comprends, les guerres sont terminées.
- Il est si beau notre pays, dit ma mère.

Sur un rocher des amoureux avaient gravé leurs noms, Deborah et Moshé. Moshé lui-même fera encore trois guerres, la guerre d'attrition, la guerre de Kippour et la guerre du Liban. Ses fils se battront aussi au Liban et ses petits-enfants encore bébés, porteront des masques à gaz pour se protéger des bombes irakiennes. Puis, à l'âge d'être mobilisés, ils retourneront sur les pas de leur père et de leur grand-père, au Liban, mais aussi à Gaza.

Je commençai donc la nouvelle année scolaire le cœur gonflé de soleil, la tête toute emplie de nouvelles idées de patrie et attachement national. Il ne faisait pas de doute que j'étais dans le camp des vainqueurs. Cependant pour compenser cette belle humeur, je devais affronter une grande contrariété et c'était le départ de ma sœur Geneviève vers la capitale. Sans sa présence je n'avais plus de mère, ni de père et je devenais littéralement une enfant laissée à elle-même.

A l'annexe internationale de St Maur, je n'étais pas plus vainqueur ou intéressante qu'une mouche sur un mur. Je retrouvais la monotonie des salles de classe et l'ennui m'envahissait jour après jour, tel une maladie incurable. Gilles avait disparu et je réalisais que ses méchancetés ne m'avaient pas fait que du mal. Je me résignais à la morosité et même à la mélancolie quand le regard d'un petit bonhomme de mon âge, que j'appellerai A., changea mon état d'esprit. Totalement lumineux, ses yeux bleus semblaient vouloir dire: « ne t'en fais pas, tout va bien, je m'occupe de tout ». J'avais en fait découvert là mon premier regard d'homme enfin ce que j'allai toujours chercher dans le regard d'un homme, un message simple qui dirait avec des mots différents: « les guerres sont terminées ».

Toujours aussi peu féminine, je ne parlais pas aux filles, jouais avec A. dans l'énorme parc du château et connaissais des moments de bonheur éblouissants quand je courais plus vite que lui. Sans qu'il le sut jamais, la gentillesse et la beauté de ce gamin de 12 ans furent pour moi un tranquillisant naturel et me redonnèrent confiance.

Mon année de sixième s'acheva sur les évènements de mai 68 auxquelles je portai peu d'intérêt bien que ma sœur Geneviève y soit justement mêlée, étant étudiante à Paris. J'observais pourtant le visage pâli de mon père devant la télévision.

Moi et mes camarades de classe avions 11-12 ans en mai 1968. Nous ne savions pas encore que d'autres pour nous se battaient, pour que nous abordions l'adolescence sans les contraintes de l'ordre ancien, pour avoir plus de droits, plus de libertés, plus de choix.



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