samedi 3 décembre 2011

Les photos

Sans les photos, aurions-nous une mémoire? Plus les années passent plus les photographies deviennent des alibis de mémoire, des béquilles du souvenir. Étais je vraiment cette petite fille aux cheveux noirs frisés et au regard sombre? J'en doute aujourd'hui car mes yeux ne flamboient plus comme dans le passé. Plus vraiment.

Sur cette photo en noir et blanc
j'ai une dizaine d’années et je suis encore un peu maigrichonne. J'ai l'air d’une petite fille arabe, même pas italienne ou espagnole, carrément arabe. C'est curieux tout de même.

Quand j'ai grandi, au milieu et à la fin des années soixante, doucement quelques familles arabes ont commencé à s'installer a Châteauroux. Il arrivait souvent à cette époque que l'on m’interpelle dans la rue et qu'on me parle en arabe. J'avais semble-t'il la tête de l'emploi. Il faut dire que mes grands cheveux longs, frisés allant sur le crépu, ne me permettaient pas à l’époque de passer inaperçue. Je n'avais pas le profil berrichon, mais l'on dira, pour généraliser, plutôt le profil "métèque".

Sur une autre je pose avec mes parents sur la plage de Tel-Aviv. J'ai onze ans et ai l'air d'un ouistiti. A côté de moi mon cousin israélien, Sender. Il doit avoir 19 ans. Je me souviens que nous parlions en Yiddish tous les deux. Je trouve çà bizarre maintenant. Je ne parlais pratiquement pas le Yiddish et même aujourd'hui ce que j'en sais, c'est seulement pour avoir appris l'allemand. Je crois que ma mémoire me fait défaut. Peut-être s'amusait-il à m'apprendre le Yiddish qui était sa langue maternelle et autrement nous parlions en anglais que je parlais bien. Lui, commençait ses études de médecine qu'il faisait donc avant l’armée. Le père de Sender était le cousin germain de papa. Je ne l'ai pas connu; il est mort alors que Sender avait 6 ans à peine.

La photo de mes grand-parents est pour moi d'une importance primordiale. Elle est placée dans le coin salle à manger avec vue sur la table. Depuis des décennies cette photo regarde ma famille grandir. Tous les Shabbat, alors que nous sommes tous attablés, 30 secondes avant que David fasse kiddoush, je lève la tête et regarde la photo. Si tout est en ordre je me dis "ils sont fiers de moi, j'ai fais du bon travail, c'est bien". S'il y a un souci je les regarde et je leur demande un peu de compassion, un peu d'encouragement.

Sur cette photo le visage de
mon grand-père ne cesse de changer. Il a commencé sa carrière de photographié comme vieil homme, et au fil des années il rajeunit. Il me semble clair que bientôt nous serons du même âge. J'aime beaucoup cette photo car mon grand-père a le regard rieur. Il est mort en 1933, sans savoir que de ses 12 enfants, 2 seulement survivraient la shoah. De ses petits-enfants (une bonne trentaine) survivront: les 4 freres Zacharowitz fils de Cirla, Moshe Karpman le fils de Faivish, Alitzia la fille de Srul, Marguerite fille de Aaron, et les enfants de sa petite dernière, Esther, ma mère.

Sur la photo, ma grand-mère fait la gueule. Ou alors elle est un peu fatiguée. Comment savoir? Elle a le même rictus que maman et ma sœur Mali. Des crevasses de chaque côté de la bouche qui font que si l'on ne sourit pas, on a l'air de faire une tête pas possible. Moi c'est pareil. Le bas de mon visage est le même que celui de ma grand-mère. Je ne sais pas comment elle est morte. Elle avait environ 70 ans pendant la guerre. Sa dernière adresse était a Białobrzegi dans la province de Radom. Elle a sans doute été déportée à Treblinka.

Ma mère m'a dit à plusieurs reprises, qu'elle aurait tout donné pour accompagner sa mère dans ses derniers jours et être à ses côtés au moment de sa mort. Elle disait "ma mère me chouchoutait, j’étais sa petite dernière". Plus tard en septembre 1994, ma mère est morte subitement dans mes bras le jour de Shabbat Teshouva. Je ne me consolais pas, c’était une dure épreuve. Pourtant la phrase de maman finit par me revenir à l'esprit. Je l'avais accompagnée dans ses derniers jours, je l'avais vue mourir et moi aussi j’étais la petite dernière. J'avais accompli à sa place ce dont elle avait rêvé : accompagner sa mère vers la mort.

J'avais en quelque sorte réparé cette absence qu'elle s’était toujours reprochée.



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2 commentaires:

patriarch a dit…

Je suis heureux d'avoir récupérer, à son décès, les photos de ma mère, ce qui me permet de connaitre les visages de mes 4 grands-parents et de tous les oncles et tantes (9 d'un côté,7 de l'autre) et quelques uns de mes cousins et cousines, puisque je ne les ai jamais vu....

Bon dimanche chez toi ;-)

muse a dit…

C'est drôle, tu sembles te parler, et nous alors, nous sommes des spectateurs indiscrets... Et je me mets à penser "aux anciens".