mardi 3 janvier 2012

Tout compte fait

Je suis en manque perpétuel. Le nombre de gens que j'ai aimés et qui ne sont plus augmente. Ils me manquent souvent les uns après les autres comme des mousquetaires dont les performances bien orchestrées se suivraient les unes derrière les autres sans se déranger mutuellement.

J'ai ainsi remarqué que si une personne me manquait, cela revenait en fait à passer un moment agréable avec elle, juste un petit plongeon dans les souvenirs somme toute peu intrépide. Le problème commence quand mes morts se rencontrent. Je m’explique:

Dernièrement je pensais à ma belle-mère Rosalie, qui fut pour moi une véritable mère. Elle est décédée une semaine avant hanoucca et à mon grand désarroi le jour exact de mon anniversaire hébraïque. Quelques jours plus tard, c'est le yahrzeit de ma soeur. Je me souviens avoir fait shiva pendant hanoucca et des lumières douces sur nos larmes. Je pense à ces deux femmes qui ont ourdi ma toile et je veux être heureuse car j'ai eu de la chance d'avoir à mes cotés leur intelligence et leur courage.

Mais je pensais à Jean-Claude aussi, pour qui je n’étais pas une fille mais plutôt une compagne sur un chemin difficile et très étroit où nous marchions ensemble en nous soutenant l'un l'autre et en serrant les dents, car nous le savions, notre parole partagée était une gageure, presque une illusion.

Deux ans après le début de notre correspondance j'avais, à mon grand effroi, découvert que Jean Claude se présentait aux élections européennes dans la liste Europalestine avec Dieudonné. Il ne m'avait rien dit mais savait bien que j'allai finir par le savoir; si une liste européenne pro-palestinienne devait se présenter il en ferait forcement partie. Qu'il soit sur cette liste était donc normal, mais ... "Jean Claude sur une liste avec Dieudonné?" lui écrivais-je "Il fallait bien qu'un jour la goutte d'eau fasse déborder le vase. J'ai été aveugle à ton extrémisme et ta haine." Je claquai donc la porte sur notre correspondance et notre amitié. Il me répondit "Je suis navré de ta décision et je la trouve injuste. Comment peux-tu me dire que je suis plein de haine? Quand m'as-tu vu ou lu haineux?"

Certes, parfois l'un de nous provoquait chez l'autre une colère affreuse; s'en suivait un petit mélodrame bien orchestré qui consistait à déverser sur l'autre mille reproches tout en ramenant très adroitement le dialogue sur sa trajectoire. Et pourtant, malgré cet acharnement à ne pas briser l'échange, nous n'avions aucune ambition, aucun copain ou éditeur ou politicien à impressionner.

Je n'hésitais pas à parler à ma famille de cette correspondance qui les choquait sans-doute, mais ne les étonnait pas outre mesure. Quant à Jean Claude il en parla parait-il à quelques proches. En mon for intérieur je savais bien qu'il ne pouvait pas se permettre de leur dire la vérité; je ne jouais pas le jeu, j'étais une vendue à l'impérialisme et au sionisme qu'il abhorrait. Je n'étais pas de ces israéliens qu'il aimait récupérer pour en faire des images emblématiques.

Sur ce chemin impossible, tout était difficile mais aussi tout était permis. Ne nous entendant sur rien, sauf sur la poésie, nous n'avions plus besoin de plaire, nous n'avions plus besoin des apparences. Ainsi, mises à nu, nos faiblesses, nos angoisses et nos souffrances pouvaient-elles remonter à la surface dans toute leur médiocrité et laideur sans avoir quoi que ce soit à craindre. Malgré ou à cause de nos différences insurmontables, nous étions incapables de nous discréditer l'un l'autre à un niveau personnel. Nous devînmes de véritables amis.

Tout compte fait, je ne sais ce qui est le plus dur, sa disparition ou le fait que je ne puisse pas partager ma peine avec ses amis et sa famille. Moi qui m'étais bien gardée de traiter Jean Claude comme un substitut de père (il avait pourtant 27 ans de plus que moi), après sa mort je me retrouve orpheline. Non pas de lui mais de la mémoire. En un instant, l'instant de sa mort, la mémoire de ce que je fus pour lui a disparu dans le silence. Ce silence de la mer, qu'il se reprocha jusqu'au bout de n'avoir su garder.

Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2007-2012

3 commentaires:

patriarch a dit…

C'est une souffrance qu'il va te falloir supporter..

Ma femme vient de perdre sa meilleure amie le 30 décembre.

Amicalement.

Anonyme a dit…

L'as tu un jour rencontre face a face ou es-ce reste virtuel?

Nathalie Klein a dit…

JC venait regulierement en Israel pour superviser des projets caritatifs dans l'autorite palestienne. Notre point de rencontre etait tout naturellement a Jerusalem. A cela s'ajoutaient mes visites a Paris qui n'etaient pas frequentes sauf pendant l'annee 2006.