mercredi 15 février 2012

Preuilly sur Cher - M. et Me Picaton


Monsieur et madame Picaton n'avaient pas eu d'enfants. Ils avaient deux neveux qui venaient leur rendre visite à Preuilly sur Cher où ils habitaient. J'aurais voulu savoir aujourd'hui qu'elle était leur histoire, mais j'en sais bien peu. Je me contenterai de retracer quelques brides d'informations recueillies ici et là.

Un jour, quand j'avais 12 ans et un appareil photo, j'ai traversé le jardin de notre maison à Preuilly. Il ne s'agissait pas d'un dossier à rendre pour l’école ou d'accomplir un projet pour un atelier de photographie. Je m’étais tout simplement mis dans la tête de rentrer dans le monde de nos voisins, M. et Me Picaton, juste pour quelques heures. J'ai pris quelques photos et j'ai parlé avec eux. Pratiquement tout ce que je sais d'eux, je le sais de cette journée-là en 1968.

M. Picaton n’était pas du genre bavard. Vétéran de la Grande Guerre, une fois par an il se présentait sur la place de la mairie qui se trouvait en face de la maison, de l'autre coté de la rue, et il brandissait un drapeau. Il ne disait rien et on ne savait pas si c’était parce qu'il n’était pas commode ou si c’était parce qu'il avait déjà tout dit de ce qu'il y avait à dire. Ce jour-là je le photographiais debout contre le puits qui se trouvait en bas de leur maison. On notera le saut placé sur sa droite, attaché par une chaîne. A cette époque en 68, nous allions encore tirer l'eau du puits. Les Picatons vivaient toute l’année sans eau courante et nous, seulement pendant les week-ends et les vacances.

Je pénétrais pour la première fois dans leur maison, mais ne m’avançais pas plus d'un mètre. Bien que nous soyons au milieu de la journée il y faisait très sombre, les odeurs étaient acres et fortes, lourdes d’humidité. Dans l’entrée,se tenait une grande horloge dont je fixais le pendule avec fascination. M. Picaton me parlait de sa voix bourrue, c’était des mots précieux dont je ne me souviens plus. Me Picaton s'affairait avec son tablier gris et ses cheveux gris aussi, ramassés en chignon.

Me Picaton me fit faire le tour de leur petite ferme dans laquelle je ne m’étais jamais aventurée: les lapins et les poules de toutes sortes, les poussins intrépides éparpillés dans la cour, le coq arrogant comme dans une illustration de livre d'enfant. Elle m'expliqua comment elle nourrissait sa volaille et me montra fièrement les œufs pondus le jour-même.

Durant cette visite, Me Picaton me raconta qu'elle avait grandi à Preuilly et que dès l'âge de 7 ans on l'avait mise au travail au moulin (sur le Cher en aval du pont). Elle me dit qu'elle était bien contente à l’époque des 5 sous qu'elle gagnait et n'avait jamais pensé durant sa jeunesse à se plaindre de quoi que ce soit.

J'ai pris une photo de Me Picaton où elle sourit largement, toute échevelée encore d'avoir couru après un lapin qui lui avait glissé des mains. Elle m'a prise en photo également: ma robe très courte en coton turquoise tranche sur ma peau bronzée. Je tiens une grosse poule dans mes bras qui essaie évidemment de s’échapper et je rie à pleines dents.

J'ai égaré ces deux photographies.


Copyright & copy - Nathalie R. Klein © 2007-2012

1 commentaire:

Benj a dit…

Extarordinare!!! Encore!