jeudi 23 février 2012

Preuilly sur Cher - M. et Me Pietnu


A Preuilly, nous achetions nos fruits et légumes chez M. et Me Pietnu. Maman attrapait ses paniers avec engouement et nous partions ensemble vers cette expédition qui ne réservait que de bonnes surprises. Maman était bien gaie et ses pas bien légers, son sourire plus éclatant que jamais. Je l'observais avec béatitude et enthousiasme. Quand maman affichait une telle allégresse il ne fallait surtout pas la contrarier, il fallait tomber en extase et l'accompagner dans sa bonne humeur.

Il faut dire que maman, de façon générale, affichait une grande sérénité dès son arrivée à la maison de campagne. Car Preuilly n’était pas juste un village au bord du Cher, au fin fond du Berry où les habitants parlaient encore le Berrichon. Non, Preuilly c’était une planète, la seule planète de l'univers où chacun des membres de ma famille avait le droit inaliénable et permanent de rechercher et d'exercer son bonheur et sa liberté.

Pour aller chez M. et Me Pietnu il y avait deux chemins, celui par la route de Quincy qui nous faisait traverser le centre du village et le raccourci. Pour le premier, nous coupions par la place de la mairie, passions devant la boulangerie et devant l’épicerie de M et Me Sorbe. Plus bas sur la gauche se trouvait la route où habitaient M. et Me Pietnu. Ce chemin était long, non pas à cause de la distance, mais des gens que l'on rencontrait sur la place de la mairie, devant la boulangère et devant chez Sorbe. Parfois le camion du boucher était stationné devant l’épicerie et alors il fallait bien compter encore quatre personnes avec qui bavarder.

Il était donc beaucoup plus rapide de prendre le raccourci. Pour cela il fallait se diriger tout droit vers le cimetière et bifurquer juste avant l’entrée sur la droite. Le petit chemin, très étroit où seule une personne pouvait s'aventurer, était ravagé par les herbes folles à hauteur d'enfant, jaillissant parmi les pâquerettes, les coquelicots et les fleurs de pissenlit.

En sortant du sentier sauvage, une fois sur la route, il suffisait de quelques pas pour entrer dans la cour de M. et Me Pietnu. Le couple possédait un grand jardin potager et un verger. J'ai malheureusement oublié le prénom de M. Pietnu, mais pour la démonstration nous l'appellerons "Marcel". L’opération était divisée en deux temps. Dans un premier temps, maman énumérait pour Me Pietnu la liste de ses achats. Celle-ci criait alors:

- Marcel!!!, Madame Wajzer voudrait des pommes de terre!
- Combien? J'y mets deux kilos? répondait M. Pietnu du fond du jardin.
- Y vous mets deux kilos. Ça vous ira ben?
- Oui deux kilos , disait ma mère.
- Marcel!!! Madame Wajzer, elle veut des carottes. Et des haricots verts. Marcel!!! On a ti des haricots verts?
- Oh mais j'arrache les pommes de terre! Les haricots on verra après, s'exclama M. Pietnu.
- Vous voulez quoi d'autre Me Wajzer? Ah des betteraves, mais ma petite dame, des betteraves çà on en a pas. On en avait mais on en a plus.

Ainsi maman et Me Pietnu continuaient t'elles leur double énumération à l'encontre du jardinier qui, coiffé de son grand chapeau, sautait d'un pied léger entre les carrés de légumes. Pendant cette partie du rituel, il ne fallait surtout pas dire à Me. Pietnu:
- Je voudrais des cerises.
- Mais enfin, vous voyez pas qu'il est au potager, mon pauvre homme, qu'est ce qu'on va pas lui demander? Les cerises c'est à la fin. On peut pas faire tout à la fois. Hein Marcel!!! On peut pas faire tout à la fois?

- Des fraises... Maman, des fraises.
- Me Pietnu des fraises aussi, mettez-y bien 2 kilos.
- Mais l'est ou donc? Marcel!!! Des fraises!
- Combien d'haricots verts qu'elle veut? Les fraises c'est de l'autre côté, c'est après. Des fraises ... Des fraises ... Quand j'aurai fini, les fraises ... Vous voulez pas des melons?
- Me Wajzer ça vous dit des melons?
- Maman, des fraises!
- Je sais pas pour les haricots. Un kilo peut-être.
- Un kilo, Marcel!!!
- C'est rien un kilo. Pourquoi un kilo?
- Mais un kilo d'haricots! Marcel, t'es bouché ou quoi?
- Maman, les fraises??
- Les fraises, c'est après, ma mignonne. Elle est mignonne hein? Toute frisée.
- Mais maman, c'est pas après, c'est avant.
- Non, les fraises, c'est après ma chérie.
- C'est avant les cerises, je te dis ...



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5 commentaires:

Benj a dit…

Incroyable comme les situations se revivent de génération en génération. J’ai une expérience similaire, sauf qu'il n'y avait plus Mr. Pietnu, qui a du mourir dans le courant des années 70. Madame Pietnu m'aimait bien vu que j'étais le tout dernier de la famille Wajzer/Herzberg, avec des cheveux tous blond, et sans aucuns doutes plus mignon tout plein que maintenant. Elle avait un grand sourire et ca faisait plaisir à voir. J'allais avec ma maman, ta sœur, chercher des légumes, à pied ou a vélo, mais seulement par la route car il n'y avait plus le raccourci à cause des constructions qu'il y avait eu depuis. En puis je me souviens, j'avais je crois 11 ou 12 ans, donc en 1981/1982, une fois on est venu à Preuilly comme tous les étés, et la première chose que j'ai faite après avoir posé les valises, c'est de prendre mon velo, pour aller dire bonjour à Madame Pietnu. Mais il n'y avait plus personne. L’endroir était vide et silencieux, le jardin en désordre. J’ai appris par l’épicière Madame Sorbe qu’elle était morte quelques mois plus tôt. Jusqu'a encore aujourd'hui, je jure ne peux pas attraper une laitue sur un rayonnage ou mettre des pommes de terre dans mon cabas sans sentir en mémoire l'odeur de la terre fraiche sur les légumes sortant de son jardin potager, ni sans revoir l’appentis, sorte de grange ouverte, sous lequel elle pesait les légumes dans une grande balance en fer avec des gros poids en fonte, et ou les rayons du soleil filtraient au travers les fentes du toit et la poussière sur la grande table en bois et la terre battue.

patriarch a dit…

Nous avions notre petit jardin, et les fruits, nous allions les chercher chez les frères à maman..Une petite expédition aussi.

Belle journée.

Anonyme a dit…

J'adore, tu as le talent de faire vivre ton enfance...heure-bleue

Bonheur du Jour a dit…

Voilà un texte très vivant ! On sourit puis on devient un peu nostalgique : cette France-là n'a-t-elle pas totalement disparu ?
A bientôt pour la suite.
Bonne journée.

Ruth a dit…

Incroyable la mémoire que vous avez.
J'ai peu de souvenir mais une émotion intense à les évoquer. Pour moi, c'était le potager, mais aussi les glaïeuls et autres fleurs de son jardin qu'elle vendait aussi. Je ne me souviens pas de l'appentis ni de la balance... pas meme de son mari alors que j'ai dû le connaitre... je me souviens d'avoir a attendre qu'elle cueille et ramasse chaque chose achetée... et l'odeur et le goût des haricots verts frais... peut être que ça vient de là mon plaisir de les manger crus ! Ruth