mardi 20 novembre 2012

Fermeture des guichets


En décembre 2007 j'ai ouvert ce blog, "La fin de la poésie", et je le ferme aujourd'hui. " La fin de la poésie" avait succédé au blog "Orange pressée". Après ces 2 blogs et aussi un blog poésie "La hanche d'Antonio" ainsi qu'un roman blog "Anna R. Licht",  je vais me diriger vers d'autres projets d’écriture, mais peut-être pas tout de suite. Merci à mes lecteurs et à bientôt.


 

lundi 15 octobre 2012

Le Cher: la rive droite vers l'amont


On ne voyait pas les mêmes choses sur la rive droite du Cher que sur la rive gauche. Il était possible d'y parvenir par deux moyens: soit en nageant de la plage de Preuilly vers le plongeoir, soit en traversant le pont à pied ou en vélo et en rejoignant la rive.

J'avais appris à nager l’été 1961 au Cap ferré. C'est ma sœur Geneviève qui s’était chargée de me donner des leçons au milieu des vagues plutôt agitées de l'Atlantique. Je me souviens clairement de ce moment l'eau m'a portée et où soudain tout devenait possible. Pour les enfants à Preuilly,  l’épreuve de passage consistait à  traverser le Cher entre la plage et le plongeoir. J'ai bien du mal à estimer la distance que représentait ce parcours. Elle était immense quand j'avais 5 ans, puis se raccourcit au fil des années. De nouveau, le jour ou je traversai la largeur du Cher avec ma sœur à mes côtés (fut-elle jamais ailleurs?), un sentiment d'accomplissement véritable me remplit. 

J'ai engrangé un souvenir très fort concernant cet endroit, juste devant le plongeoir. Je ne sais pas s'il s'agit d'un vrai souvenir ou s'il s'agit d'un rêve. Je me souviens de troncs d'arbres descendant la rivière et moi, petite, totalement effarée par leur soudaine apparence. J'arrive à ressentir sur ma peau, encore aujourd'hui, la texture du tronc qui me frôlait et cette sensation brutale et effrayante d'avoir perdu de vue, qui d'autre? ma sœur bien entendu. Elle n’était plus là et cette histoire me concernait moi seule. Plus j'y pense plus je  crois que c’était un rêve - mais mon frère à qui j'en parlai un jour me dit qu'à cette époque il arrivait effectivement que des troncs flottent sur l'eau.

Une fois arrivée au plongeoir, les possibilités étaient nombreuses. S’asseoir en bas du plongeoir et s'amuser avec les autres enfants, sauter, plonger ou se promener dans les bois.Il faut dire qu'à cette époque, quand j’étais enfant, sur la rive droite en amont, il y avait des bois. Ma memoire est un peu floue au sujet de la carrière. Pour moi, elle avait été là depuis toujours et je ne sais pas quand on commença à extraire les sables ou la terre de la rivière. Je sais que lorsque j'avais 4-5 ans et que je me promenais encore avec une adulte, soit ma mère ou ma sœur - soyons honnête, c’était plutôt ma sœur - la carrière se tenait déjà au bout de la ballade, de l'autre côté des bois. J'ai ensuite ce souvenir de grands troncs (tiens donc) que l'on commençait à trouver allongés dans les bois. Je pouvais m'amuser pendant des heures à courir dessus.

Lorsque je grandis je fis des poussées vers la carrière et bien au delà. J'y allais seule mais je n’étais pas à l'aise comme je l’étais sur l'autre rive, là ou je pouvais suivre des yeux le bateau de mon père. Sur la rive droite j'étais loin de l'eau, seule en mouvement dans la nature.C'est pendant ces promenades solitaires, en longeant la carrière blanche et mystérieuse, que je me découvris des pincements de cœur, des maux de cœur et des envies soudaines d’être moins seule. J'imaginais cet endroit maléfique qui sondait le Cher tel une énorme sangsue, habité par des hommes habillés de gris, silencieux et consciencieux. Je ne vis jamais personne à la carrière, pas-même une silhouette.

C'est sur la rive droite, prés du plongeon qu'un jour, à l'âge de 7 ans, je tombai par terre, comme cela m’était arrivé des dizaines ou même des centaines de fois à la campagne. En me relevant,  ma cuisse droite s’érafla sur un fil barbelé bien rouillé qui gisait sur le sol. Je ne saurais dire qu'elle était la longueur de la plaie ce jour-là. Ma sœur Geneviève, éternellement présente, s'empressa de m'emmener chez une amie qui habitait non loin de la rivière. On inonda tout çà d'alcool et voilà l'affaire reglée! J’aimais bien quand ma sœur s'occupait de moi. C'est pour cela que cette aventure du fil barbelé est pour moi un bon souvenir. Et puis si je me perds, maintenant vous savez comment m'identifier; aujourd'hui la cicatrice fait tout de même 18 centimètres de long.



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mercredi 12 septembre 2012

Shana Tova! Bonne annee 5773!

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lundi 6 août 2012

Le Cher: la rive gauche vers l'aval


Souvent je me promenais seule à l'amont du Cher. Cet endroit m’était familier; l'endroit où mon père amarrait son bateau était en quelque sorte une de mes adresses personnelles. Quand mon père est mort, je ne saisissais pas vraiment l'ampleur de cette disparition. Je pleurais à peine. Seule l’idée de son bateau qui l'attendait sur la rive et attendait et attendait sans savoir que son maitre ne reviendrait plus, seule cette idée m’était insupportable. Tout le long de ma vie, je me suis imaginée certains soirs endormie dans le bateau de mon père, naviguant doucement, sans savoir quel était mon but.

Encore des paroles pour éviter de parler de l'aval.  L'aval de la rivière était à son amont ce que l’hémisphère droit est à l’hémisphère gauche du cerveau. Nous y allions moins souvent, même rarement. Nous n'y allions jamais, au grand jamais, seule. Ce qu'on avait à y faire n’était pas clair. Au début de mon existence je me suis laissée d'abord entrainée par les enfants plus grands. Ils nous montraient le chemin qui était pourtant simple puisqu'il s'agissait évidemment de longer la rive du Cher.

A partir du pont,  le Cher perdait de sa profondeur.  Les bateaux de pécheurs ne pouvaient donc pas s'y engager. Plus tumultueux, avec des rochers et des herbes partout, le courant bouillonnait dans sa descente. Mon père tentait parfois sa chance sous le pont avec un lancé. Il portait alors ses bottes de pêche dans lesquelles il avait très belle allure. Mais la promenade n'avait pas cette fois-ci pour but de retrouver mon père. Parfois, il est vrai, alors que nous nous engagions dans le chemin sinueux et souvent ombragé qui longeait la rive, la silhouette de mon père se profilait un instant. Mais j'allais de l'avant, avec les autres, obéissante, soudain timide et nerveuse.

L'ancien moulin se tenait sur le bord de l'eau. Détruit pratiquement en son entier. Entouré de fils barbelés, il semblait inaccessible. Pas une seule fois je ne m'aventurais aux abords des murs en ruine. Tous, nous passions notre chemin, en groupe de 3 ou 4. Personne ne s’arrêtait au niveau du moulin. Bien au contraire, nous accélérions en baissant la tête, l'air très préoccupés par les orties ou les branches mortes. Plus tard, juchés sur les petites iles au centre de la rivière nous frottions les fleurs de savon entre nos doigts et nous nous lavions en riant, comme si ce scenario qui consistait en feindre de se laver dans sa baignoire avait été le but de la promenade.

Au retour, trempés jusqu'aux os, nous n'avions évidemment pas emmené de serviettes, nous jetions un regard discret sur le moulin délabré. Nous échangions des regards dubitatifs. Soudain un de nous s’avançait vers les ruines, hilare, téméraire. Une autre le suivait. Debout à côté  des fils barbelés tout rouillés nous étions silencieux, à l’écoute de cette odeur qui doucement se propageait et nous enveloppait.
- Et ben çà pue, s’esclaffa Mireille le nez dans les mains.
- Moi je m'en vais, dit Françoise.

Moi je pensais aux blockhaus qui s’égrenaient sur les plages de Normandie, à leur odeur violente, parfois repoussante. Je pensais à la fascination que ces simples édifices de béton exerçaient sur moi. Mon envie de les pénétrer, puis immédiatement de m'en échapper. Je voyais les petits garçons y jouer à la guerre avec délectation,  les couples s'y éclipser quelques instants le crépuscule venu. Moi, j’avais peur de ces bâtisses toutes carrées. Elles ne m'inspiraient pas du tout confiance. A leur proximité je me sentais sans existence, sans avenir, dans une sorte de vacuum infernal où la nausée m'engouffrait.

Je regardais la marée montante et les châteaux de sable qui s’écroulaient un à un. La plage se vidait  et dans le silence, seul le fracas des flots noirs me rassurait et rythmait mes pas sur le sable. Ma mère ne portait plus ses lunettes de soleil, elle me regardait tout droit dans les yeux. Me demanderait-elle si j’avais faim, ou si j'avais froid? Si je m’étais baignée ou si j'avais joué avec d'autres enfants? Elle ne dit rien, leva légèrement son bras vers moi et je m'assis près d'elle, humant l'odeur de  la crème solaire sur sa peau. Ensemble nous regardions le dos pourpre des vagues sous le soleil couchant.

- Ou tu vas? Demanda Mireille.
- Viens, il est tard, on rentre, dis-je.



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lundi 14 mai 2012

Le Cher: la rive gauche vers l'amont


La rivière à Preuilly ne faisait pas partie de la géographie du département ou de la géologie du territoire. Le Cher était un de mes organes.

Pas un jour ne passait sans que je descende à la rivière. Je ne saurais dire quand mes escapades solitaires le long du Cher ont commencé. Quand j’étais vraiment petite à partir de l'âge de 6 ans à peu prés, nous, les enfants, nous partions en petit groupe de 3 ou 4. Nous partions à l'aventure. Nous commencions notre marche à la plage, dépassions la buvette, montions le chemin longé de quelques maisons, puis nous prenions le petit chemin qui, le long de l'eau, montait vers Saint Thorette.

C’était ce petit chemin qui menait au bateau de mon père, un bateau en aluminium peint en bleu, qui fut pour moi, toute ma vie,  l'objet d'un culte. Je crois que si mon frère ne l'avait pas donné à un quelconque pécheur après la mort de mon père, j’aurais acheté un étang pour lui donner un toit, à ce pauvre bateau perdu qui était devenu orphelin, bien trop tôt d'ailleurs, bien trop tôt.

Mais je m’égare. Nous dépassions le lieu d’amarrage du bateau. Bientôt fatigués nous nous allongions dans les champs de blé et mâchouillons des épis. Ils étaient totalement insipides, mais la tige n’était pas mauvaise. Certains parmi nous hésitaient à continuer vers Saint Thorette à 2 kilométrés de distance. Souvent, quand un troupeau de vaches se profilait à l'horizon, nous décampions à toute vitesse. Nous n’étions que des enfants, intrépides certes et très indépendants, mais des enfants tout de même. La seule qui n'avait pas peur des vaches, c’était bien entendu Mireille qui à ses heures perdues les gardait.

Avec le temps, nous avions apprivoisé la rive. Nous connaissions chaque recoin de la végétation dense et sauvage le long du cher. De plus en plus je faisais des expéditions en solo. Je m’étais désigné un but très simple: le bateau de mon père. Papa ne péchait pas toujours au même endroit selon la température. la direction du vent, ce qu'il avait observé la veille sur la rivière. Mon jeu consistait donc à retrouver le pécheur et son bateau. C’était un jeu de piste nautique sur 2 kms de rive, en général sur la rive gauche, dans la direction de Saint-Thorette.

Parfois il fallait peu d'effort pour le trouver. Il était bien en vue, sur une partie de la rive tout à fait accessible. Dans ce cas là, une fois que je l'avais repéré, debout au bord de l'eau je m'époumonais à l'appeler; quand il me voyait il me faisait des signes de la main. Et c’était fini; je pouvais revenir sur mes pas. Mon but était atteint, j'exultais de bonheur. Ces moments étaient les plus beaux de ma vie. Ils les ont toujours été.

Mais il arrivait aussi que papa place son bateau à un niveau de la rivière ou l’accès était impossible. Il fallait pour accéder au bord de la rive d’abord enjamber des fils barbelés, ce qui n’était pas toujours une mince affaire et ensuite, parcourir des terrains à végétation très dense  avec des orties, des ronces, tout cela pour se retrouver de nouveau devant des fils barbelés. Une fois, par un beau matin, ne voyant pas comment traverser de très hautes ronces,  je me dis qu'il fallait mieux, avant de m’aventurer plus avant, que j'essaie de repérer exactement le bateau.

Je grimpai donc sur un arbre mais alors que je chevauchais une branche dans le but de me mettre debout et accéder à une branche plus haute,  mes mains glissèrent soudain et je fis tout le tour de la branche pour me retrouver accrochée tel un singe la tête en bas à 5 mètres du sol. Imaginez mon embarras ... Je compris qu'il fallait surtout ne pas me fouler une cheville ou un truc de ce goût-là car on ne pourrait pas me trouver facilement. Mais j'avais des ressources et à 10 ans on est agile!! J'arrivai à reprendre appui sur cette fameuse branche qui m'avait trahie, escaladai encore une branche ou deux et là, entre deux haies,  je discernai le mouvement d'une canne à pèche que l'on venait de lancer à l'eau. Perchée dans les cimes, j'observai la scène, jusqu’à ce que le bout d'un chapeau et le reflet de ses lunettes me confirment qu'il s’agissait bien de mon père.  Je l’avais trouvé. C’était fini.

Je n'essayai pas de l'appeler car il était trop loin. En un temps trois mouvements je descendis de mon arbre, sautai sur le sol et  repris le chemin de ronces et orties mais cette fois-ci dans la volupté la plus totale et avec le sentiment d'avoir accompli ma mission. Encore un dernier fil barbelé et je rentrais à la maison ou ni les nombreuses écorchures et éraflures, ni les marques écarlates des orties, ni les petits hématomes ici et là ne soulèveraient la moindre question. Personne ne me demandait jamais rien. Tant que j'assistais aux repas, c’était tout bon. Il ne me restait plus qu'à concocter une autre balade pour l’après-midi, peut-être à l'aval du Cher, cette fois-ci.




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mardi 3 avril 2012

Preuilly sur Cher - Mireille


Nous allions à Preuilly le week-end quand il faisait beau, même l'hiver, et aussi bien entendu pendant les vacances. Preuilly qui était certes la campagne, était devenu pour nous tous non pas une résidence secondaire mais plutôt une deuxième maison. Nous y vivions une véritable existence, pas une existence parallèle. Parfois en fait, Preuilly prenait le dessus et semblait jouer le rôle de la vraie vie.

Mireille Delaporte n’était donc pas
une copine de vacances, mais plutôt une amie pour de vrai avec qui je partageais des choses vraies. Elle avait un air espiègle et une voix qui claironnait à la fin des phrases. Nous nous connaissions depuis toujours.

Un de mes premiers souvenirs concernant cette petite paysanne dont la ferme nous côtoyait, se situe quand j'ai eu la rougeole. Je me revois encore gisante dans le lit de mes parents avec la voix de maman horrifiée en bruit de fond "40 et demi, elle a 40 et demi, il faut faire quelque chose". Je me souviens distinctement que je délirais. Alors, Mireille a apparu dans la pièce. "Maman m'a dit de venir pour l'attraper". Mais personne ne faisait attention à Mireille, qui grimpa sur le lit et tout naturellement s'allongea à côté de moi. Elle riait de bon cœur.

Mireille et moi passions
beaucoup de temps dans la nature. Nous avions en gros deux lieux de prédilection, le bord du Cher et les champs à la sortie du village. Sur le Cher, les expéditions furent multiples et très différentes les unes des autres. Souvent nous nous associons à d'autres d'enfants pour partir ensemble du côté de la carrière. Nous nous évadions des heures entières, parfois toute une journée. Sinon, nous longions la rivière à l'aval du pont dans la direction de Quincy. Quand il faisait chaud nous marchions dans l'eau jusqu’à de minuscules îles où grandissaient des fleurs de savon. Je ne sais pas quel était vraiment leur nom. Nous en prenions les pétales et les frottions dans nos mains. On obtenait un liquide mêlé de petites bulles.

Mireille avaient ses tâches
à accomplir à la ferme. Elle devait, entre autre, sortir les vaches. Souvent je la rejoignais dans les champs et nous passions de bons moments à nous raconter des histoires. Elle avait un sens pratique absolument extraordinaire et cela m’était bien utile. Moi, je ne savais pas grand chose. J’étais entourée d'adultes, de servantes. Je n’étais pas bien dégourdie.

Ce qui m’étonnait chez Mireille, c’était non seulement ses ressources mais surtout son optimisme et sa bonne humeur. Je dois dire que cela m’échappait un peu. Ce bonheur de tous les instants me semblait incongru. Bien sur, dans ma famille on savait s'amuser et partir en fou rire délirant. On savait bien manger, profiter, aimer. Mes parents savaient vivre. Et pourtant le bonheur insouciant sur le visage d'un autre, m'a toujours semblé suspect.

Et puisqu’il est question de bonheur
, une de nos plus belles expéditions se cantonna au périmètre du village. Nous sommes allées cueilleur des trèfles à 4 feuilles et sommes passées chez tous les voisins pour les vendre. Chacun nous donna en échange soit une boisson, soit un fruit, un petit gâteau, un bonbon. Toutes les deux nous nous sommes juchées sur le mur prés de la place de la mairie, là où poussait un poirier, et nous avons contemplé notre butin avec délectation.

Nous avons tout mangé.
Nous avons aussi cueilli des poires qui n’étaient pas encore mures en guise de dessert. Je suis allée chercher à la maison les fraises que maman avait achetées la veille. Nous étions repues, gonflées comme des baudruches. Nous ne savions plus comment descendre du mur. Enfin, nous ne voulions plus bouger. Alors nous sommes restées là jusqu’à ce que le soir tombe et nous avons écouté la chorale des criquets, puissante sur la nuit.

- Maman doit croire que je suis chez ma sœur, dit Mireille.
- Maman doit croire que je suis chez toi, dis-je.
- Demain on ira cueillir des mures, dit Mireille.
- Et des fraises des bois. T'as mal au ventre?
- Ben oui c'teu question.

Nous commencions à fermer les yeux
, épaulées l'une contre l'autre, ses cheveux blonds filasses sur les miens noirs frisés. Sur le mur prés du poirier, nous nous sommes endormies. Nous avions environ 6 ans.



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jeudi 23 février 2012

Preuilly sur Cher - M. et Me Pietnu


A Preuilly, nous achetions nos fruits et légumes chez M. et Me Pietnu. Maman attrapait ses paniers avec engouement et nous partions ensemble vers cette expédition qui ne réservait que de bonnes surprises. Maman était bien gaie et ses pas bien légers, son sourire plus éclatant que jamais. Je l'observais avec béatitude et enthousiasme. Quand maman affichait une telle allégresse il ne fallait surtout pas la contrarier, il fallait tomber en extase et l'accompagner dans sa bonne humeur.

Il faut dire que maman, de façon générale, affichait une grande sérénité dès son arrivée à la maison de campagne. Car Preuilly n’était pas juste un village au bord du Cher, au fin fond du Berry où les habitants parlaient encore le Berrichon. Non, Preuilly c’était une planète, la seule planète de l'univers où chacun des membres de ma famille avait le droit inaliénable et permanent de rechercher et d'exercer son bonheur et sa liberté.

Pour aller chez M. et Me Pietnu il y avait deux chemins, celui par la route de Quincy qui nous faisait traverser le centre du village et le raccourci. Pour le premier, nous coupions par la place de la mairie, passions devant la boulangerie et devant l’épicerie de M et Me Sorbe. Plus bas sur la gauche se trouvait la route où habitaient M. et Me Pietnu. Ce chemin était long, non pas à cause de la distance, mais des gens que l'on rencontrait sur la place de la mairie, devant la boulangère et devant chez Sorbe. Parfois le camion du boucher était stationné devant l’épicerie et alors il fallait bien compter encore quatre personnes avec qui bavarder.

Il était donc beaucoup plus rapide de prendre le raccourci. Pour cela il fallait se diriger tout droit vers le cimetière et bifurquer juste avant l’entrée sur la droite. Le petit chemin, très étroit où seule une personne pouvait s'aventurer, était ravagé par les herbes folles à hauteur d'enfant, jaillissant parmi les pâquerettes, les coquelicots et les fleurs de pissenlit.

En sortant du sentier sauvage, une fois sur la route, il suffisait de quelques pas pour entrer dans la cour de M. et Me Pietnu. Le couple possédait un grand jardin potager et un verger. J'ai malheureusement oublié le prénom de M. Pietnu, mais pour la démonstration nous l'appellerons "Marcel". L’opération était divisée en deux temps. Dans un premier temps, maman énumérait pour Me Pietnu la liste de ses achats. Celle-ci criait alors:

- Marcel!!!, Madame Wajzer voudrait des pommes de terre!
- Combien? J'y mets deux kilos? répondait M. Pietnu du fond du jardin.
- Y vous mets deux kilos. Ça vous ira ben?
- Oui deux kilos , disait ma mère.
- Marcel!!! Madame Wajzer, elle veut des carottes. Et des haricots verts. Marcel!!! On a ti des haricots verts?
- Oh mais j'arrache les pommes de terre! Les haricots on verra après, s'exclama M. Pietnu.
- Vous voulez quoi d'autre Me Wajzer? Ah des betteraves, mais ma petite dame, des betteraves çà on en a pas. On en avait mais on en a plus.

Ainsi maman et Me Pietnu continuaient t'elles leur double énumération à l'encontre du jardinier qui, coiffé de son grand chapeau, sautait d'un pied léger entre les carrés de légumes. Pendant cette partie du rituel, il ne fallait surtout pas dire à Me. Pietnu:
- Je voudrais des cerises.
- Mais enfin, vous voyez pas qu'il est au potager, mon pauvre homme, qu'est ce qu'on va pas lui demander? Les cerises c'est à la fin. On peut pas faire tout à la fois. Hein Marcel!!! On peut pas faire tout à la fois?

- Des fraises... Maman, des fraises.
- Me Pietnu des fraises aussi, mettez-y bien 2 kilos.
- Mais l'est ou donc? Marcel!!! Des fraises!
- Combien d'haricots verts qu'elle veut? Les fraises c'est de l'autre côté, c'est après. Des fraises ... Des fraises ... Quand j'aurai fini, les fraises ... Vous voulez pas des melons?
- Me Wajzer ça vous dit des melons?
- Maman, des fraises!
- Je sais pas pour les haricots. Un kilo peut-être.
- Un kilo, Marcel!!!
- C'est rien un kilo. Pourquoi un kilo?
- Mais un kilo d'haricots! Marcel, t'es bouché ou quoi?
- Maman, les fraises??
- Les fraises, c'est après, ma mignonne. Elle est mignonne hein? Toute frisée.
- Mais maman, c'est pas après, c'est avant.
- Non, les fraises, c'est après ma chérie.
- C'est avant les cerises, je te dis ...



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mercredi 15 février 2012

Preuilly sur Cher - M. et Me Picaton


Monsieur et madame Picaton n'avaient pas eu d'enfants. Ils avaient deux neveux qui venaient leur rendre visite à Preuilly sur Cher où ils habitaient. J'aurais voulu savoir aujourd'hui qu'elle était leur histoire, mais j'en sais bien peu. Je me contenterai de retracer quelques brides d'informations recueillies ici et là.

Un jour, quand j'avais 12 ans et un appareil photo, j'ai traversé le jardin de notre maison à Preuilly. Il ne s'agissait pas d'un dossier à rendre pour l’école ou d'accomplir un projet pour un atelier de photographie. Je m’étais tout simplement mis dans la tête de rentrer dans le monde de nos voisins, M. et Me Picaton, juste pour quelques heures. J'ai pris quelques photos et j'ai parlé avec eux. Pratiquement tout ce que je sais d'eux, je le sais de cette journée-là en 1968.

M. Picaton n’était pas du genre bavard. Vétéran de la Grande Guerre, une fois par an il se présentait sur la place de la mairie qui se trouvait en face de la maison, de l'autre coté de la rue, et il brandissait un drapeau. Il ne disait rien et on ne savait pas si c’était parce qu'il n’était pas commode ou si c’était parce qu'il avait déjà tout dit de ce qu'il y avait à dire. Ce jour-là je le photographiais debout contre le puits qui se trouvait en bas de leur maison. On notera le saut placé sur sa droite, attaché par une chaîne. A cette époque en 68, nous allions encore tirer l'eau du puits. Les Picatons vivaient toute l’année sans eau courante et nous, seulement pendant les week-ends et les vacances.

Je pénétrais pour la première fois dans leur maison, mais ne m’avançais pas plus d'un mètre. Bien que nous soyons au milieu de la journée il y faisait très sombre, les odeurs étaient acres et fortes, lourdes d’humidité. Dans l’entrée,se tenait une grande horloge dont je fixais le pendule avec fascination. M. Picaton me parlait de sa voix bourrue, c’était des mots précieux dont je ne me souviens plus. Me Picaton s'affairait avec son tablier gris et ses cheveux gris aussi, ramassés en chignon.

Me Picaton me fit faire le tour de leur petite ferme dans laquelle je ne m’étais jamais aventurée: les lapins et les poules de toutes sortes, les poussins intrépides éparpillés dans la cour, le coq arrogant comme dans une illustration de livre d'enfant. Elle m'expliqua comment elle nourrissait sa volaille et me montra fièrement les œufs pondus le jour-même.

Durant cette visite, Me Picaton me raconta qu'elle avait grandi à Preuilly et que dès l'âge de 7 ans on l'avait mise au travail au moulin (sur le Cher en aval du pont). Elle me dit qu'elle était bien contente à l’époque des 5 sous qu'elle gagnait et n'avait jamais pensé durant sa jeunesse à se plaindre de quoi que ce soit.

J'ai pris une photo de Me Picaton où elle sourit largement, toute échevelée encore d'avoir couru après un lapin qui lui avait glissé des mains. Elle m'a prise en photo également: ma robe très courte en coton turquoise tranche sur ma peau bronzée. Je tiens une grosse poule dans mes bras qui essaie évidemment de s’échapper et je rie à pleines dents.

J'ai égaré ces deux photographies.


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samedi 4 février 2012

Avertissement

Telle une bête de retour à l’étable après une longue journée aux pâturages, je retourne à ce blog par habitude pour y faire le tour de mes souvenirs et me vautrer dans la tristesse et l'absence comme si seule l’écriture m'acceptait ainsi, solitaire et mélancolique devant le manque.

Le problème avec les gens qui ont déterminé le cours de notre vie ou changé notre vie, c'est que leur disparition porte un coup fatal à la forme de notre propre existence. Je lance donc ici un avertissement:

Bonnes gens, cessez d'aimer! Ne prenez pas le risque de tout perdre en un instant. Restez chez vous. Ne communiquez plus avec personne. Contentez-vous de votre petite vie bien organisée et rythmée, ne cherchez pas les émotions, les gens intéressants, les idées nouvelles. Contentez-vous de ce que vous avez appris dans votre jeunesse; c'est largement suffisant.

Bonnes gens, soyez prudent! Une personne tout à fait anodine, n'inspirant aucune méfiance peut graduellement prendre une place importante dans votre tête et votre coeur et devenir une part de vous. Surtout, après un certain âge, ne vous faites pas de nouveaux amis. C'est superflu et presque provocateur.

De toute façon il vaut mieux s’éloigner de toute personne de plus de 60 ans. Ces gens-là prétendent avoir quelque chose à vous offrir, leur expérience, leur sagesse, mais en fin de compte, une fois qu'ils vous ont amadoué, ils se défilent et vous laissent en plan pour des prétextes futiles genre un cancer ou un arrêt cardiovasculaire.

A tous ceux qui m'ont fait faux bond je déclare: Vous n'auriez pas du vous permettre de tisser la toile de mon existence. Qui donc vous aura donné le droit sur mon bonheur? Qui donc vous aura embrigadé dans l’armée pour mon salut? Et qui vous a autorisé à me dire "au revoir ma chérie", "Comme tu es belle mon trésor" et pour couronner le tout "Nathalie, je t'adore"? C'est indécent de s'adresser aux gens comme çà quand on sait pertinemment qu'on a toutes les chances de s'en aller avant eux.

Vous auriez du être comme les bonnes qui venaient et qui partaient comme des courants d'air, vous auriez du être des gens qui vivaient prés de moi avec indifférence et légèreté. Oui, je vous reproche de m'avoir aimée car je suis capable de mettre votre absence derrière moi mais je ne peux pas oublier l'amour que vous m'avez porté.




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lundi 30 janvier 2012

Auto-stoppeuse

Il m'était arrivé durant mon enfance de prendre des trains de nuit, surtout pour des colonies de vacances. Nous dormions sur une couchette rudimentaire et le broiement régulier des roues nous berçait énergiquement vers des lieux de villégiatures plus ou moins féeriques. Pourtant cette nuit là, entre le 31 août et le 1er septembre 1976 je passais la nuit dans un train, debout dans les couloirs, sans couchette et sans place assise. Ma grande soeur se tenait le dos contre la paroi métallique du wagon, ses yeux de charbon sur les miens, la main sur la poignée de sa petite valise. C'était une bien vilaine nuit que cette nuit-là.

Un mois plus tôt, j'avais fait le projet de partir en Grèce en auto-stop. Mon compagnon de route était un baroudeur quasiment professionnel, potier, orfèvre et philosophe, un produit exemplaire du début des années 70. C'est avec lui et sa jeune soeur que nous entamâmes le trajet à partir de Châteauroux. le premier obstacle de ce voyage consista à traverser l'autoroute au niveau d'Aix en Provence car pour des raisons qui m'échappent totalement notre conducteur du moment avait décidé de nous laisser en plan au bord de l'autoroute.

A Aix en Provence je rejoignis Laure qui avait été mon amie au lycée, tandis que mon compagnon de route partait chez des amis à l'autre bout de la ville. Sa jeune soeur avait décidé de continuer le voyage seule vers le sud. Cette nuit-là je rêvais mais plus tard ne me souvenais plus de rien, sauf de quelques mots qui parlaient d'une insolation et m'avertissaient d'un drame imminent. Mon père étant malade depuis 1973, je pensais immédiatement à lui. Le lendemain matin, agitée et comme fiévreuse, je parlais à mon amie de mon rêve. Mes parents passaient leur vacances en Camargue. Brusquement je pris la décision de les rejoindre et de laisser tomber mon voyage en stop. Un sentiment d'urgence me remplissait. Il me semblait que je n'avais pas une seule minute à perdre ...

En quelques instants je me préparai et courus au rendez-vous avec mon compagnon de route. Je lui racontai un bobard, j'avais reçu un coup de fil concernant mon père et je devais annuler mon voyage. Je me précipitai vers la gare et pris le premier autocar pour Nîmes. A Nîmes force me fut-il de constater que mon seul recours pour arriver à ma destination était ... l'auto-stop. Mais cette fois-ci sans chaperon. Je montais dans les voitures les unes après les autres, consciente du risque que je prenais, muée par la nécessité de revoir immédiatement mes parents.

Surpris de me voir, mes parents se réjouirent bien évidemment de ma présence. Il m'offrirent un lit, des repas, de l'amour. Je restais avec eux 3 semaines ne sachant pas pourquoi j'avais eu tant besoin d'être près d'eux, n'ayant constaté aucune insolation et ne comprenant pas pourquoi cette voix m'avait poursuivie depuis Aix en Provence à Nîmes et de Nîmes jusqu'en Camargue en murmurant dans mon dos "dépêche -toi, dépêche-toi, mais dépêche-toi".

Nos vacances s’achevèrent le 30 août 1976 et nous primes la route pour Châteauroux. Le lendemain matin je devais prendre le train pour Paris et ensuite aller en Israël. Ma mère me prit par le bras pour faire quelques achats en vue de ce voyage. Elle me choisit une jupe en jean avec une fermeture éclair sur tout le devant et des sandales. De retour à l'atelier, elle s'assit dans son bureau et moi en face d'elle. Elle téléphona à son oculiste. Elle se plaignit de sa vue qui avait subitement baissé. Il lui donna rendez-vous pour le lendemain.

Le soir-même, ma mère fit une grave hémiplégie. Elle avait débarrassé un peu de vaisselle et c'est sur le carrelage de la cuisine qu'elle s'est écroulée. Quand à moi je roulais à cette heure dans mon train vers Paris. Quand j'arrivai chez ma grande soeur à Saint-Mandé, elle était au téléphone: on venait d'emmener maman aux urgences. Ma soeur et moi primes le premier train pour Châteauroux. C'était un train de nuit bourré à craquer car il continuait vers l'Espagne. Nous étions debout toutes les deux; elle avait un peu plus de 40 ans et moi pas même 20 ans. Ce sont des moments où la souffrance n'existe pas. On écoute les roues, on écoute les roues du train, on écoute seulement les roues du train.



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mercredi 11 janvier 2012

Départs


"Je ne veux plus raconter" dit-elle. "Tout çà me fatigue énormément tu sais". A qui parle t'elle? On ne sait pas. Il semble qu'elle prépare une introduction pour dire quelque chose. Ah, si elle parle encore de son médecin, ce sale type, je me barre, dit-il. Qui est-il? On ne sait pas non plus. Les protagonistes de ce billet ont choisi de rester anonymes. L’une ne veut plus parler, l'autre ne veut plus entendre.

En fin de compte elle s'est décidée à parler de quelqu'un d'autre que Jean Claude parce qu'elle se rend bien compte que tout le monde s'en fout de cet homme là, sauf ceux qui étaient proches de lui et ceux-là justement ne savent même pas qu'elle existe.

Elle va parler de cette magnifique journée estivale qui commença aux "Roches Noires" à Trouville, pour se terminer dans un avion qui la ramenait en Israël. Ce matin-là , sa sœur qui était très diminuée par sa maladie s’était mis dans la tête de marcher pratiquement jusqu'au bout des planches, chose qu'elle n'avait pas faite durant la dizaine de jours qu'elles venaient de passer ensemble. Elles avaient certes marché quelques mètres sur les planches mais n’étaient pas allées plus loin que les courts de tennis. Tout à coup, le jour du départ de sa petite sœur, elle avait décidé d'aller en ville car elle disait vouloir donner des colliers à réparer chez le bijoutier ...

Elles marchèrent tranquillement et pendant longtemps jusqu’à la bijouterie dont il était question. Arrivée là-bas, épuisée, elle s'assit et donna ses colliers à la gérante qui la reconnue et lui apporta un verre d'eau. Puis elle dit à sa jeune sœur " j'aurais voulu t'acheter quelque chose". C’était bien cela, elle avait préparé d'avance cette expédition, depuis plusieurs jours sans doute.

La petite sœur, presque quinquagénaire mais reléguée à jamais dans la catégorie des juniors, choisit des boucles d'oreilles en perles et nacres blanches et vertes. Sa sœur aînée avait les mêmes en violet qu'elle avait achetées dans ce même magasin à une époque belle et vibrante, celle où elle pouvait gambader de ses fières et robustes jambes partout où bon lui semblait, dans les marchés qu'elle aimait tant, le long de la mer, sur les grands boulevards de Paris, dans les allées du bois de Vincennes.

A l’époque elle ne savait pas
combien d’années encore sa sœur survivrait, mais elle savait qu'un jour elle prendrait l'avion comme ce jour-là et ne reviendrait plus que pour un accompagnement dernier. Ces jours de départ étaient à vrai dire une véritable torture, incandescents de peine et embués de larmes, des jours sans cœur. Elle savait aussi que ces boucles d'oreilles seraient là, toujours, tous les jours, pour lui rappeler cet instant, le 15 août 2004, à Trouville sur Mer.

Le même jour, elle roulait dans le train qui l'emmenait de Trouville à Paris. Les genoux sous le menton, la joue contre la vitre, elle avait peur, peur d’être abandonnée par cette personne qui ressemblait quand même beaucoup à une maman mais qui n'en était pas une. Peur parce qu'il lui fallait partir et la laisser derrière elle. Le train arrivait à la gare Saint Lazare. Son visage était sec, ses cheveux en désordre, ses mâchoires serrées. Heureusement qu'à la sortie il l'attendait et lui arracha sa valise des mains.

On aurait dit que toute sa vie il avait manié les bagages. Illico presto ils circulaient en plein Paris et se garaient place de la Madeleine. Ils s’assirent dans un café, l'un à côté de l'autre. Elle lui tira un long monologue sur la maladie de sa sœur. Il écouta longtemps. Il la regardait à peine, les yeux fixés sur l'avenue déserte. Parfois il déplaçait ses épaules, tournait son torse vers elle et posait son regard bienveillant sur elle, comme pour lui confirmer qu'il était là, irrémédiablement là. De temps en temps il disait "je sais bien".

Oui, il voyait bien que çà n'allait pas très fort. Elle ne lui dit pas que dans son sac se trouvait la paire de boucles d'oreilles. Elle ne lui dit pas qu'elle était effrayée comme un oiseau blessé dans la nuit. Elle n'avait pas besoin de le lui dire; il le savait. Ils gardaient ensemble le silence en buvant une tasse de café, puis une autre, puis encore une autre. Il dit subitement qu'il faisait des travaux quelque part, elle a oublié ce qu'il avait dit. Était-ce en Bretagne ou chez lui à Paris? Il lui montra ses mains qui étaient sèches et blanchies par le plâtre. Alors cela devait être à Paris.

L'heure approchait. Elle devait prendre le bus, place de l’Opéra, pour l’aéroport de Roissy. Ils attendirent un bon moment sur le trottoir. Soudain ils parlaient énormément, avec animation, jubilation, presque confusion. Ils parlaient en même temps de tout ce qui leur passait par la tête. Elle se dit qu'elle avait bu trop de café place de la Madeleine.

Plus tard dans le bus elle déposa son bagage et resta debout près de la porte. Lui, demeurait sur le trottoir, l'air décontenancé, les mains dans les poches. Puis, il leva la tête et la regarda fixement de ses yeux bleu opaque où aucune lumière ne jaillissait et aucun reflet ne luisait. C'est 40 secondes plus tard, en baissant les yeux, qu'elle remarqua les traces blanches sur la poignée de sa valise.



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mardi 3 janvier 2012

Tout compte fait

Je suis en manque perpétuel. Le nombre de gens que j'ai aimés et qui ne sont plus augmente. Ils me manquent souvent les uns après les autres comme des mousquetaires dont les performances bien orchestrées se suivraient les unes derrière les autres sans se déranger mutuellement.

J'ai ainsi remarqué que si une personne me manquait, cela revenait en fait à passer un moment agréable avec elle, juste un petit plongeon dans les souvenirs somme toute peu intrépide. Le problème commence quand mes morts se rencontrent. Je m’explique:

Dernièrement je pensais à ma belle-mère Rosalie, qui fut pour moi une véritable mère. Elle est décédée une semaine avant hanoucca et à mon grand désarroi le jour exact de mon anniversaire hébraïque. Quelques jours plus tard, c'est le yahrzeit de ma soeur. Je me souviens avoir fait shiva pendant hanoucca et des lumières douces sur nos larmes. Je pense à ces deux femmes qui ont ourdi ma toile et je veux être heureuse car j'ai eu de la chance d'avoir à mes cotés leur intelligence et leur courage.

Mais je pensais à Jean-Claude aussi, pour qui je n’étais pas une fille mais plutôt une compagne sur un chemin difficile et très étroit où nous marchions ensemble en nous soutenant l'un l'autre et en serrant les dents, car nous le savions, notre parole partagée était une gageure, presque une illusion.

Deux ans après le début de notre correspondance j'avais, à mon grand effroi, découvert que Jean Claude se présentait aux élections européennes dans la liste Europalestine avec Dieudonné. Il ne m'avait rien dit mais savait bien que j'allai finir par le savoir; si une liste européenne pro-palestinienne devait se présenter il en ferait forcement partie. Qu'il soit sur cette liste était donc normal, mais ... "Jean Claude sur une liste avec Dieudonné?" lui écrivais-je "Il fallait bien qu'un jour la goutte d'eau fasse déborder le vase. J'ai été aveugle à ton extrémisme et ta haine." Je claquai donc la porte sur notre correspondance et notre amitié. Il me répondit "Je suis navré de ta décision et je la trouve injuste. Comment peux-tu me dire que je suis plein de haine? Quand m'as-tu vu ou lu haineux?"

Certes, parfois l'un de nous provoquait chez l'autre une colère affreuse; s'en suivait un petit mélodrame bien orchestré qui consistait à déverser sur l'autre mille reproches tout en ramenant très adroitement le dialogue sur sa trajectoire. Et pourtant, malgré cet acharnement à ne pas briser l'échange, nous n'avions aucune ambition, aucun copain ou éditeur ou politicien à impressionner.

Je n'hésitais pas à parler à ma famille de cette correspondance qui les choquait sans-doute, mais ne les étonnait pas outre mesure. Quant à Jean Claude il en parla parait-il à quelques proches. En mon for intérieur je savais bien qu'il ne pouvait pas se permettre de leur dire la vérité; je ne jouais pas le jeu, j'étais une vendue à l'impérialisme et au sionisme qu'il abhorrait. Je n'étais pas de ces israéliens qu'il aimait récupérer pour en faire des images emblématiques.

Sur ce chemin impossible, tout était difficile mais aussi tout était permis. Ne nous entendant sur rien, sauf sur la poésie, nous n'avions plus besoin de plaire, nous n'avions plus besoin des apparences. Ainsi, mises à nu, nos faiblesses, nos angoisses et nos souffrances pouvaient-elles remonter à la surface dans toute leur médiocrité et laideur sans avoir quoi que ce soit à craindre. Malgré ou à cause de nos différences insurmontables, nous étions incapables de nous discréditer l'un l'autre à un niveau personnel. Nous devînmes de véritables amis.

Tout compte fait, je ne sais ce qui est le plus dur, sa disparition ou le fait que je ne puisse pas partager ma peine avec ses amis et sa famille. Moi qui m'étais bien gardée de traiter Jean Claude comme un substitut de père (il avait pourtant 27 ans de plus que moi), après sa mort je me retrouve orpheline. Non pas de lui mais de la mémoire. En un instant, l'instant de sa mort, la mémoire de ce que je fus pour lui a disparu dans le silence. Ce silence de la mer, qu'il se reprocha jusqu'au bout de n'avoir su garder.

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lundi 19 décembre 2011

Rien que le soleil qui poudroie

J'ai deux sœurs. La première est ma grande sœur et la deuxième, ma petite sœur. Ma petite sœur a huit ans de plus que moi, mais je l'appelle ma petite sœur quand même parce qu'elle est beaucoup plus petite que ma grande sœur.

Quand tu es morte, ma grande sœur, je me suis dit que cela ne pouvait pas être plus terrible que d'avoir perdu maman et papa. Après tout, de 20 ans mon ainée, hein, c’était encore une mère que je perdais. J'allai faire mon deuil comme avec mes parents et puis voilà. Et bien justement, non. Perdre une sœur ce n'est pas perdre un parent. C'est perdre un peu de soi-même à jamais, c'est un deuil qui ne veut pas mourir.

J'ai grandi avec ma petite sœur. J'ai dormi avec elle, j'ai plein de souvenirs de choses partagées avec elle; je la suis partout comme un petit mouton suit sa bergère, je l'accompagne à ses cours de piano, je suis son ombre, son souffle. Je ne la vois même pas, parce qu'entre elle et moi il n'y a pas de séparation. Nous vivons ainsi en osmose totale, ignorantes de l'avenir, de la vie, d'autres personnes qui peut-être pourraient s'engouffrer dans cet espace qui n'existe pas entre nous.

Alors, la différence, c'est que ma grande sœur, elle était à l’extérieur de moi, elle était autre. Elle m'a beaucoup guidée dans mes choix, mais je n'ai jamais ressenti le besoin obsessionnel et douloureux d’être à ses côtés, ni l'angoisse incessante de la perdre. Et elle non plus il semblait qu'elle ne soit pas attachée à moi de façon trop passionnelle. Contente de me voir, elle me donnait une place dans sa vie, elle était là pour moi.

Je n'ai pas le souvenir qu'elle se soit jamais comportée comme si j’étais un substitut d'enfant, Comme si je lui appartenais. Elle gardait suffisamment ses distances pour qu'il soit clair dans mon esprit qu'elle n'avait pas vraiment besoin de moi. Je me suis d'ailleurs demandée longtemps si elle prétendait en général, n'avoir besoin de personne, ou si vraiment, elle n'avait besoin de personne.

Je suis cruelle. Ma grande sœur aimait avec tout l'amour d'une mère et tout l'amour d'une sœur et tout l'amour d'une épouse. Mais il faut bien dire que chez moi c'est pareil. Nous avons une façon de fonctionner qui dit "je me débrouille très bien toute seule ce qui veut logiquement dire que je me débrouille très bien sans toi, toi mon grand amour, toi mon chéri, toi ma chérie. C'est comme ça, je n'ai besoin de personne."

Une fois, il y a bien longtemps, quand j'habitais encore au kibboutz, une de mes amies m'a dit "toi, tu es une individualiste, on a toujours l'impression que tu n'as besoin de personne". A peine avait-elle achevé sa phrase, que j’éclatai en sanglot. "Je n'ai pas le choix" lui dis-je entre mes larmes. Je n'ai pas vraiment réussi à savoir ce qui se passerait si justement j'avais le choix et surtout ce que cela voulait dire dans ce cadre là d'avoir le choix.

Avec le temps un mur invisible s’établit entre nous et les gens qu'on aime. C'est un mur discret qui fait tout pour ne pas nous déranger, mais il est là. Nous ne nous souvenons pas l'avoir engagé pour remplir une tâche quelconque, mais lui, il semble se souvenir. Il fait son travail bien diligemment.

Un mur a deux parois, une intérieure et une extérieure. Tout ce qui s'est passé à l’intérieur du mur transpire à l’extérieur. Ainsi, une génération plus tard, le mur se reproduit; son extérieur est devenu l’intérieur de quelqu'un d'autre encore bien petit, et quand il grandira cela sera son tour à lui ou à elle de se démerder avec tout çà.




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samedi 3 décembre 2011

Les photos

Sans les photos, aurions-nous une mémoire? Plus les années passent plus les photographies deviennent des alibis de mémoire, des béquilles du souvenir. Étais je vraiment cette petite fille aux cheveux noirs frisés et au regard sombre? J'en doute aujourd'hui car mes yeux ne flamboient plus comme dans le passé. Plus vraiment.

Sur cette photo en noir et blanc
j'ai une dizaine d’années et je suis encore un peu maigrichonne. J'ai l'air d’une petite fille arabe, même pas italienne ou espagnole, carrément arabe. C'est curieux tout de même.

Quand j'ai grandi, au milieu et à la fin des années soixante, doucement quelques familles arabes ont commencé à s'installer a Châteauroux. Il arrivait souvent à cette époque que l'on m’interpelle dans la rue et qu'on me parle en arabe. J'avais semble-t'il la tête de l'emploi. Il faut dire que mes grands cheveux longs, frisés allant sur le crépu, ne me permettaient pas à l’époque de passer inaperçue. Je n'avais pas le profil berrichon, mais l'on dira, pour généraliser, plutôt le profil "métèque".

Sur une autre je pose avec mes parents sur la plage de Tel-Aviv. J'ai onze ans et ai l'air d'un ouistiti. A côté de moi mon cousin israélien, Sender. Il doit avoir 19 ans. Je me souviens que nous parlions en Yiddish tous les deux. Je trouve çà bizarre maintenant. Je ne parlais pratiquement pas le Yiddish et même aujourd'hui ce que j'en sais, c'est seulement pour avoir appris l'allemand. Je crois que ma mémoire me fait défaut. Peut-être s'amusait-il à m'apprendre le Yiddish qui était sa langue maternelle et autrement nous parlions en anglais que je parlais bien. Lui, commençait ses études de médecine qu'il faisait donc avant l’armée. Le père de Sender était le cousin germain de papa. Je ne l'ai pas connu; il est mort alors que Sender avait 6 ans à peine.

La photo de mes grand-parents est pour moi d'une importance primordiale. Elle est placée dans le coin salle à manger avec vue sur la table. Depuis des décennies cette photo regarde ma famille grandir. Tous les Shabbat, alors que nous sommes tous attablés, 30 secondes avant que David fasse kiddoush, je lève la tête et regarde la photo. Si tout est en ordre je me dis "ils sont fiers de moi, j'ai fais du bon travail, c'est bien". S'il y a un souci je les regarde et je leur demande un peu de compassion, un peu d'encouragement.

Sur cette photo le visage de
mon grand-père ne cesse de changer. Il a commencé sa carrière de photographié comme vieil homme, et au fil des années il rajeunit. Il me semble clair que bientôt nous serons du même âge. J'aime beaucoup cette photo car mon grand-père a le regard rieur. Il est mort en 1933, sans savoir que de ses 12 enfants, 2 seulement survivraient la shoah. De ses petits-enfants (une bonne trentaine) survivront: les 4 freres Zacharowitz fils de Cirla, Moshe Karpman le fils de Faivish, Alitzia la fille de Srul, Marguerite fille de Aaron, et les enfants de sa petite dernière, Esther, ma mère.

Sur la photo, ma grand-mère fait la gueule. Ou alors elle est un peu fatiguée. Comment savoir? Elle a le même rictus que maman et ma sœur Mali. Des crevasses de chaque côté de la bouche qui font que si l'on ne sourit pas, on a l'air de faire une tête pas possible. Moi c'est pareil. Le bas de mon visage est le même que celui de ma grand-mère. Je ne sais pas comment elle est morte. Elle avait environ 70 ans pendant la guerre. Sa dernière adresse était a Białobrzegi dans la province de Radom. Elle a sans doute été déportée à Treblinka.

Ma mère m'a dit à plusieurs reprises, qu'elle aurait tout donné pour accompagner sa mère dans ses derniers jours et être à ses côtés au moment de sa mort. Elle disait "ma mère me chouchoutait, j’étais sa petite dernière". Plus tard en septembre 1994, ma mère est morte subitement dans mes bras le jour de Shabbat Teshouva. Je ne me consolais pas, c’était une dure épreuve. Pourtant la phrase de maman finit par me revenir à l'esprit. Je l'avais accompagnée dans ses derniers jours, je l'avais vue mourir et moi aussi j’étais la petite dernière. J'avais accompli à sa place ce dont elle avait rêvé : accompagner sa mère vers la mort.

J'avais en quelque sorte réparé cette absence qu'elle s’était toujours reprochée.



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lundi 28 novembre 2011

Les bonnes

On ne peut pas vraiment dire que j'aie été élevée par les bonnes. Cela serait bien injuste envers mes parents. Et puis je ne suis pas l'enfant de riches héritiers ou celle d'une vedette de cinéma qui, sortie de 10 ans de psychanalyse s’écrierait: hélas, mes parents étaient absents et si je n'avais pas eu les bonnes pour m’élever ...

Ce disclaimer derrière moi, soyons clairs: mes parents partaient le matin pour revenir vers 20 heures et dans cet intervalle, dès mon plus jeune âge, du plus longtemps que je puisse m'en souvenir, ce sont les bonnes qui s'occupaient de moi. Les bonnes elles étaient omniprésentes, le weekend , pendant les vacances. Je me souviens d'elles comme si c’était hier. Elles avaient 16 ans quand maman les engageait. Elles s'occupaient de la maison et elles s'occupaient de moi et de ma soeur.

Elles dormaient dans la chambre de bonne, en haut, au troisième étage. C’était une grande chambre que j'aimais bien avec un grand lit. une table et une chaise, une armoire assez massive avec un miroir. Elles y créaient leur petit monde et j'en faisais partie. J'y restais pour jouer, lire, dormir. La chambre était contiguë du grenier où s'amassaient dans un désordre extrême toute sorte de choses: des jouets, des vieux vêtements, tissus, objets, journaux. Souvent je jouais dans le grenier et la bonne était occupée dans sa chambre à ranger, écrire une lettre. Nous étions bien toutes les deux.

Moi, de façon générale, je les aimais bien les bonnes. J'avais compris dès le début de mon existence que mon salut, mon bonheur et ma santé dépendaient d'elles, alors je me tenais à carreau et surtout je faisais ce que je fais encore aujourd'hui, j'essayais d’être aimable.

La première personne qui s'occupa de moi s'appelait Annick. Maman l'avait engagée dès ma naissance, ou même un peu avant je n'en suis pas sure. Annick et moi vivions en totale connivence et même osmose. Tout était merveilleux jusqu'au jour où un jeune homme qui travaillait en face de la maison, lui adressa la parole. Je fus aux premiers rangs de leur histoire d'amour puisque Annick m'emmenait partout. C'est seulement le jour du mariage que la vérité me frappa à la figure. Je ne sais pas comment cela arriva mais soudain je compris l'horrible situation: je ne quittais pas la maison avec Annick, nous allions être séparées.

En fait je n'avais pas très bien saisi le partage des rôles, et du haut de mes trois ans j'avais simplement jugé que Annick était ma mère et maman peut-être un genre de grand-mère, ce n'est pas clair, vu que le concept de grand-mère n'exista jamais pour moi. Je restais longtemps marquée par cette séparation et ce n'est que bien plus tard, en 1994 alors que j'avais 38 ans, que ma mère me raconta cette histoire:

Quelques mois après la séparation, le mari d'Annick avait demandé à rencontrer ma mère. Il lui dit qu’après leur mariage sa jeune épouse si gaie et énergétique, avait sombré dans la dépression. Elle pleurait sans cesse, ne faisait plus rien et répétait que sans moi, l'enfant qu'elle avait élevée, sans moi sa vie n'avait plus de sens. Lui-même était, aux dires de ma mère, désespéré. Que faire? Disait-il. Que faire? Madame Wajzer, implorait-il, dites-moi quoi faire.

Je me souviens de ce jour-là et d'autres après le premier jour où maman, dans sa grande compréhension et générosité, m'emmena chez Annick pour que la séparation soit moins douloureuse. Je sais qu'au moins une fois, je refusai d'entrer dans la maison d'Annick et criait de tout mon soul, comme je l'avais fait le jour du mariage (pendant la cérémonie papa avait du rester dehors avec moi, car je hurlais). Et puis un jour Annick donna le jour à une petite fille et la nomma "Nathalie". Alors, finalement, elle n'avait plus besoin de moi. Mais moi, personne ne m'avait demandé évidemment si j'avais encore besoin d'Annick ou pas.

La bonne qui lui succéda s'appelait Solange. C'est elle qui s'occupa de moi au mariage de ma grande soeur. Puis d'autres suivirent à un rythme trépidant. Certaines restaient 2 semaines, 2 mois, parfois 6. C'était impossible à prédire. Une nous avait volés et s’était sauvée, une autre m'avait laissé la clé derrière les volets et s’était barrée en laissant quand-même un mot "je vous quitte", une troisième se volatilisait après quelques semaines pénibles de vomissements matinaux et puis se mariait ou pas.

Je m'attachais toujours à elles, par réflexe et nécessité. Je savais que je ne pouvais pas compter sur elles, mais en même temps je faisais semblant de compter sur elles. Elles venaient, elles repartaient. Cela n'avait plus d'importance. Pas plus d'importance que la couleur du papier peint qui elle aussi variait de temps en temps.



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mardi 22 novembre 2011

Les mentors

Peu de gens m'ont formée. Je ne me souviens pas d'une voix, un ton de voix, une silhouette, des gestes qui se seraient articulés autour de moi jour après jour pour délivrer un message éducatif qui ferait écho dans le futur. Mes parents n’étaient pas des formateurs et il m'a fallut environ un demi-siècle pour le dire sans en avoir honte.

C'est méchamment simplifier que de dire: sans racines, ou plutôt sanguinolent encore de leur racines mutilées, mes parents n'avaient pas de futur non plus. Très sincèrement je ne me souviens pas qu'aucun d'eux n'ait fait des projets pour moi. Comme si tout simplement le futur n'existait pas plus que le passé.

Seule sur les jours de mon enfance, Madame Hadt semblait savoir que mon avenir était devant moi. Toutes les semaines un charme immense opérait entre le poêle, la tortue centenaire, la professeur de piano et l’élève. Madame Hadt me montrait la voie. Elle était un mentor. Sa force de caractère, sa grâce, m'inspiraient. Mes rendez-vous chez elle me ravissaient même s'ils me forçaient à travailler beaucoup au piano.

Ma sœur Mali, du haut de
ses 20 ans supplémentaires, fut une personne avec qui je pouvais parler de moi-même, de ce qui m’intéressait et de ce que voulais. Elle affichait un caractère curieux et tout le monde aiguisait son intérêt. je crois que tous les gens qui l'aimaient avaient été séduits par cette qualité en elle qui consistait en regarder l'autre et lui donner la parole. Avide d'intelligence, elle ne pouvait absolument pas s'en passer et choisit d'en faire son compagnon.

Je n'eus jamais de mentor après l’époque de Châteauroux. Quelques professeurs à l’université furent une inspiration certaine, comme Judith Stora, Hélène Cixoux, Serge Ouaknine, aussi le mime Isaac Alvarez. En Israël je fis ma vie à partir de l'âge de 21 ans sans avoir besoin de modèle. C’était déjà trop tard pour les modèles.

Il fallut que j'attende une journée d’automne
comme les autres, en octobre 2002, pour qu'un personnage entre discrètement dans ma vie. Il signait ses emails JC. et après 2 ou 3 mails, je lui écrivis, sachant qu'il avait plus de 70 ans, " j’espère que vous n’êtes pas Jacques Chirac car ce serait embêtant, je n'ai pas voté pour vous.""Je vous rassure tout de suite" dit-il, "Je ne suis ni Jacques Chirac, ni Jésus Christ", je m'appelle Jean-Claude et mes amis m'appellent JC.

Le début de notre conversation fut presque accidentel. En octobre 2002, j'avais vu sur l'Internet une pétition pour la paix au proche-d'orient et la trouvant complétement faussée, j'avais écrit aux personnes qui en étaient responsables. Un d'eux me répondit: "vous vous trompez, nous ne sommes pas des antisémites". Surprise, je rétorquai à cette personne que nulle part dans ma lettre il n'avait été question d’antisémitisme. Et c'est à partir de çà que nous avons commencé à échanger des lettres par email. L’époque était très difficile au niveau sécuritaire en Israël. Rapidement nos échanges devinrent violents et même sanguinaires.

C'est en partant du sentiment de rage
qui nous emplissait tous les deux mêlé au désir pourtant d’être en communication avec l'autre que soudain, nous nous découvrîmes une passion commune pour la poésie espagnole et en particulier Federico Garcia Lorca. Dès lors, entre deux carnages ou nous nous arrachions virtuellement les yeux, nous nous envoyons des poèmes. L’échange de poésies commença à prendre une grande place entre nous. J'avais écrit beaucoup de poèmes dans ma jeunesse et je les lui envoyais de temps en temps. Il répondait avec des œuvres de Lorca d'abord, puis Aragon, Rafael Alberti, Roque Dalton, Saul Contreras. Démontée au début, je finis par apprendre suffisamment l'espagnol pour lire dans le texte.

Un jour j’écrivis un premier poème inspiré de lui, et c'est là que pour moi tout a basculé. J'ai fini par composer un livre entier de poèmes en vers, intitulé "La hanche d'Antonio", publié dans un blog-poésie. Ma muse n’était autre que mon interlocuteur. Jean Claude devint au fil du temps un mentor dans bien des domaines: la littérature, la philosophie, les sciences politiques et surtout l'engagement social et politique.


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lundi 7 novembre 2011

Les voix de l'ombre

Je me souviens de la voix de mon père qui voyageait au travers de tout le diapason des tonalités. Parfois elle était si douce et si faible, qu'il me semblait avoir en face de moi en enfant perdu qui demanderait son chemin, timide, honteux, les yeux trempés d'un bleu si pâle, si délavé. Parfois l'enfant était un homme à la voix belle et grasse, produite par le larynx d'un fumeur de cinquante clopes par jour, des gauloises sans filtre faut-il le préciser.

La voix de ma sœur, décédée il y a 5 ans, apparait parfois sans invitation dans des circonstances souvent très anodines, quand je marche dans la rue ou regarde le paysage,assise dans un bus ou un train. Je ne sais même pas ce qu'elle dit mais le fait d'entendre, si ce n'est qu'une seconde, ses intonations changeantes, ses fractures de tonalité, rapides et graves, je la sais présente. A vrai dire ces incidents vocaux me dérangent beaucoup car ils sont très déstabilisants, mais je me suis habituée. C'est curieux comme seule la voix de ma sœur Mali me revient, pas celle de mes parents.

Je me souviens comment au début je n'avais pas aimé la voix de mon ami Jean-Claude. Elle avait quelque chose de sec et âpre. Elle n’était pas élégante, spirituelle ni même intéressante. Il m'a fallu des années pour voir au delà de cette voix presque sans tonalité, sans modalité, une voix bourrue de marin. Alors je n'ai pas eu le choix, il a bien fallu que je sorte au large moi aussi pour entendre les sons de la mer.

Un jour il m'a écrit qu'il s'en voulait de ne pas avoir eu la force de la jeune fille du "Silence de la mer" de Vercors. Lui, n'avait pas pu garder le silence. Et moi je me taisais devant autant de cruauté, je le laissais dire son angoisse, sa tragédie que je trouvais stupide. J’étais son ennemie, il était mon ami dans la trahison.

Jean Claude était incapable de parler de choses prosaïques. Il parlait de ses enfants, ceux du camp de Aida à Bethléem, avec passion, dans un engagement paternel total. Il parlait de la situation politique en Israël et Palestine avec rage, horreur et parfois dégoût. Il parlait de son association de médecins au San Salvador avec bonheur mais larmes aussi. Il parlait de son travail en Israël au debut des années 60, de Cuba ensuite, de son long séjour au Brésil plus tard. Et puis une ou 2 fois il a parlé de Beyrouth. C’était trop difficile pour moi, Beyrouth. De tous ces endroits où il avait vécu et travaillé en tant qu’ingénieur puis médecin, je ne sais pas où il avait été heureux. Il semblait être heureux dans l’autorité palestinienne, à Aida, avec ceux qu'il appelait "ses enfants", mais aussi sur son bateau en Bretagne.

Je crois entendre encore nos sanglants désaccords et les sons de la mer qui parlaient de violence, d'injustice, mais aussi de patience. Jean Claude disait qu'il faudrait cent ans (depuis 1948) avant que la paix entre Israël et les palestiniens arrive.

Voici reproduite, la dernière phrase qu'il m'a écrite peu de temps avant sa mort à la suite d'une correspondance importante étalée sur 9 années: "Je te souhaite de garder ton humanité dans cette tourmente."



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jeudi 3 novembre 2011

La guerre des rayons

Tout est passé, tout est fini. Je fus une patiente tout à fait modèle, radiotatouée, radiomi-dénudée, radiomarquée et radio-manipulée par tous les techniciens et toutes les techniciennes, tous les jours, jour après jour. Et tout çà mesdames avec le sourire. J'insiste, avec le sourire.

Ça fait du bien la bonne humeur. Des fleuves d’encre ont été versés sur le fait qu'une bonne disposition finit par vous mettre en bonne disposition. L'inverse est vrai aussi.

Bref, armée seulement de mon sourire, ma dignité et l'amour de mes proches, j'ai fini mon marathon de 5 semaines avec le sentiment béat d'avoir gagné cette bataille avec la plus grande facilité, comme si toute ma vie m'avait préparée à faire un pied de nez gigantesque aux méchants effets de cette morose radiothérapie.

C'est donc sans brûlures, effet secondaire tant redouté, que je sors du centre de radiothérapie d'Ichilov. L’infirmière de service ne manque pas de s'exclamer qu'il est bien rare de voir une patiente achever son cycle sans brûlures. Une des technicienne s’esclaffe "ah mais je te l'avais dit du début. Tu as une peau géniale, super-solide, moi je le savais bien que tu n'aurais pas de brûlures!". Je me sentais alors comme invincible. J’étais la déesse de la guerre des rayons qui sous les foudres de la radioactivité n'avait pas brûlé.

C'est curieux comme en l'espace de 7 semaines, entre la fin de mes rayons et aujourd'hui, j'ai complètement changé d'approche. Je vais avoir 55 ans dans 3 semaines et je contemple ma vie: je me dis " Comment ai-je pu parcourir tout ce chemin? Comment le temps a pu passer si vite? Est-ce possible? Je m'interroge sur mon rôle sur cette terre, sur ce que je vais laisser après moi. La totale, quoi.

Il faut dire que le décès de mon ami Jean-Claude a été pour moi un coup de massue. J'ai compté les jours entre le 2 août, jour ou l'on m'a fait part de son décès, et le dernier jour des rayons le 15 septembre, avant de me permettre de penser à Jean-Claude et entamer mon deuil. JC était pour moi un ami exceptionnel et aussi un mentor. Ce polytechnicien, médecin, militant pacifiste farouche, est parti à l'âge de 82 ans, se battant toujours pour les causes humanitaires auxquelles il croyait. Nos échanges épistolaires (emails), centrés sur le conflit israelo-palestinien, ne comptent pas moins de 500 pages.

Faut-il témoigner? Faut-il raconter? Comme si la déesse de la guerre des rayons ne savait pas déjà la réponse.


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mercredi 7 septembre 2011

Mélodie en sous-sol: mes fils

Picture of Francoise Nielly - Painting of two young men's faces.

Tous les jours à 14:40 je glisse ma carte dans le lecteur électronique au deuxième étage en sous-sol, comme si je pointais au boulot. Je retrouve des visages connus, bienveillants et même souriants. On s'habitue à tout, en tout cas moi je m'habitue à tout. C'est une qualité il me semble... Dans ma famille nous sommes tous comme çà: nous prenons tout avec le sourire et même nous nous arrangeons pour que ce qui était un problème ou obstacle au départ devienne en fin de compte une opportunité, presque une bonne occasion.

Comme je me fais accompagner une fois sur deux à ma radiothérapie, c'est effectivement l'occasion pour moi de bavarder avec mes aimables accompagnateurs qui sont en fait 3 fois sur 4, mes fils. Tous les parents de jeunes adultes savent qu'il n'est pas facile de coincer un jeune homme de 25-27 ans pour une conversation durable, avec un commencement, un développement et même parfois une conclusion.

Les conversations, ça ne se fait plus. Si on veut vous dire quelque chose , on s’envoie un texto ou un petit copier-coller sous forme d'article, photo ou video sur facebook – ce qui équivaut a dire qu'on ne se dit rien du tout, on se contente de bailler dans la direction de l'autre et réciproquement. A vrai dire mes fils ne sont pas très facebook et c'est peut-être cela qui me sauve d'éventuels dialogues hermétiques ponctués par des coups de fil sur les portables. Ils savent mener une conversation, ils savent écouter aussi.

Ainsi j'accumule avec eux des heures de conversations qui je le sais sont précieuses. Ces tête à têtes me construisent en tant que mère et puis ils m’émerveillent aussi comme si au delà des rayons radioactifs, j’étais marquée par ces mots échangés, ces paroles écoutées de part et d'autre.

A vrai dire, je me sens beaucoup mieux qu'avant, avant les 4 semaines de traitement. Ce n'est pas normal, je sais, car un des effets secondaires des rayons c'est justement la fatigue et avec ma fibromyalgie on peut dire que la fatigue ca me connait!  Curieusement mon fils ainé hier me dit à ce sujet " écoute apres tout, ca te fait prendre l'air cette histoire, tu vas à Tel-Aviv tous les jours, tu vois des gens, tu te promenes ...". Peut-etre que mon fils aussi a choppé le virus familial " je prends un desastre et le tranforme en coup de chance". Je le regarde un instant pour voir si ce n'etait pas une boutade .... et bien non, pas du tout.



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jeudi 18 août 2011

Melodie en sous-sol: rien, c'est bien

Au 5e jour je commence à m’habituer. Je suis une personne, en fait, qui aime les habitudes. Par exemple marcher exactement sur le même chemin 2 fois par jour. J’aime beaucoup marcher. Le chemin que je fais à pied entre la station de train centrale à Tel-Aviv et l’hôpital me plait. Mais c’était du tout vu ; je savais d’avance qu’il allait me plaire.

J’aime tout d’abord le passage entre le carrefour vaste et bruyant près de la gare, où l’attente du feu vert sous un soleil blanc et décomposant se compte en secondes brulantes, et le trottoir ombragé de la rue Arlozorov. Marcher une dizaine de minutes à 2h30 de l’après-midi sans un rayon de soleil, calmement, juste éviter les vélos, les chiens, les poussettes. Mais il y en a bien peu. C’est l’heure de la sieste, l’heure trop chaude. Et pourtant, entre la gare et la rue Weitzman, sur Arlozorov, une brise légère se faufile dans l’air, il fait doux. Et dans mon cœur aussi, 10 minutes de bonheur se faufilent et s’’entrelacent avec tous les bonheurs que j’ai connus.

Le service de radiothérapie se trouve en sous-sol, 2 étages en dessous pour être précis. L’attente se fait dans une salle sobre et agréablement aménagée. Les patients ont à leur service un espace Wifi, un distributeur d’eau froide et chaude, une photocopieuse, une grande télé à écran plat. Chaque patient à son arrivée doit faire passer sa carte codée sous un lecteur de carte. Ainsi ces messieurs dames des accélérateurs de particules, sont informés de sa présence.

Au 5e jour je reconnais quelques visages. Le quadragénaire un peu hirsute qui finit son traitement à la fin de la semaine. Le monsieur perse âgé, qui vient tous les jours avec son fils. La dame de mon âge qui a perdu des cheveux et qui m’a montré la première fois comment ne pas se louper en faisant passer la carte sous le lecteur. Et puis il y a cette femme toute svelte, jolie et délicate qui une fois est venue avec ses enfants, mais vient non-accompagnée, autant que j’ai pu le constater. C’est curieux parce que j’ai de la peine pour elle, elle est si jeune encore, elle devrait être à cette heure en train de faire du shopping, à la plage avec ses mômes ou en croisière avec son mari quelque part.

Comme c’est facile d’avoir de la peine pour les autres. Comme c’est simple. Hier cette jeune femme m’a souri largement à l’entrée de la salle de traitement. Ainsi nous nous croisons depuis le début de la semaine. C’est une véritable industrie: 4 accélérateurs au rythme de 5 minutes par patient. Cela en fait du monde ma petite dame.

Moi , je suis bien contente de n’avoir jamais accompagné ma mère à la rencontre de particules. Moi, j’avais une bonne mère qui a eu la sagesse et l’intelligence ainsi que l’honnêteté de ne pas me trainer jamais deux étages en sous-sol. Ah ce que cela fait du bien de dire des bêtises. Je me sens mieux déjà, rien qu’à m’entendre dire n’importe quoi, plaisanter sur rien, rire pour rien. « Rien », après tout, ce n’est pas une si mauvaise chose.



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